L’Homme qui rit – Jean Kerchbron (1971)

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(Delphine Desyeux et Philippe Bouclet dans les rôles de Dea et Gwynplaine)

Jean Kerchbron est à la hauteur de la version de 1928, pourtant visuellement impressionante, de manière incroyable. Surtout pour un téléfilm ! La longue durée du film, presque quatre heures divisées en trois parties (Les comprachicos, Les grands de ce monde, Par ordre du roi), parvient à redonner un reflet fidèle du roman, à défaut de son essence. L’histoire est davantage respectée que dans le film américain muet, tout comme les personnages : on regrettera juste la toute petite modification de la fin, qui est celle du livre tout en omettant de rendre visible un élément particulier.

A la manière des téléfilms de 1970 (je pense à la Poupée sanglante) on a droit à des récapitulatifs par le narrateur au début de chaque partie, mais surtout, ledit narrateur offre quelque chose de précieux : les mots même de Victor Hugo pour décrire le contexte de l’histoire et le milieu politique de l’Angleterre du XVIIe siècle. Mots qui sont repris également dans les dialogues, à mon plus grand bonheur ; nombre de répliques sont les tirades mêmes du livre. Poésie de Hugo…^^

Ce qui apparaît de manière frappante, contrairement au film de 1928 qui se concentrait davantage sur l’histoire des personnages, c’est que le réalisateur a tenu à mettre l’accent sur l’un des grands thèmes de Hugo dans le livre, l’exploitation du malheur des pauvres pour le bonheur de riches. On trouve ainsi un Ursus révolté, qui n’hésite pas à discourir de nombreuses fois sur la misère, pour inciter à la révolte – ce qui lui vaudra la destruction de sa roulotte. Devenu adulte, Gwynplaine porte lui aussi cette flamme de la révolte, transmise par son père. L’accent est aussi mis sur quelques scènes où on voit directement cette exploitation, soit par le travail des comprachicos, soit par les divertissements des riches (combats de boxe entre pauvres, torture d’une pauvre femme par amusement…). Le côté engagé de Hugo est donc bien présent, jusqu’au discours de Gwynplaine dans la chambre des Lords, qui reprend encore une fois les termes mêmes de Hugo.

Sans réussir toutefois à en redonner la complète essence, on retrouve l’atmosphère du roman, par le moyen de nombreux plans sur la mer, l’obscurité, les rues désertes. La musique n’apporte hélas pas trop grand-chose à l’ambiance, mais les plans, parfois saccadés de manière étrange, retranscrivent aussi les différents états d’âme des personnages.

Parlant des personnages, là où ceux de 1928 étaient bien retranscrits par le jeu et l’aspect visuel, ceux-ci sont tout aussi forts et impressionants. On perd l’aspect grimaçant voire horrifique-absurde-comique de la version en noir et blanc, pour aller vers un aspect davantage humain. Gwynplaine a un sourire tout à fait différent de celui de 1928, il montre davantage l’horreur que le rire, tandis que l’acteur parvient plus ou moins à nous faire passer ses émotions, même si pour ma part je le trouve un peu trop impassible. Bon, en même temps, il a un visage figé par son sourire….Dea perd en beauté ce qu’elle gagne en grâce et devient lumineuse, très douce. Ursus, lui, incarne totalement le personnage, on ne peut nier qu’il s’agit bel et bien d’un vieux misanthrope qui cache bien son coeur d’or…Lord David Dirry-Moir est tout à fait dans le dandysme et l’élégance gentleman de son personnage, aux côtés d’une Josiane purement diabolique et perverse et pourtant sublime, chapeau à l’actrice, vraiment ! Et on croise enfin le Wapentake, à peine quelques secondes, mais il retranscrit assez bien le silence effrayant du personnage du livre. Quant à Barkilphedro, il n’est pas aussi rampant d’apparence que je l’imaginais, en cela il s’éloigne de l’image que je me fais de lui, mais l’acteur s’en sort avec honneur, par ses répliques excellentes et son jeu tout en regards.

Bref, pour conclure, une très belle adaptation, qui n’atteint pas le roman, bien entendu (de toute façon, combien de films peuvent prétendre atteindre leur matériau d’origine ?) mais qui doit certainement être la meilleure à ce jour de L’Homme qui rit.


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