Split | M. Night Shyamalan

split

Kevin a déjà révélé 23 personnalités, avec des attributs physiques différents pour chacune, à sa psychiatre dévouée, la docteure Fletcher, mais l’une d’elles reste enfouie au plus profond de lui. Elle va bientôt se manifester et prendre le pas sur toutes les autres. Poussé à kidnapper trois adolescentes, dont la jeune Casey, aussi déterminée que perspicace, Kevin devient dans son âme et sa chair, le foyer d’une guerre que se livrent ses multiples personnalités, alors que les divisions qui régnaient jusqu’alors dans son subconscient volent en éclats.

Split est le retour au cinéma du célèbre M. Night Shyamalan, connu pour ses thrillers fantastiques et pour ses fameux twist de fin. Bien que je n’apprécie pas toujours ses œuvres, ce réalisateur est peut-être un de mes préférés, et je suis toujours d’un œil ses projets. Depuis la première bande-annonce, Split donnait envie d’aller le voir, avec raison.

On reconnaît la patte particulière du réalisateur dans sa mise en scène. Les films de Shyamalan sont toujours imprégnés de symbolique, que ce soit au niveau des costumes ou des décors. Des décors, ici, on n’en trouvera que bien peu : la majorité de l’action se passe dans l’appartement de Kevin, une sorte de logement de fonction attenant une salle des machines sous un zoo. L’ouverture est elle aussi typique du réalisateur, nous plongeant d’emblée dans une scène d’anniversaire à un restaurant, où Casey se montre solitaire, exclue des autres à la fête d’une amie ; puis ensuite sur le parking non loin, où Kevin assomme le père de l’amie en question, prend le volant de la voiture où attendent Casey et ses deux amies. Cette entrée en scène reste purement mystérieuse dans le fait qu’on ne sait rien des raisons qui animent Kevin à organiser cet enlèvement, et que lui-même ne semble pas très convaincu de ce qu’il fait.

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La suite de l’histoire nous montre comment les trois amies finissent séparées, après des tentatives d’évasion, pour ne laisser que le point de vue de Casey. C’est d’ailleurs à travers ses yeux qu’on voit l’histoire, des flash-back de son enfance, et la danse des multiples personnalités de Kevin. A ce sujet, on aura parfois l’impression d’avoir été floué sur la marchandise, car au fond, nous ne voyons concrètement que 5 personnalités (3 autres de manière fugitive) dont 4 apparaissant dans la bande-annonce. Mais ce serait renier, à tort, l’excellent jeu d’acteur de James McAvoy. Il parvient à donner corps et vie à ces cinq personnages, plus que personnalités, chacune ayant une manière différente de se vêtir, de parler, de se mouvoir, au point que je regrette presque d’avoir vu ce film en VF (version pourtant honorable) pour ne pas profiter du jeu de l’acteur sur le travail des voix. On identifie ainsi vite chaque personnalité à chaque apparition, à la manière de Tatiana Maslany et ses clones dans Orphan Black. Bref, James McAvoy se révèle impressionnant, tour à tour capable d’une immense froideur, d’expressions d’innocence enfantine, de féminité ou bien de férocité bestiale. Ses entretiens avec sa thérapeute, où une personnalité joue le rôle d’une autre, sont aussi brillants pour montrer son habileté de jeu.

Face à lui, dans ce huis-clos relativement oppressant, mais guère effrayant, on trouve l’héroïne, Casey, jouée par une douée et émouvante Anya Taylor-Joy. Tout d’abord, le portait de l’adolescente peut nous surprendre, proche du mutisme, taciturne, renfermée, peu sociale avec ses deux camarades d’enlèvement, mais douée de force et d’obstination, toute en finesse. Après tout, quand se révélera la 24e personnalité de Kevin, elle se transforme en victime d’un film slash, qui tente d’échapper au meurtrier en cavale. Les flash-back éclairent son histoire, sa manière d’être : on ne peut que regretter que cette importance soit peut-être moins subtile que dans les anciens films du réalisateur. Quoiqu’il en soit, à l’instar de Kevin, c’est aussi un portait d’asocial, de personnage blessé par la vie, à l’écart des autres, en-dehors de l’humanité, qui chérit seulement la solitude. Pas le genre d’héroïne qu’on voit habituellement, avec pourtant du répondant et une intelligence certaine. Elle est, avec James McAvoy, indéniablement l’héroïne du film.

