Hellblade : Senua’s Sacrifice est un jeu vidéo sorti sur PS4 en 2017, sur Xbox en 2018 et ce mois-ci sur Switch. L’aventure de Senua a été un vrai coup de cœur et une expérience vidéoludique aussi impressionnante qu’immersive. Alors, si le trailer du jeu vous plaît, je ne peux que vous conseiller de ne pas lire cet article et de foncer jouer au jeu (avec un casque), sans a priori, sans écho, sans en savoir davantage sur les mécaniques du jeu ou du scénario. Il y a peu de chances que vous le regrettiez. La partie « Senua’s Sacrifice » aura sa part de spoilers, mais le reste de l’article non. Enfin, avec du retard, Hellblade correspond au Gaming Challenge de mars 2019, Senua étant un coup de cœur et donc « un personnage génial ».
Une quête au cœur de la mythologie nordique
Ou la relecture inversée d’Orphée aux enfers
En 875 après Jésus-Christ, l’île d’Oakney au nord de l’Écosse est envahie par des hordes vikings. Seule survivante de son village dévasté aux corps brûlés, éviscérés, Senua découvre le cadavre sacrifié de son bien-aimé, Dilion. Elle décide alors de partir à Helheim, le monde des morts nordiques, pour négocier avec Hela, la géante maîtresse des lieux, l’âme de son amant.
Une brume envahit un lac, dans lequel se glisse lentement une barque menée par l’héroïne. Seuls les remous de l’eau accompagnent l’avancée de Senua. Puis, peu à peu, le paysage se dessine, avec les décombres d’anciens drakkars, des cadavres noyés dans l’eau ou pendus à des piliers de bois, jusqu’à l’arrivée d’une crique. Tout le paysage est étrangement calme et sinistre, troublé seulement par la voix d’une narratrice calme, qui nous annonce le désir de Senua : trouver Hela et marchander le salut de l’âme de son bien-aimé, Dilion. Mais ce ne sont pas les seules voix que l’on entend. Au fur et à mesure des secondes, ce sont aussi des rires moqueurs et méprisants, des avertissements, des encouragements, qui résonnent dans le casque, tout autour de soi : des voix dans la tête de Senua. Quand l’héroïne pose le pied à terre, la peur et l’appréhension s’intensifient, les voix la disant incapable de survivre. Mais c’est quand elle se tourne soudain face à nous, le joueur, nous regardant fixement, que le visage de Senua devient plus déterminé. Il n’y a pas de retour en arrière, dit-elle. En repoussant, d’un coup de pied, la barque qui aurait pu nous ramener vers une réalité plus humaine et moins mythologique.
Cette première ambiance, oppressante et sombre à souhait, n’est que le début du jeu qui sera dans la même veine. Hellblade nous fait voyager sur une île dont les alentours se révéleront caverneux, emplis de galeries souterraines, de monts et chemins pentus, entourés de forêt. Que ce soit au bord d’une plage ou près d’un immense arbre, les cadavres abondent partout, témoignant de la mort omniprésente sur l’île, et du sinistre destin qui attend quiconque y pose le pied. Pénétrer dans l’édifice où se trouve Hela ne se fera pas sans affronter des ennemis aux masques d’animaux morts, des boss enflammés, ou des créatures terriblement difformes et angoissantes, ainsi que de résoudre des énigmes. Fort heureusement, Senua est une guerrière picte assez redoutable, et ne montre qu’une bravoure désespérée et déterminée face à ses ennemis.
Hel ne te donnera pas les réponses que tu cherches. Mais tu ne dois pas te détourner de l’horreur qu’il t’offrira, car tu ne peux pas dépasser la souffrance si tu refuses de l’affronter.
