Fahrenheit : Indigo Prophecy | 2005

   Fahrenheit (aussi surnommé Indigo Prophecy aux Etats-Unis) est le deuxième jeu du studio Quantic Dream, sorti en 2005 sur Playstation 2, et Xbox. Il a connu une remasterisation en 2015, portée sur la PS4 en 2016. Considérant que la version remasterisée du jeu n’apporte visiblement que peu d’améliorations graphiques, cela en fait le jeu rétro choisi pour le Gaming Challenge, effectué avec Mocking Bird et Tokhrane !

New York, 2009, sous fond de prophétie millénaire
Ou un thriller paranormal

Fahrenheit prend place avec un meurtre commis dans un dinner, des mains de Lucas Kane. Or, comme la scène d’introduction nous le présente, le jeune homme a été visiblement possédé par quelqu’un pour accomplir cet acte. Fuyant la police, il trouve de l’aide auprès de son frère prêtre, entres autres, pour essayer de comprendre ce qui s’est réellement passé, ou de savoir qui est la mystérieuse fillette lui apparaissant dans des visions. Dans le camp inverse, c’est la policière Carla Valenti, accompagnée de son adjoint Tyler Miles, qui est chargée de l’enquête, et se rapproche inéluctablement de Lucas par diverses pistes… Pendant ce temps l’ère glaciaire se répand sur New York.

On va tranquillement au dinner, on se fait posséder dans les toilettes, et voilà qu’on a tué un homme. Pas de chance, Lucas.

Le protagoniste principal – Lucas – est donc l’archétype même de l’homme banal auquel il arrive soudain quelque chose d’extraordinaire, et pas des moindres. Fahrenheit est le récit de sa quête pour comprendre la manipulation occulte dont il est victime ; et qu’on le veuille ou non, en tant que joueur, on est aussi bien obligé de mener Carla à lui, même en donnant toutes les fausses pistes du monde. Le jeu a incontestablement vieilli, et accuse les références de son époque, comme les combats à la Matrix/DragonBall Z ou l’écran divisé en plusieurs parties, comme dans la série 24. Cependant, il demeure encore assez prenant, dans un scénario mystérieux dont on a envie de savoir le dénouement, quand bien même celui-ci se révèle parfois invraisemblable et à la limite des clichés kitsch. Fahrenheit est clairement ancré dans une époque. Même en ayant en tête la date de sortie du jeu, il est difficile aujourd’hui de ne pas sourire (ou se moquer un peu) devant le qualificatif des clans mettant en œuvre la manipulation de Lucas (clan orange, mauve, etc, tout cela avec la prophétie de l’enfant indigo), devant certains dialogues où le naturel n’est pas encore tout à fait là, ou face à une histoire d’amour qui tombe du ciel. De la même manière, il est difficile aujourd’hui de s’adapter aux anciens mécanismes de la PS2, et la plupart des QTE de Fahrenheit consistent à pousser dans un sens ou dans l’autre les joysticks de la manette, selon la couleur affichée à l’écran. Cela aurait pu être dur, mais pas trop compliqué, si du moins ces QTE ne duraient pas autant sur la longueur. J’ai fini par passer en mode facile lors de la scène où Lucas se fait attaquer par les meubles de son appartement, des chaises au canapé, en passant par les bouteilles de bière et le téléphone, entre autres (rassurez-vous, c’était un antagoniste invisible qui lui lançait tous ces objets, avec de la télékinésie). Bref, en tout pour une scène, une quarantaine de QTE à accomplir avec bien des mouvements précis, et parfois, ces interactions gâchent les cinématiques du jeu dans lesquelles elles interviennent.

Carla et Tyler forment le duo de police de choc habituel (et cliché) : une pragmatique obsédée par son travail, et le jeune issu de banlieue bien plus décontract’. Mais au moins, ils s’entendent bien.

Cependant, cela reflète aussi l’esprit des productions de l’époque, au cinéma et dans les séries télé. Quantic Dream a toujours fait des jeux vidéos très cinématographiques, et il n’est donc pas étonnant que ces QTE aient été mises en place pour se donner la sensation d’être acteur dans l’histoire de Fahrenheit. La mise en scène du jeu, ses cinématiques, relèvent beaucoup du cinéma, en donnant d’ailleurs à suivre différents personnages et leurs points de vue. Il est seulement regrettable qu’il soit bien difficile de s’attacher au trio des personnages – sans doute également à cause des multiples QTE aisément ratables qui donnent envie de maudire certaines scènes ou actions obligées des protagonistes. Mais, pour 2005, Fahrenheit a été incontestablement un jeu innovant, avec sa mise en scène digne du cinéma, un excellent doublage dont les voix seront familières, des émotions faciales bien retransmises (pour l’époque), la multiplicité des choix laissés au joueur dans les dialogues (avec quelques répercussions, et trois fins différentes) et dans les actions des personnages. La tension est là tout du long de l’aventure, qui mêle à la fois l’action, le paranormal, l’enquête policière et une prophétie à l’influence aztèque. Et cette ambiance, qui fait parfois preuve d’ironie envers elle-même (avec des musiques absolument décalées ou des mentions de David Cage dans divers documents du jeu), est celle des films de l’époque : un mélange d’action, de fantastique, d’humour et d’inspiration mythologique.