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L’histoire n’est pas simplement qu’un thriller fantastique. L’attention toute médicale et scientifique qui est portée à Kevin, par sa thérapeute, montre l’un des autres buts du long-métrage : démontrer à quel point les malades mentaux, ceux ayant vécu un profond traumatisme, en général, sont rejetés par la société, considérés comme des pestiférés. Cela se prouve autant par l’exclusion sociale soi-disant voulue de Casey, que par la solitude de Kevin, visiblement peu capable d’interactions sociales, enfermé dans un appartement souterrain parce qu’il ne peut faire autrement, avec le tumulte des personnalités en lui, qui prennent quand elles le souhaitent « la lumière », « le projecteur », et donc « conscience ». Ainsi, la thérapeute donne à un moment une conférence via Skype, où elle tâche de convaincre que le trouble de la personnalité multiple est réel, et non une simulation. Ces préjugés sont ainsi critiqués dans le film, par l’ignorance des gens, leur incapacité à essayer de comprendre ce qui anime ou fait souffrir l’autre (Casey autant que Kevin) et leurs visions étroites. On peut, indirectement, regretter que le public du cinéma lors de la séance n’ait pas eu l’air très réceptif à cette critique en général, comme l’ont prouvé les gloussements idiots entendus dès que James McAvoy endossait la personnalité de Patricia et se comportait donc comme une femme.

La métaphore du film, elle, se révèle distinctement et peu à peu, tout du long, peut-être de manière trop explicite : c’est que les gens abîmés, exclus de la société, ne le seraient pas en l’absence d’une véritable souffrance à l’origine. Kevin, ainsi, souffre de ce trouble mental à cause de sa mère, qui le battait, voire pire. C’est aussi cette thématique qui se retrouve dans le film, la volonté de lutter contre ces enfances volées, ou détruites, par des maux qui perturbent ensuite la vie émotionnelle et affective des victimes devenues adultes, menant parfois à la répétition de ces actes. L’animalité dont fera preuve Kevin par moments, tout comme le fait que son appartement se situe sous un zoo, ne sont pas anodins.

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Tous ces éléments conjugués, de la mise en scène au jeu des acteurs, du huis-clos de l’histoire et de ses métaphores, font de Split un très bon film, auquel il ne manque sans doute que peu, pour le qualifier d’excellent. On retrouve la qualité des premiers films de Shyamalan, avec joie, tout en regrettant le petit ingrédient, de surprise ou de subtilité, peut-être, qui empêche le tout d’être magistral. On revoit avec plaisir l’habituel caméo du réalisateur, on apprécie aussi moins la dernière minute du film, qui ferait figure de twist, si elle avait été amenée de manière moins grossière et évidente.    

les-mille-et-une-vies-de-billy-milliganUne dernière chose à souligner est que Split est inspiré d’une histoire vraie, ou du moins son origine repose sur l’existence d’un véritable homme ayant eu 24 personnalités : Billy Milligan (1955-2014), un Américain soigné pour trouble multiple de la personnalité, victime de nombreuses amnésies, accusé de vols et de viols, qui passa bien des années en prison après des procès controversés. L’histoire de Milligan est relatée dans l’excellent livre de Daniel Keyes (l’auteur de Des fleurs pour Algernon) Les mille et une vies de Billy Milligan, après deux ans d’entretiens avec cet homme. Il s’agit d’un livre de non-fiction passionnant, même si le sujet est assez sordide et problématique, et qui amène à comprendre pourquoi Milligan a développé 23 personnalités, comment il a vécu avec celles-ci et comment il a pu en guérir, en les réunissant en une seule, la 24e. Le livre est peut-être encore plus impressionnant que le film, par l’étalage de l’histoire des personnalités et les changements permanents de Billy Milligan face aux situations qui l’entourent, chaque « visage » ayant été créé pour faire face à une situation particulière, et chaque personnalité étant d’abord ignorante des autres, puis capables de communiquer ensemble et d’établir une stratégie, pour vivre au mieux.


