Avoir enfin vu Vanilla Sky, le remake d’Ouvre les yeux (Abre los ojos) m’a redonné envie d’écrire un peu sur un film certes vieux et daté, maintenant, mais qui demeure dans mes favoris de manière incontestable. Abre los ojos est le deuxième film d’Alejandro Amenebar, après l’oppressant Tesis, et il est bien hanté par les obsessions du réalisateur, présentes également dans son dernier long-métrage, Régression. Sorti en 1997, le revoir m’a fait constater que oui, il a vieilli, et pourtant, j’ai l’impression qu’il garde toujours le même charme à chaque fois, bien que je connaisse l’intrigue et les rebondissements par coeur à force de l’avoir vu en boucle à une époque, et d’avoir écouté sa bande originale des dizaines de fois.
L’histoire nous plonge en Espagne, à suivre le quotidien d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, César (Eduardo Noriega). Plutôt Don Juan, beau parleur, gosse richissime et carrément insupportable, il refuse de sortir publiquement avec une jeune femme nommée Nuria (Najwa Nimri), plutôt séductrice dans le genre femme fatale lunatique, et partage sa vie entre oisiveté et fêtes. A son anniversaire, il rencontre Sofia (Penelope Cruz), une connaissance de son meilleur ami Pelayo (Fele Martinez) dont il tombe amoureux. Mais cette femme est bien plus vive, inaccessible et plus brumeuse que Nuria. Cette dernière, jalouse de la relation naissante entre César et Sofia, tente de le tuer avec elle dans un accident de voiture. César se retrouve alors défiguré, subissant opération de chirurgie sur opération pour tenter de retrouver un visage normal. Mais très vite, les choses s’embrouillent. Le visage de César, dissimulé par un masque, est-il vraiment défiguré ? N’a-t-il pas imaginé certains événements de sa vie ? A-t-il vraiment tué quelqu’un ? Sofia existe-t-elle vraiment ?
Il est très difficile de parler davantage du film sans en dévoiler les rebondissements, qui nous tiennent en haleine pendant presque deux heures. Les thématiques qui le traversent sont nombreuses, certaines, comme la confusion entre rêve et réalité, le sentiment de perdition entre la perception et le réel, très chers au réalisateur. Mais pêle-mêle, dans une ambiance sombre et glauque, on trouve aussi la perception de soi et des autres, le fait de porter des masques (dans les deux sens du terme), le rejet à cause d’une apparence hideuse (la référence au Fantôme de l’Opéra apparaissant deux fois dans le film), la distinction entre deux idéaux de femmes, la fascination pour la mort et sa symbolique, l’amitié, le choix de vivre un fantasme ou la réalité…
Le film, dans sa mise en scène, ses plans, ses décors, appellent au rêve, à la solitude, au jeu des miroirs. Les répliques se font d’écho à écho, pour une raison bien particulière. L’atmosphère est sombre, délétère, au point qu’à un certain moment du film, on est complètement happé, incapable de dire ce qui se passe vraiment. L’histoire parvient à jouer avec nos nerfs ainsi, de façon suffisamment importante, pour carrément stresser le spectateur. La musique y joue aussi un rôle important, toute en thèmes oniriques, malsains parfois, voire torturés. La bande-son est d’ailleurs composée par Amenabar également. Il règne dans Abre los ojos un semblant de thriller psychologique, sans que cela soit tout à fait cela, le film n’étant pas parfait non plus, en partageant son récit en deux temps parallèles : l’histoire de César avant son accident de voiture, et le moment où, emprisonné pour avoir tué quelqu’un, il confie ses pensées à un psychologue de prison (le poignant Chete Lera). Autant de conditions qui parviennent à faire plonger dans une ambiance sombre, fascinante, et en même temps oppressante.
Les acteurs ne sont pas en reste, chacun interprétant à merveille leur personnage : Eduardo Noriega nous fait un César absolument imbuvable, peu sympathique, auquel on s’attache pourtant, et qui a une certaine évolution du début à la fin. Son personnage change certes du psychopathe de Tesis ! Penelope Cruz est une sorte d’idéal féminin, brumeux, hors de portée, énigmatique, et en même temps elle est simplement lumineuse, irréelle (la scène du baiser entre elle et César à la fin, en pleine lumière, est probablement une des scènes de baisers que je préfère dans tout ce que j’ai pu voir en films et séries). Najwa Nimri, dans le rôle de Nuria, est aux antipodes de Sofia, plus sensuelle, plus dangereuse, plus folle, et est indéniablement fascinante pour cela, bien qu’on ne soit pas amené à sympathiser avec ce personnage. Enfin, Fele Martinez (également vu dans Tesis, mais dans un personnage alors plus trouble) et Chete Lera, dans les rôles du meilleur ami de César, et du psychologue de la prison, ne sont pas moins émouvants et ancrés dans la structure du film.
On est donc loin de la version remake, Vanilla Sky, qui reprend toute la structure de l’original avec des passages en plus, des personnages plus ancrés dans le réel, plus américanisés, avec tout plus propre, plus joli, plus riche…là où l’absence de fort budget pour Ouvre les yeux fait aussi partie de son charme et de sa sobriété. Tom Cruise en César et Cameron Diaz en Nuria m’étaient aussi simplement insupportables, il faut l’admettre, très loin de l’étrangeté et de l’obscurité du film original.
Abre los ojos est l’un des deux films de son réalisateur (avec Régression) à n’avoir obtenu aucune récompense. Sans doute est-il moins abouti que Les Autres ou Agora, mais il y règne, comme dans Tesis, un sens obscur, une poétique étrange, un réel mêlé de fantastique, comme seul le cinéma espagnol sait en faire dans son genre. Il reste probablement mon film favori d’Amenabar, pour son ambiance, sa capacité à mélanger fiction et réalité, et à faire apprécier une histoire dont on ne s’attend pas à la fin, malgré des personnages auxquels il ne soit pas simple de s’attacher.
Je suis moins à l’aise que toi avec ces labyrinthes psychologiques (ce film fait penser à Silent Hill 2 au final, dans la façon dont il est présenté), mais il était sympa. Et tu sais ce que je pense de certains remakes.
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Oui, c’est peut-être d’avoir joué à Silent Hill 2, qui a fait que j’ai eu envie de visionner les deux versions. Le mélange réalité/rêve m’a toujours intéressée. Et celui-là est quand même oppressant, mine de rien, côté labyrinthe psychologique, et santé mentale. :p Quant au remake…ah, j’avoue que j’ai décroché vers les vingt dernières minutes, Cameron Diaz étant juste…épique dans le très mauvais sens du terme, trop délurée à mon goût. et pas crédible !
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