Dans la série des Silent Hill, nous voilà désormais au 4e opus : The Room, datant de 2004. Foncièrement différent de ses prédécesseurs tout en restant issu de la première équipe créative de Silent Hill (Team Silent) – les épisodes suivants seront confiés à d’autres studios pour leur développement – il demeure toutefois bel et bien dans l’univers de la série. Contrairement aux rumeurs persistantes, ce jeu a aussi toujours été pensé comme un Silent Hill, et n’a pas été un jeu d’horreur parallèle qu’on a ensuite décidé d’imbriquer à la série.
Le héros est cette fois-ci Henry Townshend, un jeune homme tranquille et plutôt introverti, qui a déménagé deux ans auparavant au 302 South Ashfield Heights. Ce jeune photographe, qui a eu l’occasion de visiter Silent Hill plusieurs fois dans sa jeunesse et son adolescence, se retrouve depuis cinq jours inexplicablement enfermé dans son propre appartement, des cadenas bloquant sa porte. Il est aussi sujet à des cauchemars terrifiants, et aucun de ses voisins ne semble entendre ses appels à l’aide, ou le voir par la fenêtre. Il découvre alors qu’un trou s’est formé dans sa salle de bains. Il emprunte cette seule issue, qui l’amène seulement dans une dimension parallèle plus terrifiante encore, hantée par un tueur en série…
Silent Hill 4 : The Room a eu une réception plutôt mitigée à sa sortie. Les nouveautés de ce jeu sont en effet nombreuses et changent de la direction des précédents épisodes : un inventaire limité à dix objets (avec une malle où déposer les items, ou les reprendre), l’appartement étant le seul lieu sûr (pour la première partie du jeu) où il est possible de sauvegarder, et où Henry récupère son énergie. L’histoire fait aussi beaucoup penser à un mélange de fantastique et de policier, plus que d’horreur en lui-même, bien que beaucoup d’éléments appartiennent au genre horrifique. Le gameplay change un peu et est moins évident à prendre en main : on a aussi plus de combats, pour moins d’énigmes, et quasiment aucun boss à part celui de fin. Enfin, la grosse nouveauté est l’introduction d’un point de vue à la première personne, uniquement dans l’appartement d’Henry, le reste du jeu reprenant le point de vue traditionnel à la 3e personne. Ce n’est pas sans rappeler un certain P.T. Silent Hills, mais j’y reviendrai plus tard.
Ce point de vue est un élément-clé du jeu, simplement parce qu’il renforce le sentiment de claustrophobie d’Henry et du joueur, à rester enfermé dans cet appartement et n’avoir que la possibilité de fuir, en passant par le trou de la salle de bains. Plus tard, quand l’appartement deviendra hanté par l’Otherworld, ce sentiment n’en sera que plus prégnant, car le seul endroit sûr du jeu devient totalement dangereux. A chaque retour pour sauvegarder ou effectuer une action, on se retrouvera face à des poltergeists ou des manifestations paranormales, d’abord légères, puis plus effrayantes : horloge folle, fenêtres claquantes, apparition de fantôme, une ombre dans le placard, le fantôme d’Henry lui-même, etc… Autant d’éléments qui contribuent à renforcer une atmosphère effrayante, car ces apparitions sont aléatoires et on ne sait jamais à quoi s’attendre.