Se lancer dans Hellblade, c’est ainsi reprendre le célèbre mythe d’Orphée parti à la recherche d’Eurydice aux Enfers, mais cette fois dans la mythologie scandinave et en inversant les rôles. Dans des paysages sublimes, aussi solitaires que déshumanisés, Senua croise aussi des pierres marquées de runes, qui lui en apprendront plus sur les mythes nordiques, et donc sur les endroits qu’elle traverse, ou les ennemis qu’elle rencontre. Rien d’obligatoire, même si cela permet de s’immerger davantage dans l’histoire et d’obtenir un trophée – et le platine – supplémentaire, ainsi qu’une scène inédite à la fin du jeu. Si Dante, lors de sa traversée de l’Enfer italien, avait Virgile en guide, ici, c’est Druth, l’ancienne victime à moitié brûlée d’un autre raid de Vikings, qui servira parfois de guide à Senua. Il narre ces épisodes mythologiques ou d’autres pans de l’histoire. Ce personnage est particulièrement important, non seulement parce qu’il est un témoin de la sauvagerie et de la colonisation des Vikings, mais parce qu’il a promis d’accompagner Senua dans ce monde et dans l’autre pour la guider, en échange de la pitié et des soins qu’elle lui a témoigné. D’autres protagonistes, comme le père et la mère de Senua, ou Dilion, feront leurs apparitions par des flash-backs et des hallucinations visuelles et auditives. Car, outre la quête de l’héroïne, il faut bien dire la singularité de Senua : celle-ci souffre de troubles mentaux. Les voix du début accompagneront le joueur tout au long de l’intrigue, et ce n’est qu’une partie des effets de sa psychose.
De niveau en niveau, l’oppression du jeu ne fait que s’accentuer, passant dans des endroits renfermés, dans des paysages cauchemardesques dont je ne dirais pas grand-chose, tant ils méritent d’être découverts par eux-mêmes sans préavis, pour mieux plonger dans la quête de Senua et faire preuve d’une totale empathie avec elle.
Car cette héroïne est simplement superbe : à la fois fragile et déterminée, guerrière et vulnérable, sensible et amoureuse, désespérée et combative. Elle incarne un mélange de fragilité et de force purement humain, en trouvant, malgré le deuil, la tristesse et la souffrance, le courage d’aller de l’avant et de réclamer justice pour son bien-aimé. Elle est exemplaire, s’inscrivant à juste titre dans une figure mythologique et héroïque, mais en restant proche de nous par ses tourments et les troubles mentaux dont elle souffre, par les souvenirs de sa famille et de son amour. Et je me suis terriblement attachée à elle quand elle affronte Fenrir, où elle hurle sa détermination de le vaincre et de sauver Dilion, tant son obsession la tenait au corps et ne la ferait jamais reculer, dût-elle y laisser la vie et la raison. Le qualificatif de traversée de l’Enfer est entièrement mérité, jusqu’à la toute fin, pour son odyssée.
Un kaléidoscope de sensations
Ou quand la technologie se met au service de l’immersion
Hellblade est une véritable expérience vidéoludique que de simples mots rechignent à décrire. Jouer au casque permet d’éprouver le son binaural voulu par la production Ninja Theory. Cette technologie permet d’entendre les voix dans la tête de Senua en déplacement spatial constant, donnant l’impression qu’elles viennent de droite, de gauche, de derrière, tournant autour de Senua et du joueur. D’ailleurs, le point de vue du joueur dans le jeu est tel – une vue derrière l’épaule de l’héroïne – qu’on a parfois l’impression d’être une autre des voix tourmentant Senua. Ce vacarme omniprésent et constant, à de rares exceptions près, permet d’éprouver et de comprendre le mental de notre héroïne et son état d’esprit. Au point qu’au bout de quelques heures, on se retrouve à maudire les voix entendues et à leur dire de se taire, presque en même temps que l’héroïne en jeu ! Plus impressionnant encore, cette technologie sonore est particulièrement utile lors de certains passages où il faut se fier uniquement à l’environnement sonore. A un point tellement réaliste qu’en entendant un écoulement de gouttes d’eau, j’ai même dû ôter le casque pour vérifier que la fuite ne provenait pas de la pièce où je jouais.