12 réflexions sur “Split | M. Night Shyamalan

  1. J’avoue ne pas être fan des oeuvres où un comédien endosse plusieurs rôles, que cela soit physique, ou moral ; cependant, j’aime aussi les oeuvres très psychologiques, donc je pense que ça pourrait me plaire. Il va de soi que les troubles mentaux ne surgissent pas de nulle part, à moins qu’ils aient une source neuronale/physique. Mais si tu veux vraiment être confrontée à l’horreur que vivent les gens souffrant de schizophrénie, il y a des témoignages sur youtube, et des vidéos où des gens ayant des dédoublements de personnalités changent de voix, etc. 😉

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    1. Il te semble que le comédien ne parvient jamais assez à varier son jeu ? Je pense que le film peut te plaire, même si ça ne sera pas un summum de la surprise.
      Après, j’avoue que voir les vidéos de gens souffrant de ce type de maladies, sur Youtube, je ne sais pas. D’un côté, ils les postent probablement parce que cela leur permet d’avancer et de montrer aux autres, la réalité de ce qu’ils endurent ; mais quelque part je trouve que ça a un côté voyeuriste, qui me dérange un peu.

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      1. Non, c’est juste subjectif de ne pas être fan de cela. Il y a des comédiens qui varient leur jeu de façon bluffante. (Tom Hardy, Legend 😉 ). Internet est totalement voyeuriste, c’est à nous de savoir pourquoi on regarde une vidéo : pour éprouver un plaisir malsain, ou pour être informé et véritablement conscient. Les vidéos sur les horreurs des abattoirs ou sur les parties sensibles à voir d’un parcours trans, par exemple, sont aussi voyeuristes et difficiles à voir ; mais sans elles, on avancerait encore moins qu’on ne le fait actuellement. Bref, le cinéma c’est bien ; mais biaisé, s’informer sur la réalité, c’est parfois mieux. Et puis le débat peut aller loin : un film tiré d’une histoire vraie n’est-il pas en partie voyeuriste ? ;p

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      2. Une vidéo sur les abattoirs sera quelque chose de documentaire : en revanche, dès que ça concerne une personne, il faudrait plus ou moins avoir la permission donnée personnellement de regarder, et bien que ce soit mis sur Internet de façon publique, quand c’est des sujets aussi sensibles que des maladies mentales ou un parcours trans, il y a un petit pas à franchir, certes. Même si c’est après tout mis là pour en effet aider à mieux comprendre la réalité d’un sujet. Après, Split est tiré d’une histoire vraie sans qu’il y ait grand chose à voir entre Milligan et le Kevin du film, à part le trouble dissociatif de base. Pour le bouquin, Milligan a donné, avec la publication, la permission d’accéder à son histoire. Le débat pourrait aller très loin….

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      3. L’argument que tu me donnes n’a rien à voir avec l’idée de l’intérêt de regarder une vidéo, ou non. Cela concerne seulement la notion de vie/propriété privée. Or, l’utilisateur youtube ne peut rien y faire. Cela concerne le site. 😉 Et même si des vidéos sont mises à l’insu de certaines personnes, il y en a qui veulent vraiment témoigner et être entendus. On ne peut pas qualifier ceux qui répondent à leur appel, de voyeurs 😉 Après si on ose par voir une vidéo, par sensibilité ou autre, c’est donc une autre histoire.

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      4. Oui, c’était le côté vie privée, qui me gênait, même s’il est évident que la permission en est sous-entendue du fait que ce soit mis en ligne. Quand il s’agit de sujets aussi sensibles et personnels, ça devient justement plus sensible de les regarder, que des vidéos faites par des critiques de films, livres ou jeux vidéos. Enfin, ce n’est que mon avis.

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  2. McAvoy est phénoménal ! M.Night Shyamalan signe son retour et j’ai hâte de voir ce qu’il nous réserve pour la suite.

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    1. Désolée, votre commentaire était dans passé dans les indésirables et je ne le vois que maintenant ! Je suis tout à fait d’accord, McAvoy était très bien dans ce rôle, même si j’aurais aimé le voir avec plus de personnalités encore. Je suis un peu dubitative pour la suite (j’ai trouvé un peu gros le twist de fin), mais j’irai sans aucun doute le voir, comme le réalisateur marque un bon retour.
      J’apprécie beaucoup votre blog, je le lis peu à peu ! 🙂

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