Le jeu et son histoire changent également des précédents. Bien sûr, Henry est un Monsieur-tout-le-monde confronté à un univers soudain horrifique, et il est même encore moins bavard ou expressif que James Sunderland. Cela ne m’a pas empêché d’apprécier beaucoup le personnage, grâce à ce côté introverti et pourtant altruiste, qui change un peu. Henry n’a aucun lien avec Silent Hill : il est un jeune homme qui a emménagé au mauvais endroit, au mauvais moment, et qui cherche à arranger la situation. En passant par le trou de la salle de bains, il débarque dans des dimensions parallèles infestées de quelques monstres, forcément glauques comme Silent Hill en a l’habitude (chaises roulantes d’hôpital, cadavres, murs sanglants, motifs et couleurs glauques, brumes épaisses, sont évidemment au rendez-vous) mais aussi hantées par les victimes du tueur en série qui sévit. On croise en effet des fantômes invincibles, certains particulièrement effrayants, et dont la liste se rallonge au fur et à mesure des victimes : Cynthia que l’on rencontre et escorte brièvement, est la première victime. La mission d’Henry sera d’empêcher ces meurtres de continuer, aidé de sa voisine Eileen, elle aussi coincée dans cette dimension. Par ailleurs, on croise aussi un petit garçon à l’air perdu, et un homme aux cheveux longs bien mystérieux…
(A partir d’ici, les spoilers sont de mise)
Les lieux sont évidemment là pour symbolisme. Chaque endroit que l’on visite est lié au tueur en série : l’orphelinat Wish House où il a été élevé, et qui était dirigé par l’Ordre de Gillespie (Silent Hill 1) ; la forêt près du lac Toluca de Silent Hill, la prison près de l’orphelinat, le métro où le tueur en série a passé de nombreuses nuits, ou encore un « monde de la construction » qui doit refléter sa vision de la ville moderne. Quant à ce fameux tueur en série, qui est-il ? Il s’agit de Walter Sullivan, qu’on rencontre en fait à plusieurs reprises avant de savoir son identité : à la fois l’homme aux cheveux longs, mais aussi le petit garçon innocent et perdu. L’Otherworld est une réalité inventée et créée par cet homme, par ses fantasmes et ses souvenirs plus négatifs que positifs, un univers de cauchemar où Henry pénètre presque par accident… Car en effet, on apprend que Walter est à l’origine de dix meurtres, avant qu’il ne se suicide en prison. Or, les crimes ont bel et bien repris après sa mort : c’est le fantôme de Walter, et son alter ego, le petit garçon, qui continuent à les perpétuer. Cette série de morts a un but : réaliser les 21 sacrements dont il a entendu parler à l’orphelinat Wish House par Dahlia Gillespie, afin de purifier l’appartement 302 (où vit Henry) qu’il croit être « sa mère ». Le jeune garçon avait en effet été retrouvé bébé à cet endroit, et comme il n’est jamais bon d’être élevé par une secte, cette fable lui est restée dans l’esprit au point de le rendre obsessionnel.
Que viennent faire Eileen et Henry là-dedans ? Eileen aurait rencontré Walter enfant, alors qu’il venait chaque semaine rendre visite à sa « mère », dérangeant les habitants de l’appartement à chaque fois, et lui aurait témoigné un peu de bonté. Chaque victime est symbolique : Eileen est la mère réincarnée. Henry, vingt-et-unième victime – juste parce qu’il a emménagé là, comme le précédent locataire et journaliste Joseph Schreiber, de qui on retrouve des notes glissées sous la porte du 302 à chaque fois qu’on y retourne, car il enquêtait sur Sullivan – est l’Elu, le « Receveur de la Sagesse » celui qui accomplira les 21 Sacrements. Toutes les victimes ont d’ailleurs un lien avec Walter, d’une manière ou d’une autre : membres de l’Ordre, autres locataires, ancien directeur de la prison, Cynthia lui avait témoigné de la méchanceté plus jeune, camarades de classe… Seul Henry relève du pur hasard.
Le jeu se divise en soi en deux parties : une première où l’on voit la mort de différentes victimes dans chaque lieu, jusqu’à atterrir dans une version parallèle de l’appartement, où l’on retrouve Eileen. A partir de là, Eileen nous accompagnera durant la 2e partie, où l’on cherche à arrêter Walter, mais l’appartement du monde réel deviendra hanté. En plus des fantômes de l’Otherworld particulièrement effrayants (mention spéciale à Cynthia qui revient sous une forme très Ringesque), on est également hanté dans le monde normal. Eileen par ailleurs, en fonction de l’état de ses blessures, devient elle aussi partiellement possédée.
Comme de tradition dans les Silent Hill, bien qu’on n’ait pas de fin UFO (avec des extra-terrestres), quatre fins sont disponibles. Pour une fois, je n’ai pas obtenu la meilleure, parce qu’Eileen était quelque peu agaçante et que je ne faisais pas attention à son état de santé, ce qui a empêché que je la sauve à la fin du jeu lors du combat final. La fin dépendra aussi de si l’on exorcise plus de 80 % des phénomènes surnaturels dans l’appartement.
La fin Au revoir correspond à la meilleure possible : Henry « tue » Walter, et son alter ego enfant disparaît. La porte 302 de l’appartement s’ouvre et Henry retrouve la liberté. Il rend ensuite visite à Eileen, qui annonce son intention d’aller vivre dans un autre immeuble.
La fin Mère se déroule de la même manière, excepté qu’Eileen préfère retourner vivre à South Ashfield Heights. Mais une dernière scène montre l’appartement 302 toujours aussi sanglant et lugubre, comme hanté encore par le pouvoir de Walter. L’avenir s’annonce sombre…
La fin Mort d’Eileen (celle que j’ai eue) voit Henry vaincre Walter mais sans réussir à sauver Eileen dans l’Otherworld. L’appartement au réveil d’Henry, est intact, mais dans le salon, sa radio annonce que cinq corps d’hommes et femmes ont été retrouvés. Une femme a été amenée à l’hôpital d’urgence mais n’a pas survécu à ses blessures : Eileen. Henry s’écroule de désespoir.
