Belle du Seigneur – Glenio Bonder (2013)

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Belle du Seigneur est l’adaptation du réputé « inadaptable » roman d’Albert Cohen. Il est certainement impossible de détrôner ce titre à cet immense roman (plus de 1100 pages dans mon souvenir) constitué de chapitres de monologues intérieurs des personnages, de grandes tirades ou bien de grandes scènes. Il est convenable de noter que le réalisateur est décédé durant le montage du film, en 2011, et que l’oeuvre qui en ressort n’est donc probablement pas celle qu’il avait en tête.
Soyons néamons clairs : il est vrai que toute personne s’aventurant à adapter cette oeuvre avait plus de chances de s’y casser les dents que de réussir son pari. Et on ne peut pas dire que ce n’est pas ce qui est arrivé, sans que le résultat ne soit pour autant mauvais : le terme « librement inspiré » est justifié ici.

 En 1935-1936, à Genève, le séduisant Solal, qui officie à la SDN (Société des Nations), tente d’obtenir les avances de la belle Ariane, aristocrate protestante et épouse de son subalterne Adrien. Celle-ci ne tarde pas à succomber au charme du jeune homme, mais cette relation passionnelle entraînera les deux amants vers une destinée tragique.

 Esthétiquement, le film est superbe, dans ses couleurs, son atmosphère, sa mise en scène. L’atmopshère des années trente est très bien rendue, autant par l’utilisation d’images d’archives, notamment au tout début du film pour situer le contexte, que par les décors et les accessoires. On sent que le réalisateur avait à coeur de retranscrire cette ambiance, qui se situe plus en arrière-fond dans mon souvenir du roman, de la Suisse et de l’Italie des années trente, entre les deux guerres, et aux prémices de la seconde (tel détail a son importance, car je ne m’en souvenais pas, mais le personnage de Solal est effectivement juif).

belle-du-seigneurAdrien et sa femme Ariane.

 Il est presque stupide de parler des différences entre le roman et le film, tant il est évident qu’1h40 ne peuvent résumer plus de mille pages. De plus, moi-même je ne me souviens que de grandes scènes et non de détails, aussi je suis bien peu apte à juger autre chose que le simple fait que le cheminement principal est respecté. Beaucoup de choses sont évidemment raccourcies : adieu les grands monologues d’Ariane dans son bain (au passage, tant mieux !), le discours don juaniste de Solal sur l’amour entre les hommes et les femmes est héls considérablement abrégé et trop court pour être complètement pertinent et justifier la séduction d’Ariane (rappelons qu’il est censé durer une petite heure et que ça dure bien quarante pages minimum), adieu sans doute plein de scènes dont je ne me souviens pas. Là n’est certes pas le plus important, la perte majeure étant simplement la réduction du superbe discours solalien, et plusieurs scènes décrivant l’évolution de l’amour entre Solal et Ariane.

Parlons d’un autre choix intéressant mais risqué : l’utilisation de la voix-off pour retranscrire les pensées directes de Solal. Les premières phrases du film sont  « Durant l’été 1936, les regards sont tournés vers les Jeux Olympiques à Berlin. Mais mon attention va vers le salut nazi. Car pendant ce temps en Allemagne les Juifs sont persécutés et en Ethiopie les troupes de Mussolini massacrent le peuple. Quelle farce ! Bientôt, ils feront pire et leur iniquité montera jusqu’au ciel. Mon nom est Solal des Solals. Je suis le sous-secrétaire général de la Société des Nations, une assemblée de mannequins ministres et ambassadeurs à Genève. Et je me sens perdu. Je suis hanté par une femme. Une femme qui m’a regardé sans me voir, vue dans un miroir, au bal, à Genève. Une femme mariée. »

L’oeuvre est ainsi racontée par moments par Solal lui-même, ce qu’on n’avait pas dans le livre (bien qu’on sache parfois tout à fait quoi pense le personnage, là n’est pas la question) et c’était quelque chose d’osé à faire, surtout au début, où le personnage vacille entre le Don Juan et le passionné amoureux. Bref, au moment où on ne sait pas si on doit détester ou aimer le personnage, et l’utilisation de tel procédé nous le rend peut-être plus sympathique qu’il n’y paraît.