Une aventure interactive et narrative
Ou un pêle-mêle des obsessions de David Cage

L’ancêtre des dialogues à multiples choix, beaucoup moins ergonomique que dans Beyond Two Souls.

Fahrenheit a vieilli au niveau des graphismes et de son écriture, et en soi, j’ai parfois trop pesté sur le système des QTE pour véritablement apprécier l’aventure. Cependant, le jeu demeure intéressant à découvrir dans le fait qu’il représente un brouillon des futures oeuvres de Quantic Dream. Le choix de plusieurs personnages, dont certains travaillant dans la police ou se retrouvant brusquement confrontés au surnaturel, évoque incontestablement Heavy Rain (Ethan Mars pour le protagoniste plongé brutalement à une situation le dépassant, Norman Jayden pour le flic allant à la rencontre du présumé coupable) ou Beyond : Two Souls (pour le côté surnaturel). Peut-être y avait-il même un futur clin d’oeil à Detroit, dans la mesure où l’un des antagonistes de Fahrenheit est une intelligence artificielle. D’ailleurs, l’histoire d’amour un peu télescopée dans Fahrenheit de Lucas, reviendra dans Heavy Rain avec celle d’Ethan (notez d’ailleurs que les deux personnages avaient été quittés par leur femme auparavant). L’installation persistante du froid et de la glace de Fahrenheit fait penser à l’omniprésence de la pluie dans Heavy Rain, toutes deux étant fatales pour l’issue du jeu. Outre ces échos de protagonistes d’un jeu à l’autre, les thématiques du surnaturel, de l’enquête policière (également dans Detroit) sont déjà présentes, même si Fahrenheit tient plus du divertissement. Ici, même si on a droit aux interrogations de Lucas sur sa culpabilité et qu’il semble parfois près de basculer dans la folie (chaque personnage a une jauge de santé mentale à surveiller), il n’y a pas réellement de réflexions, de sous-texte ou d’engagement à particulièrement exploiter.

Cela ne fera que quinze fois qu’on tente de pousser le joystick dans le bon sens au bon moment – et c’est moins facile que ça en a l’air.

Les mécanismes exploités par le gameplay du jeu sont aussi l’ancêtre de ceux qu’on connaît depuis Heavy Rain. Les mouvements de joysticks permettent d’effectuer des mouvements similaires dans les jeux, on utilisera R1 et R2 en alternance pour maintenir un équilibre, certaines séquences nous demandent de ne pas bouger. Un échec à ces QTE mènent à des game over personnalisés selon le personnage joué. Les choix de dialogues, ici représentés avec un mouvement de joystick selon l’orientation voulue pour la conversation, sont également possibles dans un laps de temps. Celui-ci écoulé, la réponse donnée en sera une par défaut. Le document complet de travail de Fahrenheit était composé de 2000 pages, ce qui donne quand même une idée de la richesse du jeu pour l’époque et pour des consoles aux capacités limitées – par comparaison, le script de Detroit : Become Human comporte 4000 ou 5000 pages. La mise en scène et les musiques dignes du cinéma, le choix de plusieurs personnages aux motivations diverses, sont également une marque des futurs jeux de Quantic Dream. Alors, même si Fahrenheit paraît risible aujourd’hui sur certains points – et en 2005, il était novateur, raflant plusieurs prix – il faut le voir tel qu’il est : une étape, un brouillon des futures idées et réflexions de Quantic Dream. Les innovations technologiques des consoles, de la motion-capture, donneront des jeux vidéos encore meilleurs, plus immersifs et plus fluides, avec davantage d’engagement et de réflexion.


11 réflexions sur “Fahrenheit : Indigo Prophecy | 2005

  1. A l’époque j’avais vraiment kiffé malgré ces putain de QTE qui comme tu le dis gâchent le découpage cinématographiques (un comble ; et c’est pour ça que Quantic a depuis bien revu sa copie) et son dernier quart totalement wtf.
    Mais les différents choix dans les situations et l’ambiance générale de l’œuvre (qui n’est pas sans rappeler la tempête de neige new-yorkaise du premier Max Payne) ainsi que les acteurs et actrices (l’histoire d’amour est forcée c’est clair, mais le reste fonctionne pas mal du tout) donnent vraiment un super cachet au jeu. Sans parler des thèmes d’Angelo Badalamenti. Clairement le jeu qui fait partir QD sur leur nouvelle façon d’envisager le jv (on est bien loin de Nomad Souls); et celui qui m’a fait aimer le studio.

