Lectures de novembre 2018

Sauveur et fils, tomes 2 à 4 – Marie-Aude Murail, 2016-2018

Le topo : Sauveur est psychologue. Dans son cabinet, pendant plusieurs années, défilent ses patients, nouveaux et anciens. La porte au fond de son bureau dissimule sa maison, seul le panneau de bois séparant sa vie privée, avec son fils, de sa vie professionnelle. Et l’homme, avec bienveillance et humour (autant que parfois, il est largué) accueille de nombreux cas de la vie de tous les jours…

Le résultat : Sauveur et fils est indubitablement une des meilleures séries jeunesse des dernières années. A travers le prisme d’un psy, de son fils, de ses patients, l’auteure aborde tellement de choses, tellement d’existences différentes, qu’il est difficile de ne pas céder aux charmes de cette histoire fluide, légère, écrite avec justesse. Elle arrive toujours à traiter de façon pertinente bien des thèmes, démolissant au passage bien des préjugés et incitant à une plus grande tolérance et compréhension de l’autre. Les patients de Sauveur vivent dans des familles recomposées, font face au suicide, au questionnement sur le genre, aux TOC, à l’hyperactivité des enfants, aux relations de famille, parents-enfants, frères et sœurs. C’est un condensé d’humanité et des problématiques d’aujourd’hui, sans céder au moralisme ou aux clichés, et Sauveur lui-même n’est pas parfait. Si la série est certes très feel-good, elle est tout de même très poignante par les thèmes abordés, et les péripéties font fermer les tomes les uns après les autres, sans qu’on les voit passer. Et elle est aussi imprégnée d’une tendresse authentique. Ce sont des romans pour enfants-ados, mais qui se lisent tout aussi bien sous un regard adulte. Un tome 5 est en cours d’écriture, paraît-il… Dernier argument de choc : il y a enfin des cochons d’inde dans le tome 4 (et non plus des hamsters).

Isidore et les autres – Camille Bordas, 2018

Le topo : Isidore est le petit dernier de sa famille atypique. Atypique, car ses frères et sœurs sont tous surdoués, en train de préparer des thèses ou deux masters en même temps. Isidore, lui, est bien moins intelligent que les autres, mais a en revanche moins de problèmes pour se sociabiliser. Il est même le seul véritable lien au sein de sa famille, entre des parents parfois dépassés, et les autres enfants surdoués peu habitués à vivre en société. Mais le jour où leur père disparaît, l’équilibre de la famille est remis en question.

Le résultat : J’ai lu Isidore et les autres en deux temps, et ma lecture a sans doute souffert de coupure, car j’ai moins apprécié le livre que je ne le pensais. Le roman est initiatique, en suivant l’itinéraire d’un enfant de douze ans dans la vie ; il touche aussi aux relations inter-familiales, qu’au ressenti d’être surdoué, qu’à l’amitié, la perte, le deuil… Le tout avec malgré tout un certain humour, une innocence souvent candide due à Isidore, et pas mal de satire sociale. Le décalage entre les frères et sœurs surdoués, et la réalité, la société, donnent lieu à des scènes tout de même assez savoureuses et lucides. Il y a une candeur assez adorable en Isidore, qui cherche sa place au sein de cette famille, allant parfois jusqu’à fuguer, avant de s’apercevoir trois cents mètres plus loin, ou deux heures plus tard, qu’il n’est même pas certain que quelqu’un s’apercevra de son absence. C’est aussi un bon roman sur l’adolescence, la solitude ou les indécisions propres à cet âge. C’est sans doute un des romans les plus intéressants de la rentrée littéraire, mais je n’ai pas eu de coup de cœur pour autant. A noter que l’auteure est française, mais vivant aux États-Unis, elle a écrit le roman en anglais, puis l’a traduit.