La musique du jeu, composée d’autant de moments apaisants que de mélodies tribales et brutales, ne permet que d’autant plus l’immersion dans Hellblade. La bande-son accompagne les moments d’apaisement, donne son intensité aux flash-backs et aux combats de boss, ou démontre tout le tragique d’une scène essentielle. J’avais déjà été très impressionnée par l’importance du son et de la musique, par le transfert d’émotion et d’ambiance qu’ils procurent dans Everybody’s gone to the Rapture, mais c’était encore plus éprouvant dans Hellblade.
Les paysages, les décors, sont eux aussi une partie prenante de l’expérience. S’il existe quelques bugs ici et là, l’ensemble du jeu est graphiquement magnifique, tout en détails sur les vestiges vikings, en variations atmosphériques où Senua réagit au temps, au vent, à la pluie, ou à l’immersion dans une surface immergée. Les jeux de lumières et d’ombres sont d’autant plus importants qu’ils traduisent encore la vision de Senua, déformée ou embellie par sa psychose. Par moments, les environs paraissent fondre, se parsèment d’ombres, ou deviennent chatoyants avec des couleurs vives. Les énigmes font elles aussi appel à la lumière et aux décors du jeu, puisqu’il s’agit souvent de retrouver des runes dans des éléments naturels de la nature. Une fois le principe compris, c’est assez facile.
Le gameplay se prive de toute interface, préférant le contact le plus direct possible entre Senua et le joueur. Pas d’inventaire, pas de mouvements compliqués, pas de QTE, seulement des mouvements pour se déplacer, pour interagir, pour se battre quand il y a des combats. Ceux-ci suivent d’ailleurs par défaut une difficulté automatique, modifiable si besoin, avec un système d’attaque lourde, légère, de corps à corps, de blocage et d’esquive, ainsi que d’un coup spécial où le temps se ralentit et où Senua peut se battre plus vite. Certaines critiques ont reproché à Hellblade une trop grande facilité de combats, mais je les ai trouvés extrêmement fluides et justement difficiles par moments, notamment face aux boss dont il faut comprendre les mécaniques, ou quand ce sont non pas un, mais deux, trois ou quatre ennemis normaux qu’il faut affronter en même temps. Une fois maîtrisés, les combats ressemblent alors à un mélange de danse et de duels, plaisants et entraînants à mener. Senua est naturellement vulnérable et plus petite que ses ennemis, mais aussi plus rapide et déterminée. La santé de l’héroïne se visualise à la façon dont l’écran s’obscurcit, à ses chutes aussi, où il faut appuyer sur X pour l’inciter à se relever – comme le lui suggèrent les voix – avant qu’un coup fatal ne lui soit asséné.
Mais la plus grande part de l’immersion dans Hellblade, est celle permise par Senua elle-même. J’ai rarement été aussi attachée à un personnage rapidement, et le formidable travail d’interprétation de son actrice, Melina Juergens (initialement juste éditrice vidéo pour Ninja Theory) y doit beaucoup. La technologie utilisée pour transmettre ses expressions faciales, ses mouvements transcrit à merveilles les émotions et les états d’âme du personnage principal. Cela a nécessité un casque empli de caméras qui retransmet son jeu directement par la motion capture, et des heures de scan de chaque angle de son corps. Les moyens utilisés pour les apparitions d’autres personnages, comme Dilion, Druth, ou les parents de Senua, ne sont pas en reste, en en faisant des visions tantôt apaisantes, tantôt cauchemardesques. Les prunelles de Senua sont d’une limpidité telle que ces fenêtres de l’âme transmettent toute sa fragilité, son émotivité, sa souffrance et sa tristesse. Cependant, son visage, ses mouvements du corps, témoignent aussi d’une véritable guerrière, aussi bien envers ses ennemis qu’envers la maladie mentale qui l’assaille. Elle paraît réelle, également grâce à un doublage parfait, tout en murmures, en hurlements, toutes les facettes des émotions humaines. Le seul regret est parfois de ne pas avoir les sous-titres aussi bien mis en valeur qu’ils le devraient, notamment pour traduire les voix et tous leurs conflits ou conseils.
