L’opéra Tosca joué cette année au MET aura connu plusieurs déboires : retrait de son premier, puis deuxième chef d’orchestre (pour des raisons de morale), puis jeu des chaises musicales des trois chanteurs principaux (Jonas Kaufmann, Kristine Opolais et Bryn Terfel) pour diverses raisons, toutes différentes. Au final, pour cette retransmission live dans les cinémas, c’est Emmanuel Villaume qui a pris la direction musicale, et Sonya Yoncheva qui a hérité du rôle de Tosca, Vittorio Grigolo du rôle de Cavaradossi et Zeljko Lucic de celui de Scarpia.
En plein travail dans l’Eglise Sant’Andrea della Valle, le peintre Mario Cavaradossi, amant de la (jalouse) Tosca, accepte d’aider le prisonnier politique Angelotti dans son évasion. Le chef de la police Scarpia, dont les visées politiques cachent un rare sadisme, est lancé à sa poursuite et découvre très vite l’implication de Cavaradossi. Seul moyen de parvenir à ses fins : utiliser la belle Tosca, cause de tous ses fantasmes. Cavaradossi arrêté, Scarpia croira un instant posséder la belle, avant qu’elle ne le poignarde. Les sombres calculs de Scarpia lui survivront : passé un bref espoir, Mario mourra finalement exécuté, tandis que Tosca, rattrapée par son crime, se jettera du haut du Château Saint-Ange.
Que dire de cette production de Tosca ? Tout d’abord, son retour aux traditions. La précédente mise en scène de Luc Bondy avait été appréciée, décriée, comme cela se fait toujours dans le monde de l’opéra dès qu’on commence une modernisation du spectacle. En tout cas, il est certain que cette mise en scène de David McVicar est on ne peut plus traditionnelle. Elle situe l’intrigue dans les trois lieux de son époque, l’Église Sant’Andrea, le Palais Farnese et le Château Saint-Ange. Ce qui donne la présence de décors impressionnants, réalistes et immenses, permettant une belle immersion dans l’action de l’année 1800. Chacun a sa propre atmosphère, et cela se révèle particulièrement vrai dans l’acte II, avec une demeure de Scarpia aux couleurs rougeoyantes menaçantes, et un ciel de tempête impétueuse à l’acte III, dénouement tragique final.
Quant à la troupe, elle est sans nul doute bien trouvée, même si pour cette version, l’innovation n’est pas vraiment de mise. Mais cela permet une prise de rôle aux deux jeunes amants, Tosca et Cavaradossi, et le retour à un personnage bien connu pour l’interprète de Scarpia. Sonya Yoncheva est une Tosca convaincante, jalouse, amoureuse et puérile (presque trop) comme réclame le premier acte, toutefois avec une certaine fierté. Quand elle bascule dans le tragique, l’héroïsme et même la frénésie meurtrière au second acte, c’est d’autant plus marquant. Le troisième acte la voit faire preuve d’une naïveté amoureuse presque partagée avec Cavaradossi, lui qui semble pourtant deviner le destin funeste qui l’attend, dans une certaine clairvoyance. Pour le reste, Vittorio Grigola se tire plutôt bien dans le rôle, y apportant un enthousiasme et une vigueur peut-être tout à fait italiennes, en tout cas rafraîchissantes. Zeljko Lucic est un habitué du rôle de Scarpia et nous le fait ressentir, prenant visiblement plaisir à jouer l’un des méchants les plus sadiques et noirs de l’opéra – même si sa direction d’acteur n’est pas toujours parfaite et parfois un peu trop théâtrale. Son Scarpia n’est pas le plus sophistiqué, mais il est sournois et machiavélique comme il le faut.
Pourtant, il faut admettre qu’il manque quelques petites choses pour sentir le charme opérer totalement. L’émotion a parfois du mal à réellement émouvoir, justement, peut-être dû aux petites maladresses de Tosca et Cavaradossi, peut-être parce que les entractes se révèlent longues et cassent un peu l’immersion. Si le côté traditionnel de la production permet d’en prendre plein les yeux pour les décors et les costumes, il manque effectivement un petit quelque chose qui rendrait le tout encore plus aventureux et passionné, comme l’avait été le visionnage de la version de 2013. Certains éléments manquent de cohérence également, comme le fait que le couteau utilisé pour poignarder Scarpia soit presque un couteau à beurre… Ce qui n’empêche pas l’opéra de fonctionner, d’être saisissant, surtout à l’acte II qui est toujours empli d’une incroyable tension dramatique.
Et, après le tollé médiatique qu’a engendré une version de Carmen où l’héroïne survit, on ne peut s’empêcher aussi de penser que Tosca ne serait plus jamais écrite et composée ainsi de nos jours. L’histoire est trop sombre, trop violente et trop prompte aux « problématiques », entre le suicide de l’héroïne, le chantage et les avances sexuelles de Scarpia, que Tosca permette un semblant de funérailles à son agresseur… Pourtant, ça n’empêche en rien cette histoire d’être belle vocalement et musicalement, d’avoir des personnages bien campés et intéressants, et même passionnants, d’avoir une fin tragique logique dont le funeste en fait toute sa force… Tosca est ce qui se rapproche le plus d’un thriller dans le monde de l’opéra, et c’est bien de là que vient sa puissance. Même après plusieurs visionnages, son intrigue en huis-clos est toujours aussi impressionnante et tendue, et chaque interprète y apporte sa touche et sa variation, parfois ses contradictions.