The Evil Within, ou l’art de la terreur

The Evil Within 1 et 2 sont désormais sortis il y a un moment, en 2014 pour le premier et en 2017 pour le second, développés par Tango Gameworks. Malgré ma grande affection des jeux survival-horror, je n’avais vu de The Evil Within que les premières minutes de jeu et je n’avais pas forcément été séduite plus que cela. Et puis, The Evil Within 2 sortit, avec bien des remarques le comparant à Silent Hill 2, qui demeure mon premier jeu préféré (ex-aequo avec The Witcher 3), m’intriguant un peu plus. Et c’est avec donc un retard de quelques années que j’ai finalement tenté l’aventure, mais sans regret, tant j’ai apprécié me plonger dans l’univers cauchemardesque de la série, avec deux volets aux styles différents, mais dont l’un n’irait pas sans l’autre.

I. The Evil Within : deux opus complémentaires

1. Intrigues

Le mystérieux phare qui sert de point de repère à Sebastian (The Evil Within)

The Evil Within commence avec Sebastian Castellanos, officier de police, et ses deux acolytes, Joseph Koda et Julia Kidman, envoyés d’urgence à l’hôpital psychiatrique Beacon où un massacre semble avoir lieu. A leur arrivée, des corps gisent dans leur sang, ici et là, assassinés vraisemblablement par un mystérieux homme encapuchonné. Pris en embuscade, les trois agents se retrouvent séparés. A son réveil, Sebastian se retrouve pendu par les pieds dans une sorte de salle de torture. Il réussit à s’enfuir, poursuivi par un tortionnaire à la tronçonneuse, mais pour mieux entrer dans un monde horrifique et inconnu, peuplé de sortes de zombies, auxquels il faudra survivre. De villages perdus dans la nature en passant par les couloirs de l’hôpital psychiatrique, ou dans un sinistre manoir, la survie de Sebastian l’amène à retrouver son coéquipier Joseph, malheureusement frappé du même mal que les zombies : il subit des crises qui risquent de le transformer en monstre. Peu à peu, les choses s’éclaircissent. Sebastian se trouve en vérité dans le STEM, une sorte de machine qui interconnecte les esprits des gens les uns aux autres, matrice actuellement contrôlée par l’assassin de Beacon, Ruvik. Ce dernier cherche à mettre la main sur Leslie, un jeune patient de l’hôpital, pour l’utiliser comme vaisseau afin de rejoindre le monde réel. Après des ennemis plus sadiques les uns que les autres, passant par plusieurs niveaux de « réalité », Sebastian arrive à mettre hors d’état de nuire Ruvik et à sortir vivant du STEM, mais traumatisé.

Une des « oeuvres d’art » de Stefano (The Evil Within 2)

The Evil Within 2, lui, se déroule trois ans après l’enfer de Beacon. Sebastian se noie dans l’alcool, et n’en sort que par l’intervention de Julia Kidman, son ancienne coéquipière. Celle-ci lui révèle que sa fille, supposée morte dans un incendie, est en vérité en vie et utilisée comme Noyau d’un nouveau STEM. Or, l’enfant est en danger à cause d’un esprit artiste et psychopathe infiltré dans le STEM, Stefano. Sebastian accepte alors de replonger dans le STEM pour sauver sa fille, et d’affronter à nouveau les horreurs de l’univers créé par cette machine. Cette fois, il se retrouve dans la petite ville d’Union, dévastée et hantée de nouvelles créatures. Les décors sont surtout urbains, au gré des rues de la ville, de complexes souterrains ou scientifiques. Mais cette quête permet à Sebastian de faire la paix avec lui-même et de surmonter sa culpabilité d’avoir autrefois perdu sa femme et sa fille.

2. Gameplay

Vous aussi, vous êtes content d’avoir répondu à l’appel de Beacon et de son carnage. (The Evil Within)