Enfin, un dernier détail qui a toute son importance : dès le début du jeu, Senua possède une « permadeath ». Une pourriture logée dans son bras à son entrée dans l’île, qui remonte le long de sa peau jusqu’à finir par atteindre sa tête, à chaque échec face à un ennemi, ou une autre mort. Quand la pourriture atteint sa tête, le jeu est alors terminé et la sauvegarde s’efface, obligeant le joueur à recommencer. Autant dire que chaque combat est alors mené avec d’autant plus d’acharnement et d’attention – ne serait-ce que pour cela, et parce qu’on a plus qu’envie de voir Senua atteindre son but.
Stigmatisation & folie
Ou quand le jeu vidéo se fait engagé
La quête de Senua est d’autant plus singulière qu’elle s’inscrit à la fois dans la tragédie par son appartenance au mythe, et aussi par le combat intime qui se livre en l’héroïne. Ce jeu vidéo a comme engagement certain de montrer, et de faire comprendre, ce que ressentent les personnes vivant quotidiennement avec des troubles mentaux : psychose, schizophrénie, anxiété, dépression, etc. Le studio a travaillé avec plusieurs médecins spécialisés sur ces thématiques, et aussi avec les témoignages de personnes éprouvant ces maladies chaque jour. Ce que vit Senua est alors intensément réaliste, varié, cherchant à représenter au mieux cette réalité, même si elle demeure subjective selon les individus et ne peut être exhaustive.
Ainsi, les voix peuvent être perçues comme amicales et encourageantes, notamment lors des combats où elles préviennent Senua d’un coup dans le dos imminent d’un ennemi. Mais elles sont aussi mesquines, hostiles, méprisantes, ponctuées de rires hautains et de grognements. Le vacarme permanent n’en devient que plus insupportable. Et il ne faut pas imaginer que des gentilles voix qui parfois, guident Senua sur la marche à suivre : elles se révèlent égoïstes, individuelles avec une personnalité propre, insultant l’héroïne avec condescendance, la traitant plus que bas que terre, comme une incapable et une pestiférée.Mais entendre des voix n’est pas le seul symptôme de Senua au cours du jeu. Celui-ci nous fait plonger dans sa vision du monde, utilisant aussi des illusions et des changements de visions pour faire ressentir l’état mental de l’héroïne. Outre les voix incessantes, il y a des hallucinations auditives et visuelles, des phobies. Surtout, par les flash-back, on comprend comment Senua a été traitée jusque-là à cause de ses troubles, perçue comme une malédiction par les autres. Envahie par les « ténèbres », du point de vue de son père, elle a vécu isolée et enfermée, ostracisée par sa propre tribu, craignant le monde extérieur qu’elle voyait différemment des autres, persuadée d’être maudite et d’apporter ce même malheur aux autres. Seul Dilion la voit clairement et la comprend, acceptant sa différence et lui offrant donc le seul moment heureux et paisible de sa vie. Hellblade est, à ce niveau, un jeu vidéo unique car il permet de mieux comprendre les personnes atteintes de troubles mentaux, sans préjugés, sans clichés, sans chercher non plus à forcément pointer cette différence comme quelque chose de négatif et de mauvais. C’est aussi une construction du monde, de la personnalité, singulière et qui a du sens – et parfois de la beauté – pour la personne subissant ces troubles dans sa vie.
Quand les ténèbres apparaissent, elles changent tout, transformant ta maison en un lieu étranger et les proches en personnes inconnues. L’exil n’a de sens que lorsqu’on réalise qu’on n’a jamais été véritablement chez soi.
Senua’s Sacrifice
Ou une héroïne tragique et moderne
Cette petite partie contient des spoilers majeurs et je vous déconseille de la lire si vous voulez garder tout le mystère du jeu lors de sa découverte, toute son intensité.
