Je n’ai rien à offrir. C’est le problème qui me hante depuis longtemps. Je me suis toujours senti comme un récipient vide. Avec une certaine forme, peut-être, mais exempt de contenu.
Dans la catégorie des livres dont le titre ne peut réellement se mémoriser, on trouvera le dernier roman d’Haruki Murakami. En dépit de cette blague très facile, j’ai beaucoup aimé ce livre, sans pour autant le qualifier de coup de coeur. L’auteur a écrit nombre d’ouvrages tous aussi fascinants les uns que les autres (ou presque, certains ne m’ayant laissé que peu de souvenirs) mais qui, à la lecture en tout cas, hypnotisent toujours et font plonger dans des univers toujours étranges et poétiques.
Je n’avais pas lu de Murakami depuis longtemps, après une période où j’en avais dévoré beaucoup, suite au coup de coeur de Kafka sur le rivage. C’est donc un cadeau de Noël que L’incolore Tsukura Tazaki, car je n’avais pas particulièrement envie de relire l’auteur après que 1Q84 me soit tombé des mains. Et finalement avec ce livre, j’ai retrouvé ce qui me plaisait chez cet écrivain : un récit d’apprentissage, d’initiation, dans un univers réaliste mais parsemé de fantaisie, de poésie et d’un très léger surnaturel. A cela, on retrouve quelques critiques sur la société actuelle, son hyper-consommation et ses médias, mais aussi sur les relations humaines. Et comme toujours, une musique omniprésente est là. Murakami parsème ses romans de références musicales à chaque fois, et ici, ce sera Le mal du pays de Lizst, dont l’écoute ne m’aura certes pas plus touchée que ça, à la fin de la lecture.
L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage nous entraîne dans la quête de Tsukuru, un ingénieur dans la construction de gares. Le jeune homme, suite à l’insistance de sa petite amie actuelle, revient sur une période particulière de son passé où il formait un groupe fusionnel avec quatre amis surnommés d’après des couleurs, suivant la signification de leur nom japonais : Bleu, Rouge, Noire et Blanche. Ces quatre personnes l’avaient brutalement rejeté et expulsé de leur groupe, sans qu’il sache pourquoi. Convaincu par sa petite amie qu’il ne pourra établir de relation stable tant que cette blessure affective reste ouverte et non élucidée, il les recherche pour leur parler, un à un, et savoir ce qui s’est réellement passé.
Il n’y a pas tellement d’action dans ce livre et pourtant les pages en ont été tournées très vite. L’auteur a une telle façon d’écrire qu’on se retrouve immédiatement immergé dans l’histoire, et on s’identifie assez facilement au protagoniste dans sa quête et son incompréhension. La poésie du texte nous emporte, tout comme les réflexions sur les relations humaines, qu’elles soient d’amour ou d’amitié. On ressent au fil des pages un côté mélancolique très prononcé, une philosophie stoïque et esthète, une certaine solitude de l’individu face à la société, une distance impossible à abattre, ce qui est récurrent dans les œuvres de l’auteur. Le narrateur est séparé des autres, dans une ville où il se contente de travailler, et en-dehors du groupe d’amis fusionnels de son lycée, aucune de ses relations n’a été réellement importante, jusqu’à sa dernière petite amie.
Le personnage de Tsukura est incolore, impersonnel, pour tout dire banal, comme beaucoup d’autres personnages de l’auteur. C’est cette même apparence ordinaire qui permet de dévoiler une belle introspection, un caractère pourtant juste et bon, avec un héros qui semble attendre la mort puis renaît, et effectue sa quête initiatique pour se sentir enfin plus vivant et en paix. En recroisant ses anciens amis, on voit d’autres portraits tout aussi intéressants, qui souhaitent eux aussi accéder à la vérité, et trouver la paix, seize ans après ce bouleversement dans la vie de Tsukuru. La fin du roman apporte cette sérénité, en tout cas, bien qu’il conserve aussi une étrangeté jamais réellement identifiée. C’est là un très beau livre de l’auteur, et peut-être un de ses meilleurs.
Le temps passé se changea soudain en une longue pique acéré qui lui transperça le cœur. S’ensuivit une souffrance argentée et muette, une colonne de glace qui emprisonnait sa colonne vertébrale. L’intensité de la douleur restait immuable. Il retint son souffle, ferma les yeux et l’endura.
Tsukuru réussit alors à tout accepter. Enfin. Tsukuru Tazaki comprit, jusqu’au plus profond de son âme. Ce n’est pas seulement l’harmonie qui relie le cœur des hommes. Ce qui les lie bien plus profondément, c’est ce qui se transmet d’une blessure à une autre. D’une souffrance à une autre. D’une fragilité à une autre. C’est ainsi que les hommes se rejoignent. Il n’y a pas de quiétude sans cris de douleur, pas de pardon sans que du sang ne soit versé, pas d’acceptation qui n’ait connu de perte brûlante. Ces épreuves sont la base d’une harmonie véritable.
Comme quoi, certaines thématiques se retrouvent partout. 😉
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Même là où on s’y attend le moins ! 🙂
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