The Evil Within mélange la survie et l’action, dans un jeu d’horreur qui reflète de nombreux hommages aux jeux du même genre, à commencer par Resident Evil et Silent Hill, mais aussi des films tels que Saw, The Ring ou The Thing. De ce fait, le gameplay, dans les deux jeux, incite à se concentrer sur la dissimulation et la fuite (parfois effrénée) en avant. Sebastian est bien plus capable de se battre qu’un personnage de Silent Hill et maîtrise bien plus d’armes, cependant, les munitions se feront avares, comme dans les Resident Evil. Outre les armes à feu, l’arsenal se compose d’une arbalète, d’allumettes pour brûler les ennemis (dans le 1), ou bien le personnage peut également user de discrétion pour tuer un antagoniste par-derrière. Un système de crafting des armes est également disponible, obligeant le joueur à malgré tout fouiller les zones hantées de monstres, pour améliorer ses armes. Surtout, c’est récupérer le gel vert, laissé par des ennemis, qui permet d’améliorer les capacités de santé, de puissance de feu ou encore de furtivité de Sebastian. Si l’on veut survivre, il sera difficile de faire l’impasse dessus. Et inutile de se réjouir en constatant qu’on trouve parfois beaucoup de munitions, car c’est peut-être deux balles qui se trouvent dans le paquet ramassé… Toutefois, l’environnement de Sebastian n’est pas dénué de ressources, puisqu’on peut également y trouver des pièges à utiliser contre les ennemis, à condition de ne pas s’y faire prendre soi-même.

Le boss « Gardien » (The Evil Within)

Les mouvements de Sebastian sont parfois rigides, même si cela s’améliore beaucoup dans le deuxième opus. L’infiltration est nécessaire dans les deux jeux, notamment avec le premier épisode, où on peut se cacher sous des lits et dans des armoires. Toutefois, ce qu’on peut le plus remarquer est surtout la grande difficulté du premier volet de la série. J’ai personnellement renoncé au mode normal au chapitre 6, face à un boss, alors que je n’étais à peine qu’à la moitié du jeu. The Evil Within est sur ce point un jeu sadique, où l’on meurt et où l’on recommence beaucoup (souvent avec énervement mais aussi détermination), où la moindre erreur est souvent fatale et où on ne parvient jamais à se tranquilliser vraiment, que ce soit face aux ennemis ou aux multiples pièges. Cependant, réussir à avancer dans le monde linéaire du jeu et vaincre les boss n’en est que plus gratifiant. Le deuxième opus est plus facile et accessible à ce niveau, ayant revu le côté ardu à la baisse.

3. Deux styles, deux facettes

Même les chargements du jeu mettent mal à l’aise. (The Evil Within)

Ne serait-ce qu’avec les deux intrigues, on peut déjà constater une nette différence de style entre les deux opus. The Evil Within met davantage l’accent sur la survie et l’horreur, la peur et le sang, tandis que le deuxième est bien plus proche d’un récit initiatique, axé sur la culpabilité et la rédemption du personnage.

The Evil Within incarne ainsi beaucoup plus la conception de la plongée dans l’horreur, même. En parcourant de longues zones linéaires ponctuées d’arènes d’ennemis, le premier opus met davantage l’accent sur le combat, la difficulté, le jeu de cache-cache. On se retrouve ainsi à toujours courir, poussé par une fuite en avant, dans l’espoir d’échapper aux monstres ou aux pièges. Autant dire qu’on a l’impression d’une traversée de l’enfer empreinte à la fois d’adrénaline et de terreur, ne sachant jamais ce qui nous attend ensuite, ou ce qui risque de nous tomber dessus. Le scénario est parfois confus, et ce n’est qu’en avançant que les différentes clés de l’histoire nous sont peu à peu données. Et même ainsi, l’intrigue pâtit malgré tout d’un certain trouble – je ne compte plus les nombres de fois où Sebastian se retrouve à jurer et à se demander ce qui se passe vraiment. Autant dire qu’on a envie que son personnage survive à cet enfer, coûte que coûte, et qu’on veut savoir le fin mot de l’histoire.

Quand la ville d’Union part en vrille (The Evil Within 2)

The Evil Within 2, lui, est légèrement plus lisse à ce niveau, en se permettant un semi open-world. La difficulté est moins haute, certes, mais l’horreur est toujours là, quoique moins violente, moins frénétique. Il est plus facile de souffler, d’aller crafter ses armes, de se planquer, que dans le précédent opus. La ville d’Union est assez grande, sans s’y perdre non plus, et explorer ses rues, ses maisons, peut prendre un temps assez conséquent, surtout en faisant les petites quêtes annexes – nécessaires pour moi à tout l’aspect psychologique du jeu. Alors, même s’il est davantage possible de fuir les ennemis, de croiser des protagonistes secondaires, ou d’améliorer les capacités du personnage principal, l’ambiance malsaine du jeu est toujours là, avec notamment quelques événements bien flippants. La direction artistique est cependant plus propre, moins dans le sang et la dégradation, et ose moins la folie de son précédent opus. Mais cela était sans doute nécessaire, car le deuxième opus se veut plus psychologique, plus émouvant, et clarifie davantage son scénario, plus accessible. Il ne perd pas l’esprit de la licence, mais il est différent, simplement, différent comme devrait l’être toute bonne suite.

