Ça faisait un bon moment que je n’avais pas parlé d’opéra, bien qu’ayant toujours quelques spectacles à voir sur mes étagères.
J’ai d’ailleurs fait la découverte de La Nonne Sanglante (François Gounod), adaptation partielle du Moine de M.G. Lewis à l’Opéra Comique, sur Culturebox, et il est possible de visionner l’opéra jusqu’au 18 décembre. Il est rare qu’un opéra aborde autant les histoires de fantôme, alors, pourquoi pas, même s’il n’y a là-dedans rien de véritablement terrifiant, seulement une belle atmosphère et de bons interprètes.
Passons maintenant aux deux autres opéras que j’ai eu le plaisir de découvrir cette semaine…
Don Giovanni (Mozart), film-opéra de Joseph Losey, 1979
Don Giovanni est considéré comme un chef d’œuvre et comme l’opéra des opéras, à juste titre. Pourtant, n’étant pas particulièrement fan de Mozart, je n’avais jamais vu que le début et une scène finale de l’opéra, et un air souvent repris dans des concerts classiques, Là ci darem la mano. Adaptation du célèbre mythe de Don Juan, le film de Losey reprend le pari d’adapter de nombreux opéras en film et avec des décors naturels, comme cela se faisait beaucoup dans les années 70-80.
Il faut le dire, le film accuse son époque et la conception de l’opéra dans ces années-là : il y a parfois de la lenteur exagérée, les chanteurs sont relativement statiques, même si le montage, les changements de plans de caméras, dynamisent bien l’ensemble. Pourtant, tout est dans la subtilité et le détail, car la troupe est ici constituée d’artistes fameux, et musicalement, ils sont tous superbes.
Ruggero Raimondi est Don Giovanni, avec un plaisir non dissimulé et charismatique, tant il adore les rôles de méchants, ayant joué le séducteur libertin des centaines de fois. Il est effectivement séduisant, tout en donnant à voir le côté calculateur et ironique du personnage, son absence de soumission aux règles, se comportant en vainqueur tout du long, jusqu’à la scène finale où le Commandeur vient le chercher pour l’emmener en Enfer. Là, le masque du libertin se fissure, quand bien même il refuse de se soumettre et de choisir la rédemption, face à la promesse de la mort. José Van Dam est un excellent contre-pied en tant que son serviteur Leporello, tantôt drôle, tantôt lucide et faussement compatissant envers les victimes de Don Giovanni. Il est tour à tour celui qui tente de rappeler la réalité à Don Giovanni, tout en subissant trop son influence pour véritablement chercher à quitter cet homme. Les deux rôles féminins, Donna Anna (Edda Moser) et Donna Elvira (Kiri Te Kanawa) sont aussi superbes, même si leurs rôles sont inégaux : ma préférence va à Donna Elvira, qui essaye de se faire justice et poursuit Don Giovanni, pour tenter de le faire changer de vie. Elle se montre bien plus combative que Donna Anna, même si c’est le père de celle-ci qui entraîne, sous forme de spectre, Don Giovanni en Enfer. Les autres rôles ne sont évidemment pas à oublier, de même que la présence du valet en noir, rajouté dans ce film et inexistant dans l’opéra, qui se comporte comme un spectateur des faits et gestes de Don Giovanni. Silencieux et pourtant visible de tous, il est témoin de la vie dépravée du séducteur, semble parfois deviner les événements avant qu’il n’arrive (la direction de son regard indique l’arrivée de futurs personnages), et sans doute est-il là pour juger la décadence de Don Giovanni…et son absence de rédemption.
La mise en scène, précieuse, se marie merveilleusement bien aux décors, tournés en Italie. Ceux-ci sont baroques, impressionnants, dès qu’il s’agit de scènes intérieures, mais les scènes extérieures ne sont pas en reste, donnant à voir des canaux, des marais, des jardins, ou même des villages. On est plongés dans une richesse artistique qui sied bien à l’œuvre et à Don Giovanni, qui séduit aussi bien les femmes nobles que modestes. Chaque plan pourrait être un tableau, tant il fourmille de détails et de soin, que ce soit pour les décors, ou pour les costumes. C’est autant un film d’époque qu’un film-opéra. Et puis, la scène finale avec le Commandeur a beau être aujourd’hui un peu dépassée dans sa conception, elle est admirable de force et de menace, avec la musique de Mozart et le talent de ses chanteurs.
Der Rosenkavalier (Strauss), mis en scène au Metropolitan Opera, 2017
Avec un saut de quarante ans ou presque entre ces deux productions… J’ai enfin pu voir Der Rosenkavalier (Le Chevalier à la Rose) enregistré au Metropolitan Opera de New York. Cette production était spéciale, car elle était l’adieu au rôle de la Maréchale pour Renée Fleming, et aussi, pour Elina Garança, l’adieu à ses rôles de « trousers », autrement dit les rôles travestis où une mezzo-soprano joue le rôle d’un homme.