The Art of Alice Madness Returns – RJ Berg, 2011

Le topo : Un artbook retraçant la création du jeu vidéo Alice : Madness Returns, avec une introduction du créateur du jeu lui-même. Le livre présente les idées abandonnées lors de la création du jeu, les images concepts de sa production, les différentes esquisses d’Alice, de ses armes, des mondes qu’elle parcourt…

Le résultat : L’artbook passionnera tous ceux qui ont pu jouer aux jeux vidéos Alice d’American McGee. Non seulement il permet d’en prendre plein les yeux en découvrant tous les concepts artistiques autour de cet univers, mais aussi de voir l’évolution de la conception d’Alice, des idées abandonnées au niveau de l’intrigue, des armes… L’artbook est riche d’informations autour du jeu, sur sa production et ses aléas, et c’est un vrai plaisir de pouvoir ainsi continuer la plongée dans cet univers tantôt macabre, tantôt merveilleux, après avoir terminé le jeu.

L’amour qui me reste (L’amore chi mi resta) – Michela Marzano, VO 2017, VF 2018

Le topo : En Italie, Giada, la fille adoptée par Daria, se suicide. Le récit est alors un long monologue de sa mère, une interrogation sur l’acte de sa fille, les raisons qui ont pu l’y pousser. C’est aussi le témoignage d’une mère qui a perdu son enfant, un témoignage sur la maternité, l’adoption, tant du côté parental que filial, sur la recherche de la famille biologique.

Le résultat : Je n’avais pas lus de romans italiens depuis longtemps, alors, pourquoi pas… L’amour qui me reste aborde des sujets très durs, entre le suicide d’un enfant, l’adoption, le deuil, la (difficile) résilience après une telle tragédie. Mais le récit (a priori, non autobiographique) est relaté en finesse, en subtilité, avec sensibilité. Il parle du désir déterminé de Daria à avoir un enfant, en vain, avant qu’elle n’adopte Giada avec son mari. Il parle des relations familiales, des liens mère-enfants, de la tragédie de perdre un enfant, des conditions d’adoptions qui amènent, immanquablement, la personne adoptée à rechercher ses origines et à combler cette partie de sa vie. C’est autant un roman sur la perte que sur l’adoption. Il est, à de nombreux égards, très touchant et écrit avec une vraie sensibilité, montrant la dureté d’une telle épreuve. S’il se lit par conséquent très vite, pour autant, je suis restée un peu « en-dehors » de cette histoire, lui trouvant un quelque chose de gênant qui me mettait à l’écart, sans arriver à savoir pourquoi.

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres (My favorite thing is monsters), Livre premier – Emil Ferris, VO 2017, VF 2018

Le topo : Karen vit à Chicago, dans les années 1960. Mal à l’aise dans sa peau et au sein de sa classe, de la société, elle s’imagine plus aisément dans la peau d’un loup-garou, que d’une petite fille. Il faut dire que la jeune Karen est fascinée par les monstres hollywoodiens, du vampire au loup-garou, en passant par Jekyll et Hyde, ou encore les momies. Autour d’elle, il y a aussi sa mère, son frère, un peu Don Juan, mais qui l’emmène au musée d’art. Son père est absent depuis longtemps. Et puis, un jour, sa voisine se suicide. Karen est toutefois persuadée qu’il s’agit d’un meurtre, et se met à enquêter…