En route pour aller vaincre le père Theodore (The Evil Within 2)

Avec The Evil Within 2, cette différence est suffisamment là pour qu’on n’ait pas l’impression de voir une resucée du premier volet. Il n’a pas la folie et la frénésie de son prédécesseur, mais c’est avec ce deuxième volet que je me suis plus attachée à Sebastian, lui qui était un peu caricatural et peu approfondi auparavant – choses dont pâtissent cependant les personnages secondaires du 2. Et même si sa rédemption aurait gagné à être plus subtile et plus implicite, ce second voyage l’humanise et me l’a rendu plus sympathique. Et cependant, certains passages, comme le retour des cauchemars du premier opus, n’auraient pas été aussi forts et investis sans leur existence précédente. Le deuxième opus a beau être moins stressant, comment nier aussi le plaisir d’évoluer dans un monde semi-ouvert horrifique, chose très rare dans les jeux vidéos ?

II. L’art de faire peur

The Evil Within n’est peut-être pas un coup de cœur comme ont pu l’être d’autres jeux horrifiques pour moi, comme Silent Hill ou Hellblade. Pour autant, les deux jeux sont impressionnants car ils présentent visiblement un renouveau du survival horror, modernisé, adapté aux jeux de maintenant, tout en gardant un côté vraiment oppressant. Et surtout, ils possèdent une véritable patte artistique, une mise en scène, qui se démarquent et montrent à quel point inspirer la terreur n’est pas chose facile.

1. Narre-moi une histoire (mais pas trop)

Qui a envie de continuer dans ce couloir ? (The Evil Within)

Commençons une bonne histoire d’horreur. Et quoi de mieux que de débuter en lançant le joueur dans les affres de l’intrigue sans le prévenir du cauchemar qui l’attend ? C’est ce que ressentent à la fois Sebastian et le joueur dans le premier opus. En choisissant d’utiliser le in media res, en le projetant directement dans les péripéties, The Evil Within opère dès le début une tension supplémentaire. Celle-ci ne se dénoue qu’à chaque fois qu’on obtient un nouvel élément éclaircissant l’intrigue, par une cinématique ou par des documents trouvés ici et là, nous poussant toujours à avancer, à interpréter ce qui se passe. Si le scénario de The Evil Within est si obscur et confus la première fois, c’est parce que la narration choisie est volontairement trouble, au point que cela ne peut en être un défaut, mais un parti pris. Quand on y rajoute aussi des personnages peu fiables, l’obscurité s’épaissit, et la tension grandit, puisqu’on ne sait pas à qui se fier, ni qui croire. Sebastian, notre narrateur/personnage interagissant avec le monde, devrait être le point de référence ; mais il est trop souvent affublé de maux de têtes, de visions étranges, et d’impressions de rêve dans un rêve pour totalement y croire. Quant aux autres protagonistes, ils ne sont pas mieux lotis, entre un Joseph qui lutte pour ne pas devenir un monstre, une Julia qui cache un double-jeu, Lily, la fille de Sebastian qui « enflamme » son père par vengeance la moitié du temps, ou même certains ennemis qui ne sont que des pâles copies de boss véritables, comme les clones de Ruvik. Non seulement le monde qui entoure Sebastian est horrifique, mais en plus il ne comporte guère de véritables points de stabilité.

Bienvenue à l’hôtel/musée des photos de Stefano. (The Evil Within 2)

De la même manière, plus l’implicite est conservé, plus la libre interprétation du joueur est conservée sur ce qui se passe à l’écran. Le scénario de The Evil Within, qui repose sur plusieurs niveaux de réalité (ou de cauchemar) doit beaucoup de son oppression au fait de ne jamais savoir si l’on est dans un rêve ou la réalité. Plusieurs passages semblent se passer dans le monde réel, mais on est ensuite projetés (souvent par Ruvik, le maître de cet univers) dans un nouveau décor, un nouvel environnement, par une chute, sans réelle explication, comme si l’on s’enfonçait à chaque fois un peu plus dans les strates de l’inconscient des personnages. D’ailleurs, Sebastian subira souvent plusieurs réveils successifs, pour au final ne mieux rester coincé que dans le même univers cauchemardesque. On ne sait jamais non plus où est vraiment l’illusion, l’hallucination. La passivité de Sebastian, qui est surtout une marionnette dans le premier opus, accentue encore plus ce trouble, cette étrangeté à ne pas savoir à quelle parcelle de cauchemar on se trouve, et comment s’en sortir.