Quoique, peut-on parler de sympathie ? Ariane, dans le livre déjà, n’en inspirait guère. Je me souviens d’elle comme une femme d’abord inintéressante et inintéressée, tenant malgré tout le destin de son mari entre ses mains et à sa condition qu’elle succombe à Solal. Mais en elle-même, Ariane ne m’a jamais parue qu’insupportable, trop naïve, trop exaspérante. Peut-être qu’on retrouve un peu de cela dans le jeu de l’actrice, qui est certes magnifique, mais peine à donner de la profondeur à son personnage, qui reste tout à fait lisse et sans inspirer un réel intérêt. Adrien est un peu plus agréable que dans le livre, mais guère intéressant. Au contraire de l’autre héros du film, Solal, campé par un acteur impressionnant et qui parvient tout à fait à rendre tour à tour l’antipathie et la compréhension ressenties envers lui. Il en vaut donc la peine, même si on aurait pu aimé plus de complexité dans leurs relations et leurs caractères, mais après, c’est un problème de retranscription de l’oeuvre qui se pose. Le contexte de l’entre deux guerres est quant à lui bien rendu, par des scènes à la Société des Nations, sans compter les archives, et les missions de Solal à l’étranger.

Outre les personnages, c’est l’histoire qu’ils racontent, qui nous intéresse. Belle du Seigneur campe certes le portrait complexe et fascinant de Solal, l’homme qui est Don Juan (au passage, je ne me suis souvenue qu’à la moitié du film qu’on voyait effectivement une autre de ses maîtresses dans le livre, et sa présence dans le film est un parallèle on ne peut plus intéressant et utile avec l’histoire principale), mais aussi le tragique qui accompagne toute histoire passionnelle. Les thèmes qui parcourent le film sont certes cette passion dévorante et forcément fatale, mais aussi la perfection idéalisée donnée à l’amour. Belle du Seigneur a plus que tout autre ridiculisé et pointé du doigt cet idéal, en montrant d’abord une romance « parfaite » entre les deux protagonistes (n’oublions pas que Solal est un manipulateur pris à son propre piège), en expliquant les idéaux trouvés en l’homme et la femme, la part de divinité entre eux, mais aussi combien le parfait d’une relation est illusoire. Le couple se retrouve d’abord à ne faire que « paraître » et non être, étant toujours sublimes l’un pour l’autre et cachant les « pires » moments (comme le réveil forcément décoiffé ou le passage aux toilettes). Mais cela s’aggrave ensuite au fur et à mesure, puisque cette perfection n’existant pas, ils se retrouvent à inventer des jeux, des simulacres, souvent cruels, pour pimenter leur amour, à la limite du sado-masochisme (notamment quand Ariane invente une histoire d’amant caché, ou invite une femme de ménage d’hôtel à toucher Solal à sa place, ou quand Solal fait exprès de s’absenter sans rien dire, quitte à traiter Ariane en moins que rien) (et c’est moins « politiquement correct » dans le bouquin —>). Ces prétextes servant à renforcer un amour faiblissant et devenu quotidien, mais amenant aussi les personnages à se détester de manière forcée pour mieux se retrouver et s’aimer, alors qu’au final ils ne font que se détruire peu à peu et perdre les moments parfaits du début. Jusqu’à une fin forcément tragique, qui n’est que suggérée et n’allant pas jusqu’au bout. C’est peut-être le reproche principal qu’on fera au film : s’il n’est pas si mal réussi que cela – je l’ai bien aimé après tout – il manque cependant de la profondeur nécessaire, celle d’aller jusqu’au bout des choses. Mais n’était-ce pas une oeuvre inadaptable, après tout ?

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