Le résultat : Moi, ce que j’aime, chez les monstres, a énormément fait parler de lui tant en Amérique qu’en France. L’auteure, contaminée d’une maladie partiellement paralysante à cause d’un moustique, a longtemps entendu qu’elle ne marcherait ou ne dessinerait plus jamais. A force de volonté et en attachant un stylo dans sa main, elle a fini par retrouver son art, passant un diplôme artistique à l’Université de Chicago. Il lui faut six ans pour finir les 400 et quelques pages de son roman graphique, imitant la forme d’un journal intime pour retracer la vie de Karen. D’où l’aspect cahier à spirales du livre (les trous dans les pages servent même aux dessins par moments), d’où cet aspect expressionniste dessiné uniquement au stylo à bille, avec une vraie patte caractéristique, du noir et blanc, mais aussi des couleurs violentes et sombres. En soi, le roman graphique lui-même est un objet assez unique, par son style et son univers, tout en reflétant un côté autobiographique puissant. Quant à l’histoire, si la vie est bien celle de Karen, une gamine atypique qui se veut un monstre, on parle aussi de l’après-seconde guerre mondiale, de la déportation, du sentiment d’être différent, des traumatismes familiaux, des fantômes qui hantent les existences, des monstres dissimulés chez les gens, des monstres qui représentent aussi l’innocence et l’imaginaire de cette étrange gamine, qui se dessine quasiment toujours en loup-garou. « Pourquoi vouloir être un monstre ? Parce qu’il n’y a pas mieux ! Quand on est un monstre, on fait ce que qu’on veux, on peut faire tout ce qu’il n’est pas possible de faire normalement. Et surtout, on n’est pas obligé de jouer un rôle imposé par les autres. On peut vivre son propre rôle. » (Culturebox) Il s’agit d’une œuvre véritablement étrange et frappante, comme on n’en croise pas toujours : et rien que pour ça, elle vaut amplement le détour. Je vous invite vivement à aller taper le titre du roman graphique dans la recherche images de votre moteur de recherche, pour réaliser l’étrangeté et la particularité de cette œuvre.

Le meurtre du commandeur, tomes 1 & 2 – Haruki Murakami, VO 2017, VF 2018

Le topo : Le narrateur vient de divorcer de sa femme, sans signe avant-coureur. Un de ses amis le laisse se réfugier dans la maison de son père, dans une montagne. Ce père était l’un des peintures les plus brillants du Japon, mais est aujourd’hui sénile, incapable de reconnaître son enfant. Dans cette maison, le narrateur entreprend de peindre enfin pour lui-même, lui qui ne faisait que des portraits pour gagner sa vie. Au grenier, il découvre une œuvre inconnue jusque-là, peinte par l’ancien maître des lieux : Le meurtre du commandeur. Le tableau représente une des scènes-clés de l’opéra Don Giovanni de Mozart. Mais ce tableau, révélé, entraîne la succession d’événements étranges, liés en secret les uns aux autres : la visite d’un voisin peut-être trop intelligent pour être honnête, une clochette qui résonne mystérieusement au milieu de la nuit…

Le résultat : Il est toujours très difficile de donner un synopsis d’une œuvre de Murakami. On craint de ne pas en dire assez pour intéresser ; mais en dire trop est un sacrilège qui empêche d’apprécier ses romans à leur juste valeur. Et puis, c’est tout le style de l’auteur, ses références, sa poésie, son ambiance intimiste, ses métaphores, qui donnent le charme à une intrigue qui pourrait sembler anodine ou incompréhensible. Le meurtre du commandeur est une autre preuve qu’il maîtrise toujours autant l’art de conter, sans jamais donner directement les clés de lecture à celui qui ouvre ses romans. On y trouve de l’art, de la musique, des réflexions sur la vie, sur le deuil, sur la nécessité d’avoir un sens dans son existence, sur ce qu’on laisse après son passage sur terre. Le surnaturel n’est aussi jamais bien loin… Ces deux tomes restent dans l’ambiance si propre et si hypnotisante de l’auteur japonais, qui se dévoile toujours lentement, mais sans qu’on ait pour autant envie d’arrêter la lecture. L’étrangeté s’immisce dans le quotidien d’une façon unique, révélant toujours les quêtes et tourments des personnages, et surtout du narrateur. Même si j’admets que le chef d’œuvre de Murakami restera toujours pour moi Kafka sur le rivage, qu’il n’a jamais réussi à égaler depuis dans mon ressenti de lectrice.


2 réflexions sur “Lectures de novembre 2018

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