La nuit a dévoré le monde – Martin Page (alias Pit Agarmen), 2012
Le topo : Antoine Vernet, après une soirée bien trop arrosée, se retrouve seul dans l’appartement parisien où il a passé la nuit. A l’extérieur, la police combat vainement une armée croissante de zombies, et la ville, ou le monde, se vident peu à peu de toute humanité. N’ayant rien d’un combattant, Antoine se barricade dans l’appartement, puis l’immeuble, ne cherchant qu’à survivre sans sortir…
Le résultat : Le monde post-apocalyptique empli de zombies est à la mode, trop peut-être, et pourtant, j’ai pris un certain plaisir à lire La nuit a dévoré le monde, qui avait reçu de bonnes critiques à sa sortie, et qui a été depuis adapté en film. Antoine n’a rien d’un héros, ni dans le monde d’avant, ni dans un monde empli de zombies, c’est même un peu un looser. Pourtant, à la manière du roman Je suis une légende (sans le côté scientifique), on assiste à son quotidien dans ce nouvel univers, à ses habitudes, aux routines qu’il met en place péniblement pour rester humain, pour continuer à vivre sans perdre la raison. Le récit n’a rien de terriblement original dans son déroulement, mais son intérêt vient dans toutes les réflexions qui surgissent dans la tête du personnage : pourquoi survivre, comment survivre, qu’est-ce qui le rend humain, lui qui est désormais le seul étranger face à la majorité des zombies ? Pour les amateurs de romans de zombies ou post-apocalyptique, ou ceux qui veulent un peu de réflexion sur l’existence humaine, la lecture de La nuit a dévoré le monde est drôlement sympathique, intelligente, et même touchante, en plus d’avoir un beau titre.
Et si l’amour c’était aimer ? – Fabcaro, 2017
Le topo : Henri et Sandrine sont un couple heureux, jusqu’à ce que Michel, ténébreux et séduisant, apparaisse en venant leur livrer leur plat de macédoine. Sandrine et Michel tombent amoureux…le couple marié résistera-t-il à un possible adultère ?
Le résultat : Je n’avais jamais lu Fabcaro jusqu’à maintenant, malgré tout l’excellent écho médiatique autour de lui. Et si l’amour c’était aimer ? – comme l’illustre son titre et sa couverture dégoulinantes de mièvrerie – est une parodie du roman-photo, une parodie des romans Harlequin, une parodie des traditionnelles histoires de trios amoureux. Les situations sont cocasses, les dialogues des personnages complètement absurdes, les clichés surexploités jusqu’au ridicule, on y trouve quelques réflexions vraies et intéressantes. Mais surtout, cette bande dessinée est une tranche de rire acéré, parfois de façon subtile, parfois de façon loufoque, qui tord le cou à tous les clichés des intrigues amoureuses. Et si le dessin de Fabcaro est extrêmement simple et ne plairait pas à tout le monde – moi-même je n’en suis pas particulièrement fan – c’est vraiment impossible de ne pas rire devant cette BD devant les quiproquos et la dérision de cette histoire.
Zaï zaï zaï zaï – Fabcaro, 2015
Le topo : Un auteur de bande dessinée fait ses courses, mais à la caisse, il se rend compte qu’il a oublié sa carte de fidélité. La caissière alerte la police, et très vite, l’auteur s’enfuit, poursuivi par la police, les autorités, cherchant refuge dans un monde qui le voit soudain comme un grand criminel et une menace pour la société.
Le résultat : Dans la même veine que la BD précédente, Fabcaro part d’une situation banale pour tirer un récit complètement absurde, empli de rebondissements déjantés, de situations délirantes, de répliques totalement dingues… La bande dessinée en profite pour tirer de nombreuses réflexions incisives et critiques sur la société, les normes, au-delà de son humour totalement acide. Que dire d’autre si ce n’est que c’est un plaisir à lire et qu’encore une fois, on ne peut que rire, tout en reconnaissant la justesse des critiques sur la société ?