Ou un des manifestations de la culpabilité de Sebastian (The Evil Within 2)

Le deuxième opus, cependant, propose un parti pris différent. En prenant le temps, pendant trois chapitres, d’instaurer une histoire, une mise en scène pour montrer le retour de Sebastian dans le STEM, motivé par le souhait de retrouver sa fille, la tension est moins là. On sait dans quoi on va débarquer, même si on a de très mauvais souvenirs de ce qui s’est passé à Beacon, et même si Union n’est pas Beacon. Cela n’empêche pas cet opus d’avoir un scénario subissant plusieurs rebondissements, certes plus clairs et plus explicatifs, mais moins anxiogènes. Certaines quêtes annexes, comme celle de la dame fantôme chantante, auraient pu être encore plus effrayantes et réussies, si leur résolution n’avait pas été aussi explicite. Mais le jeu a aussi ses moments de bravoure et de glauque, n’hésitant pas à utiliser ce que nous connaissons du premier opus pour susciter la peur (en réintroduisant brièvement leurs boss, par exemple) et nous donner un état de réalité altérée. Garder volontairement une part d’inconnu, de trouble et non-explication ajoute grandement à une atmosphère d’horreur. Quant aux fins, volontairement ouvertes pour une suite, elles donnent également l’impression de ne jamais être tout à fait sorti de l’enfer du STEM…

2. Paysages sonores et visuels

Un des nombreux jeux de lumière et d’ambiance, de perspective, du premier opus (The Evil Within)

La mise en scène et la bande sonore des Evil Within contribuent aussi grandement à l’oppression et à la peur suggérées au cours du jeu. Il faut admettre que le premier, tout particulièrement, est empreint tout du long d’un côté glauque et stressant qui ne lâche pas, et on aborde chaque couloir la boule au ventre. Car on sait bel et bien que quelque chose nous tombera dessus, mais quoi et quand ? Si la musique, outre le Clair de lune de Debussy, ne marque pas plus que ça mais est efficace, ce sont les cris, hurlements, grognements et pleurs des monstres qui marquent l’espace sonore du jeu. C’est souvent aussi le seul moyen, quand Sebastian est à couvert, de savoir si l’ennemi est plus ou moins proche et si on peut se risquer à une embuscade. Jouer avec un faible volume serait plus que risqué, dans ce survival horror, tant on peut anticiper avec stress la venue des ennemis par leurs sons. Et c’est sans compter les bruits parfois inexpliqués dont on ne trouvera jamais l’origine, ou la chute sans cause apparente de certains ennemis à des endroits scriptés, qui rajoutent une pression supplémentaire. Le jeu n’abuse pas de jumpscares, mais utilise bien plus les petits détails qu’on remarque en passant, devant lesquels on attend de voir la conséquence, l’apparition d’un ennemi, mais qui ne viendra que plus tard, quand on l’aura oublié.

Un des autres changements de réalité (The Evil Within)

Mais le son n’est pas le seul moyen de faire peur. The Evil Within possède, pour son premier opus, des bandes noires cinématographiques qui réduisent donc le champ de vision du joueur, ainsi qu’un « grain » de caméra qui jouent la carte de l’ancienneté. Réduire la vue, rajouter un effet old school, voir parfois des particules de bois, de poussière ou de sang qui se baladent dans l’air, autant de raisons supplémentaires de moins voir arriver l’ennemi, et de ressentir encore plus l’étrangeté du jeu. Dommage que ces effets, favorisant la peur, aient disparu dans le deuxième opus. Pour autant, ce ne sera pas le seul effet visuel marquant. Sebastian passe souvent d’une « réalité » à une autre, d’un réveil à un autre réveil, et ces passages sont mis en scène par des fondus au noir, des projections dans le vide, dans des tunnels ou des couloirs sans fin, à toute vitesse. Parfois, c’est le style même de l’image qui change, devenant noir et blanc, ou rouge et gris, avec un saccadé volontaire de l’image, comme si la réalité elle-même vacillait. The Evil Within nous met donc toujours volontairement mal à l’aise, en nous clamant de ne jamais être sûr de la réalité entourant Sebastian, en usant de réveils, d’illusions, de déjà-vus. D’ailleurs, la machine utilisée par le héros pour améliorer ses capacités a tout d’une chaise à électrochocs, ce qui ne doit pas améliorer sa santé mentale…