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    1. Ça me rassure de voir que j’étais pas la seule à pester contre les QTE, XD. Mais oui, en plus des fois elles gâchent totalement certains cinématiques qui font avancer l’histoire.
      Mais oui, y a clairement une belle ambiance d’installée, qui donne quand même très envie de savoir ce qui se passe. Et si certains dialogues ne sont pas encore très fluides, il y a quand même beaucoup de choix possibles, et les voix des acteurs et actrices sont réussies, se répondent avec naturel. Ça leur donne un vrai caractère à chacun. Je ne sais pas du tout à quoi ressemblait Nomad Souls, mais c’est clair que Fahrenheit c’était vraiment le terreau pour les autres jeux de Quantic Dreams, les prémices des prochains jeux, tant en thème, qu’en narration et en gameplay.

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      1. Ah effectivement, open world pour l’époque, ça devait envoyer du lourd et être impressionnant ! Je ne savais que pour David Bowie, avec des « concerts » de sa part dans le jeu. Mais effectivement, c’était pas le même style de jeu.

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  2. C’est toujours passionnant de faire du retro gaming pour découvrir les sources de grands studios, ou de grandes sagas, comme ton article en témoigne. Bien sûr, il est également frustrant de se replonger dans des graphismes et surtout des mécanismes de gameplay dépassés. En tout cas, ce Fahrenheit a l’air d’être un sacré ovni. C’est pas mal trouvé la jauge de santé mentale.

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    1. Bon, autant les graphismes je n’y ai pas trop prêté attention (mais c’est en voyant quelques vidéos de comparaisons de Youtube que j’ai vu que la version remaster n’a pas apporté grand chose), autant le gameplay, là, ça m’a bien agacée. Mais c’est fascinant de trouver ce pot-pourri des influences et obsessions de David Cage, déjà aussi présentes, comme tu dis. Comme voir les thèmes et sujets qui reviennent sans cesse chez un écrivain. Fahrenheit m’a fait pas mal pensé aux films de certaines années type la Momie, le premier Tomb Raider. Mélange d’action, de thriller, de paranormal, plutôt entraînant, mais avec des ficelles visibles. Pour la jauge de santé mentale, j’ai cru lire que c’était assez inspiré des Sims : les personnages perdent des points face à des situations de tension ou des échecs, des incidents, et on récupère ces points en les faisant manger, dormir, aller aux toilettes ou en effectuant les bonnes actions. Par contre, c’est assez intéressant dans le fait que outre les quelques combats, ce n’est que avec la chute totale de santé mentale qu’on a des game over personnalisés (où Carla démissionne de son poste, Lucas va à l’asile ou en prison, etc). Plus tard, ce sera direct la mort pour les personnages de Heavy Rain, ahah.

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  3. En lisant ta critique, je me rends compte que malgré le fait que j’ai joué à Heavy Rain, Beyond Two Souls et Detroit : Become Human, mais surtout que je les ai adorés, je ne me suis jamais réellement renseigné sur Fahrenheit. Je ne savais même pas qu’il avait été porté sur PS4 avec un remaster. En tout cas, malgré les problèmes évidents de gameplay, l’histoire a l’air très prenante et on sent bien, déjà, la patte Quantic Dream (sans « s » à la fin). On voit qu’ils ont fait du chemin depuis mais que les idées étaient là dès le début !

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    1. Tu as l’oeil ! Merci pour ta correction, j’ai enlevé le « s » du coup ^^. Detroit est celui qui me reste à tester (je suis curieuse de Nomad Souls, mais c’est pas du tout pareil visiblement). Oui, l’intrigue est quand même entraînante et met vraiment du suspense, malgré qu’elle soit ancrée dans son temps. C’est vraiment fascinant de voir ce premier pot-pourri des idées et obsessions du studio, et en voyant ce qu’ils ont fait par la suite (comme pour des auteurs qui ont des premiers livres aux thèmes à peine éclos et qui se révèlent vraiment dans un livre postérieur). Et l’avancée des nouvelles technologies leur a permis d’arriver à de très beaux résultats, plus proches de ce qu’ils avaient déjà en tête des années plus tôt !

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      1. Sortis des QTE pénibles, des déplacements rigides (enfin, de nos jours, à l’époque c’était bien classe) et de son dernier quart qui part en vrille, le jeu vaut vraiment le coup. Par contre il me semble que le portage console craint un peu. Mais sur PC, il est encore bien sympathique.

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      2. Merci pour l’info, il faudrait que je vois si mes PC sont capables de le faire tourner dans ce cas. Ce ne sont pas des bêtes de course mais avec un peu de chance, vu que le jeu n’est pas tout récent, ça pourrait passer.

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