Les petites distances – Véronique Cazot, Camille Benyamina, 2018
Le topo : Léonie et Max ne se connaissent que parce qu’ils partagent le même immeuble. Léonie est hantée par des traumatismes d’agression et croit vraiment voir des spectres toutes les nuits : Max est de ces personnes transparentes, trop timides pour s’imposer, et qu’on oublie facilement. Au point qu’un beau jour, il se retrouve véritablement invisible. Il se met alors à hanter Léonie, partageant son quotidien et éloignant ses cauchemars…
Le résultat : Troisième bande dessinée du mois, Les petites distances raconte une histoire d’amour tantôt réaliste, tantôt fantastique, proposant des portraits touchants des deux protagonistes principaux. Max, devenu invisible, hante Léonie, mais de manière positive, chassant ses cauchemars, l’aidant presque à ne plus être seule, lui témoignant des attentions qu’elle ne voit jamais, et qu’elle trahit quand elle invite d’autres hommes à vivre avec elle. Avec Léonie, c’est une image de la peur de vivre seule, de l’isolement, des traumatismes. Et Max, c’est une représentation de la solitude, de la timidité excessive, de se sentir transparent, jamais pris en compte. A eux deux, c’est aussi une critique de l’isolement, de l’absence de communication, bref, des maux modernes. Le tout étant emporté par un dessin empli de sentiments et coloré, parfois peu pudique, mais le tout avec sensibilité, sans sombrer dans le pathos ou les clichés.
L’ancre des rêves – Gaëlle Nohant, 2007
Le topo : Dans cette famille bretonne, ils sont quatre frères, et du plus jeune, encore bébé, jusqu’à l’aîné, adolescent, ils sont tous les quatre hantés par des cauchemars. Mauvais rêves liés à la mer, à des personnes inconnues, voire déjà décédées. L’aîné prend alors la décision d’enquêter, espérant enfin découvrir la raison de ces cauchemars de plus en plus terrifiants et réalistes.
Le résultat : Le premier roman de Gaëlle Nohant, plus connue pour La Part des Flammes, possède un style poétique et prégnant. Il parvient à nous faire vivre les cauchemars des enfants, à nous faire sentir les embruns de la mer et du climat de la Bretagne, à nous faire partager les angoisses des quatre frères. Je m’y suis sentie véritablement plongée et emportée par une atmosphère qui doit beaucoup à la poésie de la plume de l’auteure, à sa manière de nous faire vivre un pur mystère qui ne se dévoile que peu à peu. Ça faisait longtemps que je n’avais pas avancé dans un roman en me demandant souvent où l’auteur voulait m’emmener, cherchant en même temps que les héros les liens entre eux et leurs rêves. Au final, ce livre, qui flirte avec le fantastique, est une ode à la famille, parle des secrets du passé et familiaux enfouis, présente un hommage aux marins qui partaient en mer pour pêcher et qui y trouvaient souvent la mort : il aborde aussi le deuil, les liens d’une fratrie, la répercussion du passé dans le présent. Une belle lecture, même si elle a parfois quelques longueurs et que le mystère ambiant peut décourager.
Espace lointain – Jaroslav Melnik, VF 2017, VO 2008
Le topo : La société de Megalopolis est constituée, depuis des temps immémoriaux, d’aveugles. Les gens naissent aveugles, se déplacent grâce à des systèmes acoustiques, ont l’habitude de n’entendre que des voix et de ne percevoir le monde qu’à travers leur espace proche. Gabr Silk, le héros du roman, se retrouve frappé d’une maladie rare mais soignable, la psychose de l’espace lointain. Ainsi appelle-t-on la maladie où le patient voit en fait à nouveau… Terrifié par ces visions, il est ensuite contacté par des résistants, qui ont vu un jour avant de subir un traitement les rendant aveugles. Il apprend alors que son monde est misérable, que les gens autour de lui vivent dans des structures en béton remplis de tuyaux, que la ville repose sur du vide, que les citoyens ont une apparence de « créatures » et vivent presque à quatre pattes…Des réflexions s’imposent alors à lui : doit-il révéler la vérité aux aveugles, au risque de les pousser au bord de la folie et du suicide ? Peut-il encore se réintégrer dans la société après avoir perçu la beauté de la vue et de l’espace lointain ? Doit-on détruire le monde actuel pour imposer la vérité, si plus aucun humain ne peut ensuite vivre dans ce monde ?
