Comme beaucoup certainement, j’ai une affection mitigée pour le réalisateur M. Night Shyamalan. Sixième Sens a été le premier film du réalisateur que j’ai vu (et lu par le biais de la novélisation du film) et j’ai toujours été fascinée par cette histoire du petit garçon qui voyait les morts, émue par ses aspects symboliques et sa fin douloureuse. Par la suite, j’ai vu quelques-uns de ses films avec satisfaction et plaisir, excepté parfois pour leur fin ridicule (The Village, Signes) ou avec peu d’intérêt au visionnage (Phénomènes, Incassable). En revanche, Split avait été une belle découverte cinématographique, d’autant plus attendue qu’elle était en partie inspirée de l’histoire vraie de Billy Milligan. Je n’aurais donc pu manquer d’aller voir Glass, qui fait se croiser les personnages d’Incassable et de Split dans un épisode final, quand bien même je n’avais vu Incassable qu’une seule fois, et l’avais trouvé long et presque ennuyeux. Il est donc possible de voir Glass avec peu de souvenirs des deux films le précédant, cela ne gêne pas tant le visionnage que cela.
Glass permet de voir David Dunn (Bruce Willis), le héros d’Incassable et justicier dans l’ombre, être donc à la poursuite de la Bête (James McAvoy), dernière personnalité de Kevin, qui a des personnalités multiples. Mais lorsqu’il parvient à mettre la main sur la Bête, la police intervient et les emmène tous deux à l’hôpital psychiatrique où est déjà enfermé Mister Glass (Samuel L. Jackson), l’ennemi de David. Là, le docteur Ellie Staple (Sarah Paulson) tâchera de les convaincre que leurs prétendus super-pouvoirs peuvent être expliqués rationnellement, et qu’ils doivent se convaincre d’être de simples humains, s’ils veulent retrouver la liberté.
Au-delà de ces quatre personnages, nous en trouvons également trois autres, dans des rôles secondaires mais tout aussi importants : la mère d’Elijah/Mister Glass, le fils de David et enfin Casey, la jeune fille laissée vivante par la Bête.
Une conclusion satisfaisante
Glass est le film concluant Incassable et Split, bien que les deux premiers volets aient été séparés par seize ans d’écart. Le risque était que les raccords entre ces deux films paraissent grossiers, et ils sont finalement plutôt bien gérés dans ce dernier film. Car c’est bel et bien une même mythologie qu’on voit s’affiner, celle des super-héros : Elijah a une intelligence hors norme, le contribuant à être hors des rangs de l’humanité et à devenir le villain de cet univers. David possède une force surhumaine, et enfin, Kevin possède sa 24e personnalité, animale et sauvage, aussi forte que David. Le but d’Elijah sera de faire s’affronter une fois pour toutes David et Kevin, afin de dévoiler la présence véritable de super-héros à l’humanité – autrement dit, le but opposé à celui du docteur Staple.
Il serait injuste de ne pas souligner le jeu des acteurs, qui parviennent à rendre crédible et même poignante tout le dilemme du film : nos trois personnages sont-ils des êtres hors normes, ou de simples humains qui se bercent de délires de puissance ? David paraît imperturbable à bien des égards, droit et silencieux, mais ce n’est qu’une façade, car il a derrière lui la mort de sa femme, ou encore la culpabilité de mettre son fils en danger par ses activités de justicier dans l’ombre. Elijah est réduit à un légume, prisonnier d’une chambre d’hôpital où son esprit puissant ne peut réfléchir à sa mesure, incapable de toute façon de véritablement aller dans le monde extérieur à cause de sa maladie des os de verre. Et puis, qui pourrait l’atteindre dans les sphères de son esprit ? Quant à Kevin, on aura droit à un aperçu de toutes ses personnalités – parfois trop bref à mon goût – montrant bien à quel point il est difficile de vivre avec ce trouble mental, et sa difficulté à vivre au sein de la société. Quant au docteur Staple, il est agréable de la voir en femme décidée, mais en même temps douce, rationnelle et bienveillante – loin des personnages interprétés par l’actrice dans American Horror Story. A leurs côtés, le trio de personnages secondaires est mené habilement et avec une résonance juste. Je ne peux cacher une certaine affection pour l’actrice Anya Taylor-Joy, qui s’illustre dans la réserve de son personnage Casey, l’introversion et pourtant la foi, la loyauté, dont elle fait preuve tout au long du film.
Globalement, Glass est bien mené, et nul besoin de connaître par cœur les deux films précédents pour le comprendre : on a quelques flash-back ou récapitulatifs fluides ici et là. Le film ne manque pas de rythme, s’illustrant certes par des scènes d’actions, mais aussi par des dialogues parfois fins et symboliques. D’ailleurs, le long-métrage prend simplement le temps nécessaire pour bien s’installer, ainsi que mettre en place ses personnages et leurs enjeux. C’était un critère déterminant pour arriver à soulever ainsi plusieurs émotions distinctes et poignantes tout au long de l’histoire. L’ambiance et l’esthétisme du jeu jouent aussi beaucoup sur cette réussite, notamment avec les diverses couleurs affiliées à chaque personnage, y compris dans leurs costumes.
La fin du film n’est pas aussi tirée par les cheveux que dans certaines oeuvres de Shyamalan, bien qu’elle puisse paraître un peu tiède au vu de tout ce qui s’est passé dans le film. Mais elle tient la route, et, sur certains aspects, elle est tout simplement déchirante.
