Les premiers épisodes d’Orphan Black ne sont pas forcément accrocheurs (il m’en aura fallu peut-être trois ou quatre pour vraiment apprécier la série). Les premières minutes, elles, ne peuvent laisser indifférent. On suit le trajet en train d’une jeune femme au style de punk, visiblement plus racaille qu’ange, sur un quai de train. Sarah Manning. Elle téléphone à sa fille, se fait raccrocher au nez. Puis elle voit une autre femme, plus loin, agitée et en pleurs. Le temps qu’elle se rapproche pour la dépasser, la femme en pleurs ôte ses chaussures, sa veste, son sac. Se retourne, l’air désespéré, et croisant brièvement – trop brièvement – le regard de Sarah. Celle-ci se rend alors compte que cette femme lui ressemble trait pour trait, avant qu’elle ne la voie se jeter sous le premier train. Sarah emmagasine à peine la scène, qu’elle se précipite pour voler le sac de son double et s’enfuir des lieux. Commence alors le début d’un mystère, un petit mystère qui se poursuit le long de trois saisons : qui était cette copie d’elle-même, et pourquoi a-t-elle choisi de se tuer ?
Orphan Black débute comme une histoire policière où on suit la criminelle ayant usurpé l’identité d’une autre personne, grâce à un miracle de ressemblance parfaite. Ce qui serait somme toute très ennuyeux : la série s’éloigne vite (pas forcément assez vite, au début) de ce point de départ commun. Car dès le premier épisode, on se rend compte que cette suicidée n’est pas la seule à ressembler à Sarah Manning. La fin du premier épisode voit apparaître une autre copie d’elle-même, une Allemande, qui se fait tuer sous ses yeux. Et à partir de là, il ne s’agit plus de seulement « usurper l’identité d’une flic suicidaire en se faisant passer pour elle au travail, et en récoltant son argent » mais de savoir s’il y a encore d’autres jumelles, et pourquoi quelqu’un cherche à les assassiner, l’une après l’autre ?
Just one, I’m a few, no family too, who I am ?
La série canadienne se situe dans un Vancouver fictif, proche de notre époque, proche du futur. Sans être de la science-fiction, on se rend vite compte qu’il s’agit d’une histoire de clones. Les trois quarts des personnages féminins de la série sont des clones : l’intrigue vient alors de qui les a créées, pourquoi, pourquoi vouloir soudain leur mort. Sarah Manning est orpheline, comme toutes ses semblables. Mais aucune d’entre elles ne se ressemble : l’actrice, Tatiana Maslany, se retrouve à jouer chacune des clones. De la punk Sarah Manning, à la scientifique Cosima Niehaus, en passant par la flic dépressive Beth Childs, la mère de famille Alison Hendrix, l’Allemande Katja Obinger, et d’autres encore. Toutes identiques, toutes différentes à la fois, engagées dans un complot qui les dépasse et dont elles n’avaient conscience à aucun moment de leur vie, pendant presque trente ans.
La série intrigue et pose des questions. Bioéthique, philosophie de vie, clonage humain, religion fanatique, science déshumanisante, droit de propriété sur la vie de quelqu’un d’autre. Sans que les questions ne soient directement posées, oralement, elles se dégagent et apparaissent au fur et à mesure de la série. Comment un bagage génétique identique peut-il donner naissance à des femmes aussi différentes ? Quelle est la part d’inné et d’acquis dans chaque vie ? L’expérience change-t-elle radicalement le style de vie de chacune ? De quel droit des êtres humains peuvent-ils traités comme des expériences scientifiques dont on réclame la propriété intellectuelle ? Comment la religion et la science à la fois peuvent-elles s’en mêler pour un résultat désastreux ?
Comme dans beaucoup de séries, ce qui ressort aussi, c’est cette capacité à faire de ces femmes qui ne se connaissaient pas, une famille. Des sortes de soeurs, des versions alternatives de chaque vie, prêtes à lutter pour découvrir d’où elles viennent, pour éviter de se faire tuer, pour avoir des réponses. Orphan Black est sombre, en partie philosophique, scientifique, en proie à des intrigues parfois alambiquées, composée de personnages auxquels on s’attache après avoir découvert plusieurs facettes de leur caractère. Car au début, qui peut apprécier une Sarah délinquante sans foi ni loi, une mère de famille coincée et névrosée, Alison ? Puis cela change au fur et à mesure qu’on les voit évoluer, interagir entre elles. Même un personnage aussi brillant et ouvert que Cosima perd de son intérêt face au portrait si familier d’Alison ou à la complexité d’Helena (ma favorite, mais qui n’est devenue telle qu’à partir de la troisième saison) ou de Rachel.
Ce qui fait aussi tenir Orphan Black, c’est son actrice principale. Elle incarne au final pas moins de cinq personnages féminins récurrents, jouant face à elle-même ou à une doublure, devant gérer parfois trois clones différents dans la même pièce, voire plus. Le tour de force apparaît au bout de quelques épisodes, quand on voit l’alchimie entre Tatiana Maslany et…Tatiana Maslany, lors de scènes particulièrement intenses. Et on oublie. On oublie carrément que c’est la même actrice derrière ces personnages, car à chacun elle a donné une voix différente, une manière de se déplacer, de lever les yeux, les mains, de soupirer, de rire. Au point que c’est l’actrice elle-même dans les interviews, qui effraie, car on ne sait à qui on a affaire en la voyant (Cosima, Sarah, Helena…) Chacun a son propre souffle de vie et sa façon très différente de réagir. Le quotidien d’un acteur dans ses multiples rôles, mais ici, c’est une seule série, avec elle uniquement en personnages principaux. Et on croit à chaque fois voir une actrice différente derrière le personnage, avec ses forces et ses faiblesses. Ici sont calculées (pour les deux premières saisons) le nombre de scènes de chaque personnage joué par l’actrice (et ne lisez pas trop les textes introductifs pour éviter les spoilers).
La série est ainsi à voir pour ce tour de force de jeu d’acteur, pour ses intrigues poussées, ses questionnements, son féminisme. Elle n’est pas dépourvue de scènes choquantes (plus qu’horribles, encore que, on se rend vraiment compte de certaines, après coup) ni d’humour, noire sans être lisse. Peut-être part-elle parfois trop dans ses complexités scénaristiques au point de délaisser certains personnages, que je me suis gardée de trop décrire, pour laisser la surprise de la découverte. Mais il s’agit certainement d’un des projets les plus originaux de série télé de ces dernières années, rappelant parfois l’excellente Black Mirror et dont je ne me lasse pas.
I’m not your property. I’m not your toy. I’m not your weapon. I’m not your experiment.
J’avais entendu parler de cette série, et à vrai dire, le cadre ne m’avait pas trop attiré. Après avoir lu ton article, tout cela me rend curieuse, vraiment… Tiens, je vois que tu es en train de regarder Jessica Jones… Qu’est-ce que tu en dis ? Comment trouves-tu le personnage de Kilgrave ? Horrible à souhait ? Je projette de regarder cela aussi dès que j’aurai un peu de temps.
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Je pense que ce n’est pas une série qui accroche tout le monde, mais elle est en tout cas très sympathique, et quant même impressionnante au niveau de l’actrice principale, et des différents clones qu’elle joue !^^
En ce qui concerne Jessica Jones, j’aime assez pour l’instant sans que cela ne soit un coup de coeur (je suis au 4e épisode). Kilgrave est pour l’instant assez peu vu, ça commence seulement, mais je le trouve à la fois fascinant grâce à son acteur, évidemment, mais aussi très noir, très étrange…en tout cas son pouvoir est absolument horrible !
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