Le résultat : Je n’avais pas lu de roman de science-fiction depuis longtemps, et me plonger dans cette dystopie qui vient de la Lituanie m’a permis de me souvenir de la qualité des livres de ce genre. Espace lointain est admirablement construit, l’action se nourrissant aussi de journaux intimes des différents personnages, d’extraits de presses du monde de Megalopolis, ou encore de poésies issues d’un monde où on vivait encore. Le roman présente bien des rebondissements, et on vit avec intensité les découvertes et réflexions du héros principal, qui nous renvoie à nos propres actes dans telle situation. A travers la réflexion dystopique traditionnelle, le roman a l’art de s’interroger sur les conséquences de dévoiler la vérité, sur la justesse d’un tel acte, au nom de l’égoïsme de quelques voyants et anciens voyants, sur la difficulté à se ré-intégrer dans le monde après avoir connu une vérité terrible. Ces interrogations sont d’autant plus fortes que le roman nous renvoie à notre société : l’espace proche si sécurisant et pourtant si réduit des aveugles est en quelque sorte notre propre cocon personnel, au-delà des limites de notre vie, quand on ne s’intéresse pas à ce qui se passe dans le monde ou à au-delà de ce qui affecte directement notre vie. C’est aussi une réflexion sur le fait de se contenter du quotidien en ignorant des beautés plus lointaines mais imposant la réflexion, comme l’art, le voyage, la confrontation à d’autres civilisations ou d’autres pays, d’autres points de vue. Espace lointain est donc très bien construit, mais propose aussi une lecture à plusieurs niveaux – notamment en proposant la vision d’une société où l’aspect extérieur ne compte pas, seulement la voix et les actes, ce qui renvoie aussi à l’importance exacerbée que nous accordons à la beauté et aux apparences aujourd’hui.
Les braises – Sandor Marai, VO 1942, VF 1958
Le topo : Henri et Conrad ont été meilleurs amis, pendant leur enfance, adolescence, jusqu’au début de l’âge adulte. Puis, un événement inexpliqué a poussé Conrad à partir un jour, coupant les ponts avec tout le monde, pour ne revenir que quarante et un ans plus tard. Les deux hommes, désormais âgés de plus soixante ans, se retrouvent donc pour une dernière conversation, celle qu’ils ont attendue toute leur vie et pour laquelle ils semblent même avoir survécu, affrontant les guerres et la décadence de l’empire austro-hongrois où ils ont vécu.
Le résultat : Les braises avait été un coup de cœur pour moi à sa première lecture, il y a quelques années, et je l’ai relu plusieurs fois depuis. C’est un roman intimement lié à l’Histoire, puisque les deux personnages, d’origine hongroise comme l’auteur, subissent les années écoulées et les changements de régime, de deux manières différentes : Henri en s’accrochant au passé, aux anciennes valeurs de la bourgeoisie, en militaire qu’il est, et Conrad, avec plus de recul, sa sensibilité se tournant davantage vers l’humain et la musique. Tout le récit est constitué d’un dialogue entre les deux hommes à la fin de leur vie, évoquant souvenirs communs passés, mais aussi ce qu’ils ont fait pendant les quarante ans de séparation. Ils finiront par évoquer, peu à peu et avec subtilité, les raisons du départ de Conrad. Lire Sandor Marai, c’est comme lire Stefan Zweig : c’est entrer dans la psychologie des hommes, des relations humaines, en détail, avec beauté. Les braises évoquent le temps passé, le rapport à l’Histoire, la perte des valeurs, mais surtout l’amitié, ce qu’on se doit les uns aux autres, les loyautés et valeurs qui comptent véritablement le long d’une vie, ainsi que la dissemblance des caractères. Le roman évoque aussi la musique, l’amour, bref, tout un large panel de sentiments humains, de réflexions, avec une plume poétique et grave, qui ne fait qu’enchaîner des perles les unes après les autres. Certes, il est ancré dans une époque et mentalité propre à l’auteur (certains passages semblent critiquer l’homosexualité et font froncer les sourcils, par exemple) mais cela demeure un roman universel et prenant à lire.
Eh bien, que de jolies lectures pour le mois de janvier ! L’Ancre des Rêves et Espace lointain me tentent vraiment bien tous les deux ! Je ne connaissais ni l’un ni l’autre, mais tu me donnes très envie de m’y intéresser. Et par la même occasion, tu me donnes aussi envie de relire Les Braises, qui avait été aussi un gros coup de coeur ! C’est d’ailleurs à toi que je le dois 🙂
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Oui, cela a été un mois plutôt plaisant et avec des lectures finalement aimées, en me laissant guider par l’instinct ! Je te conseillerai plus volontiers Espace lointain (que j’ai davantage aimé, tout simplement) mais l’Ancre des rêves a de quoi te plaire aussi. J’ai eu aussi envie de relire du Sandor Marai…il y en a quelques-uns que je n’ai pas encore lus ^^ de rien pour Les braises !
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