La série Sherlock est revenue il y a plus d’un mois pour sa quatrième (et dernière ?) saison. Bien qu’il reste la possibilité d’une cinquième saison, ces trois nouveaux épisodes tendaient à une fin, à boucler un cycle. Au regard de ce qu’ils ont apporté, et en observant avec recul, les quatre saisons, les créateurs de la série ont dit l’essentiel. Si cinquième saison il y a, ce ne sera que bonus, ou dérapage. C’est l’occasion de donner ici un regard d’ensemble à une série de qualité, qui aura été distillée au compte-gouttes.
« The game, Mrs. Hudson, is on ! »
Sherlock a considérablement modernisé le héros d’Arthur Conan Doyle, lui attribuant une modernité pourtant fidèle à l’essence du personnage. La série a donné un autre regard sur la relation qu’il entretient avec John Watson, mais aussi avec tous les autres protagonistes, de ses alliés (Mycroft, Lestrade, Molly Hooper) à ses ennemis (Irène Adler ou Jim Moriarty). Elle a réinventé les enquêtes de Sherlock Holmes, les parsemant de références, d’humour, d’action, de situations parfois invraisemblables, de fan-service ; tout en donnant un magnifique coté esthétique à voir, une ville de Londres plutôt sombre que brillante. Sherlock a aussi lancé ce qui devient de plus en plus présent maintenant dans les séries, les insertions qu’on pourrait presque qualifier de « réalité augmentée » avec les inserts de sms, de mails, ou encore l’exposition du « mind palace » de Sherlock à l’écran : une innovation utile et superbe.
La série s’est aussi caractérisée par le soin et la beauté apportés à ses répliques. Certains dialogues, pessimistes, lucides ou drôles, sont mémorables, tout comme certaines scènes qui en ont fait bondir, ou s’impatienter plus d’un : comment oublier la fin de la saison 1 avec Sherlock sur le point de tirer sur Moriarty, ou la fausse mort de Sherlock à la fin de la saison 2 ? On a, au sein de la série, un merveilleux jeu d’acteurs, tout en nuances, en expressions et mimiques, une série habitée par ses personnages et la vie qu’y insufflent les comédiens, parfaits et pourtant drôles en même temps.
« That’s what people DO ! »
Pourtant, Sherlock n’est pas exempt de défauts. Peut-être des défauts qui sont le propre de Steven Moffat, malheureusement, comme le prouve son travail inégal sur Doctor Who, parti en grand n’importe quoi. On compte ainsi une saison 3 plus que moyenne, malgré un épisode 2 (le mariage de Watson) qui a relevé un peu son niveau, et ce en incluant l’épisode victorien spécial « The Abominable Bride », avec des intrigues abracadabrantes. Un méchant qui tire sa révérence trop vite et qui n’insuffle pas tant de terreur que ça, ou encore le décevant fait, même si voulu, de ne jamais avoir l’explication réelle de comment a survécu Sherlock à sa chute, et avec un « retour » miracle de Moriarty qui paraissait un grand n’importe quoi digne de Moffat. Malheureusement, ce dernier semble doué pour bâtir des intrigues et du suspens, mais beaucoup moins pour les résoudre de façon convaincante. De manière générale, si les saisons 1 et 2 sont parfaites, la saison 3 n’a pas du tout le même niveau, laissant un goût d’inachevé, d’ennui, et comme d’une moquerie envers le spectateur, par son invraisemblance.
L’autre défaut – peut-être subjectif – qui fait que la saison 3 a été moins réussie, est le personnage de Mary, la femme de John. Malheureusement, je n’ai jamais trouvé l’actrice convaincante, et le personnage au background sur-développé d’agent secret à la retraite, encore moins, ni sa relation avec John. La rendre aussi importante au cours de la saison, a manifestement imprégné tout le reste. Moffat ne sait pas vraiment écrire les personnages féminins : une critique qui lui a été adressée à plusieurs reprises, même si Irène Adler et Molly Hooper sont tout de même très réussies, dans deux caractères différents.
« My name is Sherlock Holmes. » « The detective ? » « The pirate. »
Malheureusement, par conséquent, cette faiblesse se perpétue jusqu’à l’épisode 1 de la saison 4. Pour tout dire, je n’ai rien retenu de cet épisode, ou pas grand-chose, à part que Mary décède dans une autre intrigue délirante. Je me suis alors dit que la saison 4 serait, encore une fois, moyenne, mais les deux autres épisodes, The lying detective, et The final problem, ont relevé le niveau. Ils n’ont pas rattrapé la brillance des deux premières saisons, mais ils s’en sont rapprochés, si bien qu’on se retrouve de nouveau happé par la série, par ses personnages, ses intrigues et une ambiance soigneusement construite.
The lying detective revient avec un méchant au final encore plus écœurant et hypocrite que celui de saison 3 : Culveron Smith, avec un sacré jeu d’acteur qui tient tête à Sherlock avec brio. Un hypocrite, oui, un méchant qui joue sur le fait même qu’on le croit vulgaire et diabolique, pour en ressortir plus innocent. Quant à Sherlock, on le voit, pour ramener vers lui un John qui lui en veut d’être soi-disant à l’origine de la mort de sa femme, sombrer dans un état lamentable, à la limite de la mort, avec une conviction impressionnante. Bref, cet épisode est fascinant par son jeu de faux-semblant, et l’apparente impossibilité de Sherlock à arrêter un criminel, pour une fois.
