Silent Hill Origins (Silent Hill Zero de son titre japonais) est le cinquième titre de la série homonyme. Sorti en 2007, chronologiquement, cet opus se passe avant Silent Hill premier du nom, puisque son histoire se déroule plusieurs années auparavant.
Travis Gardy est un routier, plutôt solitaire et mal à l’aise avec le contact humain en général. Lors de sa dernière mission de transport, passant par Silent Hill pour un raccourci, il aperçoit au loin la silhouette familière d’Alessa vêtue de sa robe bleue, et freine avant de l’écraser. Mais la jeune femme disparaît, quand il descend sur la route, après s’être étrangement reflétée dans son rétroviseur. Il part alors à sa recherche et arrive devant une maison en feu. N’écoutant que son cœur, il sauve Alessa des flammes, avant de s’évanouir. A son réveil, il décide de partir en quête de la jeune femme pour savoir si elle en s’est sortie, malgré ses brûlures…
Cette review du jeu contient des spoilers sur l’intrigue de l’histoire.
Considérations techniques et d’atmosphère
Silent Hill Origins est le premier opus à être développé d’abord sur PSP avant d’obtenir un port vers la PS2. On peut donc en conclure qu’une partie de la beauté et de la précision des graphismes y ont été perdus, car même si mes heures passées devant Silent Hill : The Room, datent de l’an dernier, je trouve ce jeu nettement moins beau que le précédent. Mais la partie purement technique peut expliquer cela. Le jeu est aussi moins long (moins d’une dizaine d’heures), empêchant de se sentir pleinement absorbé dans l’atmosphère à long terme. La quête se compose principalement de la recherche des quatre parties du Flauros, un artefact permettant de libérer Alessa de l’emprise de la secte menée par Dahlia Gillespie (Silent Hill 1) et de la libérer. En cours de route, on en apprendra plus sur le passé de Travis et ce qui l’a mené à croiser la route de cette ville aux étranges pouvoirs. On croise également des personnages du premier opus : Dahlia Gillespie, le docteur Kaufman ou encore Lisa Garland, l’infirmière.
D’autre part, la musique en elle-même, bien que toujours composée par Akira Yamakoa, reste beaucoup moins en mémoire que les bandes-son des autres jeux. Conséquence du changement de l’équipe créant le jeu (la Team Silent des quatre premiers opus n’est plus aux commandes), on sent bien quelque chose de différent, même si Silent Hill Origins reste fidèle à l’esprit de la série. A sa charge, on doit toutefois préciser que l’équipe Climax a eu peu de temps pour développer le jeu et que celui-ci a d’ailleurs différé des idées d’origine, qui faisaient un peu trop Resident Evil. Les effets sonores ne sont pas confiés à Yamakoa, et on a donc moins droit à cette musique « organique » qui prenait tant aux tripes auparavant. Les décors sont moins beaux, moins soignés ; on ressent moins l’impression de décrépitude et beauté horrifique, malgré la présence de la rouille, de la brume et de l’obscurité. Les expressions de Travis sont elles-mêmes moins émouvantes.
Pourtant, des nouveautés appréciables sont là : le héros peut se battre à mains nues, l’inventaire redevient illimité pour accueillir des armes diverses (couteau, planche de bois, machine à écrire, katana…) qui se détruisent au bout de quelques coups. Des quick time events (courtes séquences où il faut appuyer sur une touche précise) sont là envers certains ennemis ; cela, c’est dans les nouveautés un peu lassantes à la longue.
Le dernier grand changement, c’est la partie corrompue de Silent Hill – l’Otherworld – n’apparaît cette fois que par l’action du joueur. Alessa, reflétée dans un miroir, montre à Travis qu’en touchant cette surface, il peut se projeter dans cet univers parallèle où les monstres règnent davantage et où les murs sont empreints de lézardes, de sang, où tout semble bien plus sombre et sanglant. Il faudra utiliser cette technique plusieurs fois au cours de la partie pour avancer dans le jeu et débloquer des pièces. Cet effet est particulièrement poétique, proche de la beauté horrifique de Silent Hill, notamment au sein du Artaud Theater qu’il faut fouiller : le miroir nous permet d’accéder à un décor prenant vie, alors que dans le vrai monde il ne s’agissait que de décors en carton-pâte.