Cet opéra-ci, par rapport à Don Giovanni, est bien plus une fantaisie. La Maréchale, une femme d’âge mûr, a pris en amant un jeune homme, Octavian, pendant l’absence de son mari parti à la guerre. Faninal, le cousin de la Maréchale, un homme aussi rustre que vulgaire sous couvert de noblesse, vient lui demander une rose d’argent pour la présenter à sa future femme, Sophie. Faninal essaye de séduire Octavian, alors déguisé en soubrette pour ne pas éveiller les soupçons, en vain. La Maréchale intervient pour donner le change à son amant, et propose que ce soit justement Octavian qui amène la rose d’argent à la fiancée, en gage du futur mariage. Mais lorsque Octavian apporte ladite rose, il tombe amoureux de la future femme de Faninal. Ce dernier ne cesse de se montrer vulgaire auprès de sa future épouse. Octavian imagine alors un stratagème pour le ridiculiser, et lui donne rendez-vous dans une auberge, déguisé en soubrette, pour le prendre au piège et montrer ses vices. La fin de l’opéra voit Faninal humilié, et la Maréchale, qui savait qu’Octavian finirait par tomber amoureux d’une fille de son âge, bénit le nouveau couple.
Somme toute, Der Rosenkavalier est une histoire bien classique, qui prend pivot sur des triangles amoureux et de quiproquos, avec ses clichés et ses retournements de situation habituels. Pourtant, il y a énormément de douceur et de mélancolie dans cet opéra, d’une certaine forme de sagesse aussi. La Maréchale représente l’expérience et le pardon : si elle a son cœur tiraillé en voyant son amant s’éprendre de quelqu’un d’autre, elle l’avait prédit depuis le début, même si Octavian, dans sa fougue de jeune homme, lui jurait le contraire. De même, si Faninal finit ridiculisé, c’est par la Maréchale que sa punition apparaît juste et non pas entièrement mesquine. Octavian et sa fiancée, Sophie, sont un duo de jeunes premiers, qui pourtant voudront d’abord montrer fidélité à la Maréchale, l’un, tourmenté et désolé de blesser son ancienne maîtresse, l’autre, tellement désireuse de montrer sa reconnaissance envers celle qui l’a sauvée de Faninal, qu’elle aurait mis son amour de côté. L’opéra est un témoin du temps qui passe, des sentiments qui changent en même temps que les âges de la vie évoluent, et il est en cela parfois prévisible, mais étonnamment juste et authentique.
Même si, comme sur tout scène et notamment dans les opéras, les jeux sont parfois exagérés, notamment du côté de Faninal, pour accentuer le comique des quiproquos, l’ensemble de la troupe est elle aussi très juste et très belle à entendre (même si c’est en allemand!). Renée Fleming est majestueuse, tantôt lumineuse, tantôt mélancolique, Erin Morley (Sophie) toute en pureté et en innocence, Markus Brück (Faninal) trop facilement détestable. Je ne peux évidemment pas m’empêcher de m’attarder sur Elina Garanca, qui sort ici de ses rôles habituels avec justesse, tant elle semble avoir travaillé son personnage au point d’être androgyne et fièrement ambiguë, tout en incarnant bien l’impulsion et l’ingratitude de la jeunesse. Elle est convaincante en rôle d’homme, tant par les gestes que par les attitudes, et la situation devient encore plus ironique quand son personnage de Chevalier doit jouer une femme pour embobiner Faninal. A noter d’ailleurs que le dernier acte, qui se passe dans un lupanar au lieu d’une auberge, fait de toute façon la part belle aux renversements de rôles, en présentant des figurants et seconds rôles également travestis. Der Rosenkavalier est très beau, très humain aussi, et superbement interprété, ce qui a rendu cet opéra bien plus agréable à voir et à entendre, que je ne le prévoyais.
Concernant Don Giovanni, je ne sais plus où j’avais lu ou entendu que le valet muet est une espèce de double de Don Giovanni. Si ce n’est pas déjà fait, il est maintenant impératif que tu regardes Amadeus.
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Je me rappelle que j’en avais entendu parler, qu’il pouvait être une double de Don Giovanni. C’est vrai que dans le costume et les cheveux, ainsi que le regard dénué de sentiment, ils ont une grosse ressemblance. En fouillant un peu, j’ai vu aussi que le valet muet pouvait être une incarnation de la fatalité. Les deux sont plausibles, mais je le vois davantage en incarnation du destin. Oui, j’avais vu Amadeus, grâce à toi, et j’avais beaucoup aimé. Il serait à revoir, d’ailleurs, il le mérite.
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