La fin 21 Sacrements est indéniablement la pire. Après avoir vaincu Walter, Harry souffre de maux de tête et s’écroule. La porte de l’appartement 302 s’ouvre pour laisser entrer le petit Walter enfant, et le laisser se blottir sur le canapé, rejoignant sa « mère ». Le cadavre de Walter adulte est cloué au mur. La radio annonce la mort de cinq victimes, dont Eileen, et d’une dernière, dont la peau a été entièrement arrachée : Henry, sacrifié pour permettre l’accomplissement du rituel.
Silent Hill 4 : The Room n’est pas sans placer des références aux autres jeux. Outre la présence de l’Ordre et de ses rituels, d’une mention d’Alessa (SH1), on peut noter que les objets trouvés par Walter pour ressusciter « sa mère » sont ceux que James doit obtenir dans Silent Hill 2 pour obtenir la fin « Résurrection de Mary ». Un lapin rose en peluche, similaire à la mascotte de SH3 du parc d’attractions, est visible par trois fois. Enfin, c’est surtout à Silent Hill 2 qu’on doit le plus de clins d’oeil : le caractère introverti du personnage rappelle parfois James Sunderland. Henry refuse aussi d’aller fouiller dans la cuvette des toilettes pour attraper un objet. Enfin, on trouve des mentions à l’infirmière s’étant occupée de Mary pendant sa maladie, et le gérant de l’immeuble n’est autre que le père de James Sunderland. SH4 s’apparente donc plus à une suite du deuxième opus, comme SH3 suivait le tout premier. Le côté glauque et lugubre, dans ses thèmes (brume, murs sanglants ou rouillés) y semble aussi plus lié. Et surtout : James pouvait déjà lire des articles parlant des meurtres de Walter, dans cet épisode.
Incontestablement différent, ce jeu a un air frais et un souffle de nouveauté après trois opus superbes. Difficile de dire s’il est plus ou moins effrayant : j’aurais tendance à dire non car il met moins à l’aise que les précédents niveau atmosphère, en dépit d’une musique toujours aussi belle, des sons toujours aussi perturbants (pleurs, cris, chute d’objets inconnus) mais il est indéniablement plus horrifique avec les fantômes apparaissant et les poltergeists de l’appartement, qui m’auront donné des sueurs froides. J’ai préféré au final regarder une vidéo sur Youtube pour voir à quoi m’attendre niveau phénomènes, plutôt qu’affronter directement l’inconnu… Bref, c’est différent, et ce n’est pas mon préféré car il n’est pas aussi intense que les autres, mais il est parfaitement appréciable. J’ai aussi lu qu’on pouvait considérer que Walter Sullivan était en vérité le seul héros et antagoniste du jeu, car toute l’histoire tourne autour de lui, des mondes parallèles qu’il a crées, de sa quête, de ses meurtres, de son passé qu’on doit découvrir – par rapport à un personnage principal plutôt là par hasard et un peu apathique qui n’a aucune obsession reflétée dans le monde symbolique de Silent Hill. Pourquoi pas, encore que rejouer au jeu aidera sûrement à se faire à cette idée.
La pensée qui me sera restée persistante dans ce jeu, est aussi que j’avais là ce qui était les prémices de P.T. Silent Hills, à savoir la démo jouable du dernier Silent Hill qui a été annulé. Repasser sans cesse par l’appartement, par les mêmes lieux qui se modifient et gagnent en glauque à chaque passage, rappelle évidemment cette démo où on est en boucle infinie dans un couloir d’appartement (avec quasiment la même salle de bains !), poursuivi par un fantôme (à la 1ere personne, en plus), à récolter des indices, cherchant des différences pour essayer de sortir de l’endroit, avec la même tension sous-jacente : je sais que je dois avancer pour continuer le jeu et résoudre le mystère, mais je ne veux pas avancer parce que je sais ce qui m’attend : le fantôme qui va me tomber dessus, l’inconnu. C’est exactement cette sensation ressentie, encore que P.T Silent Hills est dix fois plus flippant que les autres réunis par son réalisme, même en regardant le walkthrough du jeu sur Youtube. Les autres similarités sont évidemment les fantômes, les événements surnaturels, la vision à la première personne, et cette idée angoissante que l’appartement, The Room, lieu de sûreté, devient un univers d’horreur.