Il y aurait tant à dire sur The final problem, mais je ne spoile pas tout, pour laisser un plaisir de découverte. On repart là avec du Sherlock en grande fanfare, avec une importante place donnée à Mycroft et Molly Hooper ; on a les explications de certains mystères disséminés depuis le début, comme la mort de Moriarty, ou pourquoi Sherlock rêvait d’être pirate, enfant. On voit, en une heure et demie, nos trois personnages principaux – Sherlock, John, Mycroft, réunis dans un huis-clos poignant et oppressant, un horrible jeu de manipulation – passer par toutes les émotions possibles, les masques tomber. Les explosions de sentiments dans une série censée être cérébrale ne sont que plus impressionnantes. Et l’antagoniste est lui aussi fascinant, dans cet épisode, jusqu’à la presque toute fin – une sorte de Hannibal Lecter terrible. Pourtant, cet antagoniste a lui-même quelques défauts : il faut accepter son existence encore une fois abracadabrante (ce qu’on fait toutefois avec un certain plaisir), sa fin somme toute simpliste au vu du portrait qu’on en dresse, ce qui mène aussi à une fin d’épisode un peu… mitigée, classique, mais qui ne pouvait toutefois être autrement, au final. Mais c’est un peu bâclé, un peu moralisateur, malgré tout.
Ce dernier épisode aura été réellement prenant, avec un sens implacable de l’oppression, des pièges, de la manipulation dans laquelle sont piégés nos héros. Ce huis-clos fait ressortir tout en eux, des sentiments profonds, aux extrêmes dont ils sont capables, allant même jusqu’à nous déranger un peu durant le visionnage, nous faisant nous demander comment on aurait réagi à leur place. Pendant cet épisode, on angoisse, on est véritablement transportés dans l’histoire, cherchant sans doute désespérément un peu de souffle dans la noirceur de l’intrigue et de ses conséquences poignantes.
The final problem est aussi la résolution finale : on comprend tout, on voit les indices laissés ici et là par les créateurs de la série, et on arrive au bout du cycle de la série. Après cela, l’essentiel a été dit, d’où le fait que la 5e saison n’est pas si nécessaire que cela, à part pour faire durer le plaisir. Mais tout a été raconté. Il n’est guère possible d’en faire plus sans donner l’impression de piétiner dans les mêmes chemins, aussi passionnants soient-ils.
« You told me once…that you weren’t a hero. There were times when I didn’t even think you were human, but let me tell you this. You were the best man, the most human … human being that I’ve ever known … »
Cette 4e saison a permis de comprendre ce qu’est la globalité de la série. Sherlock, comme l’indique le fait que seul le prénom du célèbre détective soit utilisé, tourne autour de ce personnage mais surtout de son âme, de sa psyché, de son esprit. Tout au long des saisons, nous le voyons évoluer, du détective autiste et sociopathe, à un être plus humain même si encore dérangé et éloigné des rangs de l’humanité. Il découvre l’amitié avec John Watson, des relations troubles d’admiration et de haine avec Moriarty et Irène Adler, un début de fraternité avec Mycroft ; il découvre que lui aussi peut ressentir la peur, la trahison, la colère, la volonté de faire passer les autres avant lui et son égoïsme. Sans le rendre pathétique ni sentimental, il s’ouvre durant toutes ces saisons à l’humanité qu’il a si soigneusement mise à distance.
Il nous livre les clés de son esprit : d’abord avec le mind palace qui représente son intellect, puis son inconscient, voire ses cauchemars, notamment lorsqu’il se rêve enfermé avec un Moriarty prisonnier d’un asile. Ce sont ses amitiés avec John, Lestrade, son affection pour Molly, Mrs. Hudson, qui sont peu à peu démontrées ; mais aussi ses psychoses et névroses, avec ses prises de drogue semi-suicidaire, l’antagoniste du Final problem, celui de The lying detective qu’il considère comme le pire de ses ennemis. On a pu voir les extrêmes dont il était capable, en tuant l’antagoniste de la saison 3. Sherlock nous montre que son héros n’est pas un ange, ni un être dénué de sensibilité, ni une simple machine mécanique et intellectuelle, mais un être profondément humain, bien qu’il ait nié ou refoulé cet aspect pendant longtemps.
Ce que Sherlock nous a permis de faire pendant quatre saisons, finalement, c’est tout un voyage intérieur dans ce qu’est, ressent, perçoit le détective : les enquêtes ne servent qu’à mettre en valeur, à faire ressortir ses émotions et les évolutions qu’il connaît, depuis sa rencontre avec John Watson. Outre la modernisation de la série, c’est une autre vision du héros de Conan Doyle, plus intérieure, plus intime, et qui ne dénature pas le personnage. Les extrêmes du spectre de son esprit nous sont dévoilés par des sentiments, des thématiques différentes suivant les saisons : maintenant, tout ce voyage intérieur est effectué. Le détective n’est plus le pur sociopathe du début, mais quelqu’un qui, en se frottant à l’humanité, a fini par en acquérir : tout en conservant son étrangeté. Il n’est que plus passionnant, sans perdre sa complexité, ni son côté énigmatique.
« PS, I know you two. And if I’m gone, I know what you could become. Because I know who you really are. A junky who solves crimes to get high. And the doctor who never came home from the war. Will you listen to me? Who you really are, it doesn’t matter. It’s all about the legend. The stories, the adventures. There is a last refuge for the desperate, the unloved, the persecuted. There is a final court of appeal for everyone. When life gets too strange, too impossible, too frightening, there is always one last hope. When all else fails, there are two men sitting arguing in a scruffy flat like they’ve always been there, and they always will. THE best and wisest men I have ever known. My Baker Street boys. Sherlock Holmes and Dr Watson. »