Esprit d’hiver | Laura Kasischke (2013)

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J’avais déjà pu lire La couronne verte de Laura Kasischke, récit dont à présent je ne garde pas beaucoup de souvenirs à part un côté glauque et un sujet pesant (un voyage aux Etats-Unis qui se terminait mal pour une adolescente, qui finissait violentée). Malgré ce peu de souvenirs, je me rappelle avoir été assez séduite par le style d’écriture mystérieux et concis à la fois de l’auteure, qui arrive vraiment à planter une atmosphère plutôt prenante et inquiétante au fil des pages.

Esprit d’hiver n’échappe pas à cette manière d’écrire et y arrive sans doute même mieux : cette histoire qui semble simplement virer au petit drame au début, se révèle très envoûtante et même oppressante, au fur et à mesure qu’on tourne les pages. Il s’agit d’une mère et d’une fille, bloquées chez elles, le jour de Noël, par une tempête de neige qui empêche les autres membres de la famille de les rejoindre. Mais au fur et à mesure de la journée, la fille, Tatiana, se met à avoir un comportement de plus en plus étrange et même carrément digne d’un dédoublement de personnalité. Les indices sur le pourquoi de cette attitude sont donnés tout au long du texte, par des flash-backs de la mère, qui se rappelle comment elle a été adopter Tatiana en Sibérie avec son mari, comment l’enfant a grandi, pourquoi elle a fini par arrêter d’écrire des poèmes… Et on se retrouve avec un thriller paranormal qu’on n’attendait pas.

Les deux temporalités du récit se juxtaposent, parfois de façon un peu lourde et répétitive – tout comme l’utilisation un peu trop conséquente des mêmes termes ou d’images liées à la maternité – mais permettent d’élucider le mystère de « l’esprit d’hiver » qui semble hanter Tatiana. Un esprit, un « quelque chose » qui les aurait suivies depuis le voyage en Sibérie pour adopter l’enfant. Mais ce qui est vraiment fascinant dans ce texte court, c’est comment à l’aide de presque rien, de petites touches ici et là, de descriptions de Tatiana, l’auteur parvient vraiment à rendre la lecture oppressante, à mettre le lecteur mal à l’aise, et à inciter à aller ainsi jusqu’au bout du récit, qui forcément, comporte une fin pas totalement surprenante, mais tout de même glaçante. Celle-ci permettant d’ailleurs de donner un autre axe de lecture au récit.

Le livre est court, à peine 260 pages, et le style lui-même est direct, concis, mais il n’y avait probablement pas besoin de plus pour établir une telle atmosphère, et pour ne pas trop expliciter les lectures qu’on peut en faire, ni faire deviner à l’avance la résolution de l’histoire. Ce petit huis-clos parle du poids des héritages familiaux, brièvement des relations entre belles-familles, de la maternité et de l’opposition des adultes aux adolescents. C’est aussi une expression de la difficulté d’écrire, avec Holly, la mère, qui ne parvient plus à rédiger le moindre poème, et qui tout au long du récit est hantée par le fait de vraiment décrire ce qu’elle ressent par rapport à sa fille.

En somme, un petit récit assez prenant, plus que je n’y m’attendais, et plus marquant aussi, même si les deux personnages féminins exaspèrent parfois dans leur attitude et paraissent un peu tête à claque. Il sera sans doute intéressant de découvrir au moins un autre ouvrage de l’auteur, pour voir si ce style d’écriture mystérieux et inquiétant produit toujours le même attrait.

Et Holly pensa alors : Je dois l’écrire avant que cela ne m’échappe.
Elle avait déjà ressenti ça plus jeune – l’envie presque paniquée d’écrire à propos d’une chose qu’elle avait entraperçue, de la fixer sur la page avant qu’elle ne file à nouveau. Certaines fois, il avait failli lui soulever le coeur, ce désir d’arracher d’un coup sec cette chose d’elle et de la transposer en mots avant qu’elle ne se dissimule derrière un organe au plus profond de son corps – un organe un peu bordeaux qui ressemblerait à un foie ou à des ouïes et qu’elle devrait extirper par l’arrière, comme si elle le sortait du bout des doigts d’une carcasse de dinde, si jamais elle voulait l’atteindre une nouvelle fois. Voilà ce que Holly avait ressenti chaque fois qu’elle écrivait un poème, et pourquoi elle avait cessé d’en écrire.


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