Le héros à double visage
Il m’est difficile de commenter ce jeu, car je n’ai pas vraiment apprécié Silent Hill Origins, tout en me demandant si y rejouer une deuxième fois ne me permettrait pas d’aimer davantage cet opus. La qualité graphique est en cause, mais la raison principale de mon manque de fascination pour cet opus est simplement le fait que je ne me suis pas du tout attachée au personnage de Travis. Le jeune homme ne manque pourtant pas de qualités, entre son altruisme, sa colère et son sarcasme, quelquefois. Après tout, quel moment jubilatoire quand, après qu’Alessa l’ait fait tourner en rond pour son Flauros, sans jamais dire un mot, il se saisisse d’elle avec violence pour lui hurler :
« Pourquoi tu ne me laisses pas oublier ? Pourquoi m’infliges-tu cela ? J’ai récupéré cet objet pour toi ! Tu es contente ? Tu as déterré mes parents ! Et maintenant ? Quand est-ce qu’on va voir ce qu’il y a à l’intérieur de ton esprit pervers à toi ?! »
Cet éclat de colère de la part de Travis est probablement l’un des moments les plus forts du jeu, en faisant reconsidérer Alessa : tantôt victime, tantôt démon, elle se sert après tout des autres personnages (Travis, et plus tard, Cheryl et Harry Mason) pour arriver à ses fins, quitte à les manipuler, leur faire affronter d’horribles souvenirs ou en sacrifiant quelqu’un. On pense aussi au fait que Silent Hill est souvent une représentation de l’esprit pervers des personnages ou d’Alessa. Cette réplique est un des pivots du jeu. Silent Hill Origins ressemble davantage, dans sa structure, à Silent Hill 2 au niveau de la quête du personnage principal, bien qu’on y trouve tout l’aspect secte maléfique, forces surnaturelles.
Travis est en effet un monsieur-tout-le-monde mais qui croise la route de Silent Hill, parce qu’il y est attiré. Ou en tout cas, Alessa le fait s’y arrêter, mais elle ne le choisit peut-être pas par hasard, et en le faisant agir pour elle, rechercher le Flauros, elle l’amène aussi à se confronter à ses propres démons. Travis, comme James Sunderland avec Pyramid Head, se retrouve à croiser le chemin d’un étrange monstre qui en tue d’autres, le Boucher. Comme on le sait, Silent Hill est symbolique : la ville reflète l’esprit de celui qui la parcourt, son inconscient. Le Boucher, ici, notamment au vu de son attitude violente, devient donc l’expression de la colère refoulée de Travis et du chaos qui l’agite.
Tout au long du jeu, Travis fait peu à peu la lumière sur son passé et ce qui le hante. On apprend ainsi que sa mère était devenue folle et a essayé de le tuer, encore enfant, proclamant qu’il était un démon et allait tuer des gens. Puis les choses deviennent encore plus tragiques, quand on comprend que peu après, son père, désespéré d’avoir dû abandonner sa femme et même faire croire qu’elle était morte pour la sécurité de son fils, a fini par l’envoyer jouer dans un hôtel de Silent Hill, avant de se suicider. L’attitude de Travis, adulte, son renfermement, sa colère, sont évidemment liés à ces souvenirs de son passé qu’il avait plus ou moins occultés. Toutefois, même avec cette vérité à l’esprit, le jeune homme reste volontairement dans Silent Hill afin d’aider à la libération d’Alessa, qui lui a permis de recouvrer la mémoire.
Le boss final vaincu – une sorte de monstre sorti de l’imaginaire d’Alessa, mais dont l’affrontement a lieu dans l’esprit de Travis, drogué par Gillespie et Kaufman – la jeune femme peut scinder son esprit en deux et donner naissance à Cheryl, qui sera récupérée par Harry Mason et sa femme. Travis repart alors de la ville, ayant réussi à s’accepter lui-même et à se libérer de la culpabilité de la mort de ses parents. Il s’agit d’une fin étonnamment heureuse pour un opus de la série. Enfin, presque…
Comme dans tout Silent Hill, il existe des fins alternatives. La fin UFO traditionnelle, avec des extra-terrestres qui viennent enlever Travis. Mais aussi celle qui complète et éclaircit d’autres aspects du jeu, et qui ne peut être mise en route qu’en refaisant une deuxième partie : il faut avoir tué plus de 200 monstres pour l’obtenir. Dans cette fin, Travis, après le combat final, se retrouve attaché solidement à une table dans un supposé hôpital de la ville ; des membres de la secte l’observent après lui avoir injecté un produit inconnu. Il est tourmenté par des échos de cris de personnes sur le point de mourir, incluant une femme disant qu’elle n’est pas sa mère, ou son père disant à son fils d’arrêter ce qu’il fait. L’image du boss le Boucher se mêle à sa figure, et il a les mains en sang. Il est à supposer, avec cette fin, que Travis a déjà commis des meurtres par le passé, incluant celui de son propre père, et que c’est ce passé sanglant qui l’a amené à Silent Hill.