Hellblade ne serait rien sans Senua, en dépit de son contexte historique et mythologique fortement travaillé, et qui donne envie de découvrir encore plus les mythes nordiques. Senua est l’âme même du jeu, même si son personnage est éprouvant, parfois dérangeant, mais terriblement humain et crédible, grâce à son actrice. Mais qu’est-ce qui frappe et touche à ce point, avec une telle héroïne ?
Il y a d’abord la représentation des troubles mentaux dans le jeu. Cela n’a jamais été dépeint avec autant de force, parfois avec des dialogues un peu trop verbeux, mais nécessaires. Dans cette lignée de jeux vidéos traitant la folie, cela n’a jamais été affronté aussi frontalement : Alice Madness Returns passe par le Pays des Merveilles et son nonsense pour expliquer le symptôme du survivant, Silent Hill utilise des métaphores, des dialogues énigmatiques et des monstres symboliques, pour traiter de la dépression, du déni, ou du stress post-traumatique. Mais Hellblade propose presque de l’éprouver par soi-même par l’utilisation du casque, permettant d’entendre en permanence les voix de Senua. Les monstres qu’elle affronte sont déformés, monstrueux, parce qu’ils sont des visions imaginaires qu’elle se représente des vikings ou de ceux ayant tué Dilion, qu’elle n’a pas croisés. Les runes que l’on doit reconstituer dans la nature sont un témoignage de sa nature obsessionnelle à trouver des significations et des sens cachés aux environnements, tout comme sa quête est une obsession qui l’empêche d’effectuer le travail du deuil. On en a parfois conscience quand on se dit qu’elle transporte tout au long du jeu le crâne de Dillion avec elle, comme s’il était vraiment le vaisseau nécessaire pour marchander avec Hela.
Hellblade nous plonge tout du long dans sa réalité, fantasmée, à moins de l’interpréter de bout en bout comme un mythe, mais trop d’indices sont laissés pour se contenter d’un seul niveau de lecture. Les ténèbres qui l’entourent et l’envahissent peuvent autant être une malédiction qu’une métaphore de son isolement, de ses troubles, de sa propre dépression. L’ostracisme dont elle souffre, compréhensible pour une époque où les maladies mentales n’étaient pas comprises, sont une juste représentation de l’isolement des personnes souffrant mentalement, encore aujourd’hui. Un autre passage poignant est ainsi le moment où elle part dans les ténèbres en elle-même, pendant quelques jours, inatteignable pour Dilion, retirée dans son propre esprit pour essayer d’affronter ses ténèbres, ou y sombrer. Il n’y a pas de meilleure métaphore de la dépression, tout comme le jeu illustre à divers moments la sidération face à des actes violents, les cauchemars d’enfance avec des visages traversant les murs, les visions de malédiction avec une mer rouge de corps et de sang, les cadavres omniprésents, ou encore la paralysie du sommeil.
Le poids de la famille est tout aussi présent sur Senua. Sans que cela soit dit explicitement, comme beaucoup de choses dans le jeu, il est fort probable que la psychose de Senua ait été héritée de sa mère, qui souffrait des mêmes maux. Mais on apprend aussi que son père, un druide oppressant, a fait brûler sa mère vive alors que Senua n’avait que 5 ans : si les troubles mentaux, comme celui dissociatif de l’identité, se créent face à des traumatismes, autant dire que le père de Senua est responsable de la création de ceux de sa propre fille. Et il n’aura ensuite que continué à voir en elle une personne maudite, l’oppressant et la stigmatisant. Un père qui n’aura de toute manière choisi que la lâcheté durant toute sa vie, puisque, dans la scène secrète de fin du jeu, il est sous-entendu qu’il a livré sa tribu aux vikings pour avoir la vie sauve.