Une réflexion sur les super-héros et la fragilité humaine
Glass flirte sans cesse avec le fantastique. Les personnages sont présentés comme des super-héros, de base, par leurs exploits précédents, mais la justesse et la pertinence du film est de montrer, par le docteur Staple, à quel point tout ceci ne pourrait être qu’une illusion et une rêverie de leur part. Ce qui leur apparaît comme un moyen de se sauver, de sentir finalement légitimes, c’est bien cette conviction de super-pouvoir, d’être hors-normes. Enlevez-leur cette illusion, et ils doivent retourner à une vie terne, normale, où ils doivent affronter des blessures psychiques ou physiques insupportables, bien plus douloureuses que les luttes imaginaires qu’ils mènent. Glass se permet de déconstruire les mythes du super-héros, le rapportant à des explications scientifiques, à des phobies d’enfance, à des maladies bien réelles, et il y arrive plutôt bien. En effet, ce ne sera pas à un seul, mais même à au moins deux moments, où l’on se met à douter de la réalité des pouvoirs des personnages, soit par cette pure et logique déconstruction sans faille, soit parce que leurs pouvoirs les amènent à de tels actes qu’on ne peut les considérer que comme fous. Il y a ainsi un mélange de pitié et de fascination qui naît pour nos trois personnages principaux, et parfois une furieuse envie de leur ordonner de cesser leur délire de super-héros, en voyant les dommages collatéraux. Alors que l’instant d’avant, on avait justement envie de les inciter à croire en eux-mêmes et à leur vérité, pour qu’ils continuent à posséder une raison de vivre et d’être. Cela ne peut que démontrer à quel point le film a atteint sa réflexion avec justesse.
Par ce biais, on revient aussi plus généralement au pourquoi on ressent le besoin d’inventer, de lire ou d’entendre des histoires fantastiques : pour expliquer ce qui ne peut l’être, pour trouver un remède à une souffrance du passé, pour éviter d’affronter la réalité, pour fuir une société qui nous rejette. Glass est aussi une ode au fait de croire, au fait d’avoir besoin de l’imaginaire et du fantastique, pour aller de l’avant, pour supporter la réalité, tout simplement. C’est sans doute pourquoi le film se révèle aussi touchant et porté sur la résilience, au-delà des images populaires de super-héros auxquels nous sommes de plus en plus habitués avec les films DC et Marvel. Pourtant, dans Glass, on ne trouvera pas ces mises en scène grandioses, bien au contraire, avec pertinence puisqu’il s’agit là de déconstruire le mythe par la science et la psychologie, opposées aux comics et à l’imaginaire.
Conclusion
En somme, Glass n’est pas parfait, possédant quelques petits défauts, frôlant parfois le délicat équilibre entre ridicule et fantastique. Mais il a une belle ambiance, servie par de très bons acteurs, et un propos extrêmement intéressant sur l’image du super-héros ainsi que sur l’imaginaire en remède à la réalité. Et cet aspect, plus réfléchi et plus psychologique, n’empêche pour autant pas de savourer le film pour ce qu’il est à son premier niveau de lecture : un film de super-héros, certes différents de ceux de Marvel ou de DC, mais tout aussi impressionnants.
Hello ! Je suis ravie de lire ton article très riche et très complet sur Glass, d’autant que l’on entend un peu tout et son contraire au sujet de ce film. Je n’ai pas eu le temps d’aller le voir, mais il me tentait bien, car j’avais adoré Incassable, malgré ses quelques faiblesses. Je n’ai jamais vu Split en entier, et il faudrait vraiment que je le voie, car je pense qu’il est quand même nécessaire de l’avoir en tête pour appréhender Glass. Ton article me rend vraiment curieuse de ce film et du message qu’il véhicule. Ce sont d’ailleurs les principales raisons qui me font aimer les films de Shyamalan, leur contexte fantastique et le message très humain qu’il y a derrière… Je crois vraiment que j’adorerais voir Glass. Je note !
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Bonjour Clelie ! Je pensais au contraire qu’il faisait un peu près l’unanimité, tout le monde en disant globalement les mêmes choses. J’ai très peu de souvenirs d’Incassable (pas beaucoup aimé), mais de très bons de Split. Ce dernier est certes bien nécessaire pour appréhender le personnage de Kevin/la Bête. Mais je pense que Glass te plaira bien : on peut en faire plusieurs lectures, et au final le fantastique sert à une histoire très humaine, tu as bien résumé. De ce que je pense, pas de raison que ça ne te plaise pas ! (et je suis sûre que tu aimerais beaucoup la relation entre Kevin et Casey !)
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Ta critique rejoint d’autres que j’ai entendues ou lues sur le sujet, même si certains ont été moins convaincus. J’étais tenté par le film, mais il sortait au moment où j’étais sur KH3. Tant pis ! Je le verrai à l’occasion, car il m’intrigue beaucoup, même si je ne l’attendais pas non plus avec ferveur.
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Oui, mon avis n’est guère original, et je suis simplement une bonne spectatrice (j’ai aussi baissé ma « jauge » d’attente pour les films de ce réalisateur, étant donné que les fins déçoivent très souvent). Mais il devrait te plaire, il est quand même très sympa, même avec des défauts.
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