Les mécanismes de la peur
Compte tenu de la condition pour avoir cette fin, et de la fameuse question posée dans Silent Hill 3 (« They were monsters to you, the ones you killed ? »), on peut conclure qu’il est effectivement un meurtrier et qu’il lui a fallu affronter cette vérité au cours du jeu. Le personnage devient alors nettement moins sympathique, mais beaucoup plus intéressant : on comprend pleinement le symbolisme du Boucher croisé au cours du jeu, qui ne serait autre que Travis lui-même. On a en effet des notes parlant de dédoublement de la personnalité à un moment, ce qui serait le cas du héros. D’autre part, on voit également dans l’hôtel où est mort le père de Travis, des photos de femmes assassinées, qui peuvent être les victimes du routier. Alessa a alors fait le choix de Travis comme son vaisseau, non seulement parce qu’il était dans le coin de Silent Hill, mais aussi en raison d’un passé que lui aussi doit expier, comme James Sunderland. Ainsi, malgré que la première fin soit celle canonique dans l’histoire du jeu, celle-ci peut aussi être considérée comme le fait que Travis continue à refouler ses meurtres et continue sa vie sans s’être confronté à la vérité.
Ces mécanismes psychologiques sont communs à tous les Silent Hill, ou presque : la ville est le reflet de la psyché du personnage principal. Les décors, les notes trouvées ici et là en font partie, tout comme les monstres. On trouve ici encore des infirmières, des êtres emprisonnés dans des sortes de camisoles (l’enfermement, le conflit intérieur de Travis), des sortes de monstres à deux dos (sexualité refoulée), des marionnettes-automates brisées (l’enfance perdue de Travis, peut-être), sans oublier les boss que sont les parents de Travis ou encore le Boucher. D’ailleurs, il est intéressant de noter que c’était les gens derrière les miroirs qui disaient à la mère de Travis, que son enfant était dangereux (pour prévenir ses futurs meurtres ?) et que Travis utilise les miroirs pour passer d’un monde à l’autre. L’atmosphère du jeu en devient troublante.
Pourtant, pour une fois, il y a effectivement trop de monstres, au point que les habituels mécanismes de la peur ne fonctionnent plus, en dépit de la brume. On sait qu’à chaque changement de décor ou presque, il y aura des monstres : on en devient vite plutôt agacé. Il n’y a rien qui fasse peur ou mette terriblement mal à l’aise, dans cette sorte d’oppression si propre à Silent Hill. Pas d’événements purement inexpliqués et aléatoires, des bruits sonores frappants. Les décors sont moins plaisants à traverser. Si j’ai beaucoup aimé l’atmosphère lugubre du théâtre, et un peu l’hôtel abandonné, le deuxième « monde » de l’asile psychiatrique, certes immense et sombre, était le seul à inspirer un peu d’angoisse, vite balancée par l’énervement d’avoir à courir dans des endroits presque trop grands. Je pense aussi que le manque de longévité du jeu a nui à l’atmosphère générale. Il arrive toujours un moment où on se sent prisonnier de Silent Hill, où on ne voit pas la fin, où le fait d’être autant de temps dans le jeu, fait son charme. Cela n’a pas eu lieu ici.
Conclusion
Pour éclaircir les aspects toujours troubles du jeu, on peut toujours s’appuyer sur les chansons de Mary Elizabeth McGlynn, qui laisse la liberté d’interpréter les paroles selon les fins obtenues. Malgré cela, il demeure que Silent Hill Origins, en dépit d’avoir un personnage et une intrigue plus profonds qu’ils n’en ont l’air, ne m’a pas marquée plus que cela. Le manque d’empathie envers Travis empêche forcément d’apprécier autant le jeu : malgré les révélations sur son passé, rien ne me faisait autant le prendre en compassion, ou avoir peur pour lui, que pour James Sunderland ou Henry Townshend. Je n’ai d’ailleurs pas trouvé très choquant les libertés prises avec les personnages de Kauffman et Lisa par rapport au premier opus. Ou bien peut-être que je ne me souviens pas assez bien de ce premier volet pour vraiment m’en offusquer. En somme, ce Silent Hill Origins manque de quelque chose : peut-être un peu d’âme ou de cœur, et de véritable frayeur.