La quête de Senua pour l’âme de Dilion est une transposition de sa quête personnelle pour lutter et accepter sa psychose, obsédante, dont elle est incapable de se détourner. Même quand Hela lui fera comprendre qu’elle n’a jamais enlevé Dilion, et qu’elle ne peut donc pas négocier le salut de son âme, Senua hésitera, ne sachant que croire, tant cela est douloureux de renoncer à ce qui l’a motivée jusque-là, de renoncer à sa quête, au but de son existence. Et c’est émouvant au point d’en avoir mal pour elle. Arrive ce moment, à la fin du jeu, où Senua comprend elle-même à quel point elle a forgé le monde pour correspondre à ce qu’elle voulait, le visualisant comme une quête dantesque et masochiste qui ne trouve de sens que dans l’acceptation du deuil de son bien-aimé. Elle doit céder, comprendre qu’elle n’est pas maudite, qu’elle peut continuer à vivre en dépit des troubles dont elle souffre. D’ailleurs, la fin du jeu fait bien comprendre qu’elle n’en sera jamais débarrassée : mais en acceptant la mort, le deuil, en comprenant aussi l’influence néfaste de son père et ses mensonges, une renaissance lui est permise. C’est en mourant des mains d’Hela, qu’elle réalise alors s’être toujours battue contre elle-même : Hela est d’ailleurs une représentation d’elle-même. Lors de la bataille finale, qui est interminable, les voix finissent par lui dire de s’apaiser, d’arrêter de se battre, ce que, en tant que joueuse, j’ai complètement refusé, voulant croire autant que Senua qu’elle arriverait enfin à sauver Dilion et à trouver la rédemption. C’est cette création initiatique qui lui permet de se sauver elle-même, sans pour autant laisser croire que la guérison est possible : car cela lui ferait aussi perdre sa singularité et la façon dont elle conçoit le monde.
Si Senua est un personnage pour lequel j’ai eu un véritable coup de cœur, ce n’est pas uniquement parce que son histoire a plusieurs niveaux de lectures. C’est aussi parce qu’en la dressant au niveau de figures mythologiques, ses créateurs lui ont attribué des traits humains, universels et cathartiques, dont on ne peut que se sentir proche, avec une quête dont on ne ressort pas indemne.
Bon, du coup, je lis ou je lis par l’article ? :p
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Franchement, non : l’intensité et la force de ta future partie en seront d’autant plus grandes. 😉
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J’ai déjà lu/vu un certain nombre de retours sur ce jeu, mais le tien ne fait que décupler mon envie de le découvrir. Pour qu’autant de monde soit d’accord, c’est qu’il doit réellement être exceptionnel. Je suis surtout extrêmement curieux de découvrir la sensation que l’on a en jouant au casque tant ça semble être l’un des points forts, si ce n’est LE point fort, du jeu selon tout le monde.
Par contre, je n’avais jamais entendu parler de ce système de « permadeath », je suis choqué ! Ça doit mettre tellement de pression de jouer avec ça. Je comprends, du coup, que les développeurs n’aient pas voulu trop corser la difficulté non plus, sinon ils en auraient frustré plus d’un.
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Je pense qu’en tout cas il est exceptionnel au niveau de son parti pris, sa narration est aussi excellente, et le voyage de Senua l’est tout du long. J’y repense encore, des semaines après avoir fini le jeu, d’ailleurs, comme après The Witcher III, c’était dur de trouver un autre univers dans lequel se plonger après. Quant au son binaural qui permet une telle sensation au casque, c’est vraiment très étrange, et même si parfois on s’y habitue, ça peut redevenir vite très pesant. J’ai lu que des gens ne parvenaient à y jouer qu’avec des sessions courtes, je suppose que ça dépend de la sensibilité personnelle et du fait d’être habitué aux jeux d’horreur ou pas. C’est très bien exploité dans le jeu en tout cas.
Pour la permadeath, c’était aussi la première fois que je voyais ça (même si ça apparaît dans d’autres jeux après quelques recherches) : cependant elle sert vraiment ce jeu et son propos, et ne doit pas être un frein au fait d’y jouer. Tu as bien raison, par conséquent, la difficulté n’est pas trop élevée, sinon bonjour la frustration et l’énervement. En tout cas, oui, je ne peux que t’encourager à le découvrir, c’est vraiment un excellent jeu, et un coup de coeur pour moi.
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C’est sûr que ça ne doit pas être évident pour tout le monde de supporter ce système audio. Mais je trouve ça bien parce que d’une certaine manière, ça permet de se rendre compte de ce que peuvent vivre certains malades au quotidien. Encore une expérience que seul le jeu vidéo est capable d’apporter de cette façon.
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Oui, tout à fait. Cela reste une expérience, et un simulacre, mais c’est véritablement bien fait, et ça apporte toute son intensité à l’histoire. Il n’y a que l’interactivité du jeu vidéo qui pouvait permettre cela.
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J’ai enfin lu ton article en entier, et je le trouve très complet. On sent qu’il fait partie de ces jeux pour qui tu as eu un vrai coup de coeur. Je te remercie de me l’avoir prêté. J’ai pu y jouer quelques heures et faire deux chapitres, avant de choisir d’abandonner. Non pas que le jeu n’est pas sensationnel, mais c’est ce sentiment très frustrant et culpabilisant de ne pas adhérer ou de ne pas être à la hauteur d’une belle œuvre^^ » Et je ne veux pas me forcer au risque de ne pas l’apprécier à sa juste valeur du tout. J’ai du mal à croire que certains le trouvent trop faciles car j’ai eu beaucoup de mal à me faire au système d’énigmes et surtout de combat. Je suis morte un nombre incalculable de fois. Disons que j’ai l’habitude des jeux ultra dynamiques (qui en rendent épileptiques certains) et que j’ai beaucoup de mal à me poser et à mesurer/anticiper et réfléchir tous mes mouvements. Par dessus-tout, le jeu m’a mis profondément mal à l’aise. Je n’avais pas de casque (inutile avec une oreille non fonctionnelle). Mais les chuchotements constants, ou ses regards hallucinés, sans parler des variations du décor, tous signes de sa schizophrénie, m’ont mis mal à l’aise. D’ailleurs, le jeu prévient qu’il peut être inconfortable pour certaines personnes. Et d’une certaine façon, ça montre que les graphismes, la mise en scène et l’ambiance sont parfaitement maîtrisés. Par contre, je déplore aussi que le jeu n’ait pas de vf, et ait des sous-titres aussi nombreux et mal mis en page. Difficile de jouer, tout en se concentrant aussi sur les informations (qu’il s’agisse des voix ou des histoires sur la mythologie nordique).
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Oui, ça a été un vrai coup de coeur, même si certains choix sont surprenants, comme la permadeath. Tu as pu au moins tester et voir un peu l’atmosphère du jeu, et je comprends aussi le fait de ne pas pouvoir gâcher une expérience aussi si on y arrive pas. Pour les combats, peut-être que ceux qui gèrent à Dark Souls et compagnie les trouvent effectivement bien simples…j’ai eu du mal aussi au début avec de prendre le coup. C’est clair que ça dépend de nos habitudes, comme tu l’as dit, après tout je galère à jouer à Rayman Legends ^^ » Et je comprends pour le côté mal à l’aise, entre les murmures, le jeu du personnage et des décors changeants, cela perturbe énormément. Pour ma part, ça a été surtout les voix à certains moments, les regards caméra, et les expressions faciales qui dérangeaient le plus. L’avertissement est nécessaire, et ça reflète aussi bien la qualité de jeu que le parti pris pour faire ressentir la difficulté des troubles mentaux. Je te rejoins aussi tout à fait sur les sous-titres : une VF aurait été bien (à condition qu’elle soit aussi excellente que la VO, ce qui n’est pas évident), ou sinon une meilleure disposition des sous-titres. Ceux-ci sont en effet trop petits, et certaines phrases/conflits des voix ne sont guère traduits. Il y a un côté verbeux, sans doute nécessaire pour faire saisir les nuances du jeu, mais mal affiché à l’écran. C’est aussi le plus gros reproche que je fais au jeu, même si pour tout le reste c’est effectivement un coup de coeur.
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