3. Des environnements déchus aux refuges incertains

« Vous allez voir, c’est une petite ville tranquille… » (The Evil Within 2)

Le STEM se nourrit de l’inconscient des gens qui y sont connectés : aussi, chaque paysage est plus ou moins une projection du mental d’un des personnages. Si cela est surtout visible dans le 2, où l’on trouve notamment le bureau de police de Sebastian, sa maison, ou des lieux associés aux antagonistes (le musée des tableaux et des horreurs pour Stefano, une sorte souterrain d’église infernal et gothique pour Theodore), cela est aussi présent dans le 1er. Le phare qui attire Sebastian est en réalité le logo de l’hôpital psychiatrique Beacon, hôpital dont on parcourt les couloirs et les cellules (parfois habitées) parce que Leslie, l’un des patients, erre aussi dans le STEM ; le manoir à l’ambiance si gothique est sans doute un rappel du passé de Ruvik, l’antagoniste, sans compter la grange où il a vu sa sœur Laura brûler. Donner cet aspect issu de l’inconscient des personnages donne aux jeux une double lecture des paysages, un aspect à la fois pour effrayer, car on passe par tous les lieux communs à l’horreur, mais aussi un aspect intérieur et plus tourmenté, propre à la psyché des protagonistes.

Évidemment, les deux jeux font arpenter des lieux biens connus du genre, et des décors qui donnent quelques sueurs froides. Les cellules vides ou occupés d’un asile, lui-même comportant des couloirs emplis de fauteuils roulants vides ; un trop grand manoir gothique où les lits permettent de se cacher alors qu’un ennemi déboule aléatoirement pour nous tuer ; un village en pleine forêt, abandonné et peuplé de créatures étranges, à moitié en ruine ; des complexes scientifiques froids et à moitié ébranlés ; des tunnels aux murs de rouille, industriels et emplis de pièges sans fin, ou éclaboussés de sang ; sans compter Union, la ville urbaine fantôme, dont les routes sont coupées dans le vide, dont les ponts sont effondrés. Tous ces lieux communs des univers d’épouvante rajoutent à l’oppression des deux jeux, car on sait également que ces lieux vont nous en faire voir de toutes les couleurs, par expérience. Quant à leur état de décomposition avancé, de putréfaction sanguinolente, ou la présence de monstres a priori morts et qui se réveillent à différents moments selon nos actions, ces effets nous maintiennent toujours dans la peur et la surveillance constante des décors.

Tatiana, la seule et l’unique. (The Evil Within)

Mais quel est encore le meilleur moyen de rajouter une couche de peur supplémentaire ? En transformant le refuge, la safe room du jeu, en lieu pas si sûr que ça. Quand on y pénètre, il s’agit en vérité d’une petite salle de l’hôpital Beacon, avec Sebastian enfermé dans une cellule (il y en a trois autres autour) et en parcourant les couloirs, il rencontre une mystérieuse infirmière qu’il n’a jamais vue, Tatiana. Elle lui donne accès à la chaise électrique permettant d’améliorer ses compétences, à des casiers d’objets, à un point de sauvegarde et à des documents sous la forme d’affiches et de journaux. Or, ce lieu sûr, où Tatiana est seule et passe son temps à faire sa manucure (détail qui m’a fait adorer ce personnage), est déjà visible uniquement en noir et blanc au début, et s’effondre peu à peu. Sebastian y accède par des miroirs, mais n’arrive jamais au même endroit ; parfois des hallucinations s’y glissent, parfois des changements de réalité, parfois Tatiana disparaît, ou encore les murs se fissurent, jusqu’à ce que le refuge soit totalement inaccessible en fin de partie. Bref, même dans le soi-disant seul refuge de Sebastian, rien n’est sûr, d’autant qu’il apprend à la fin par une affiche que Tatiana est une personne portée disparue depuis longtemps. L’infirmière s’exprime aussi souvent de manière énigmatique et trouble, et dans le 2e opus, semble assez souvent au courant de ce qui travaille l’esprit de Sebastian.

4. Bestiaire : des monstres aux humains

Cache-cache avec la dame fantôme chantante. (The Evil Within 2)

Un univers d’horreur ne serait rien sans monstres, humains ou boss en ennemis. De ce côté-là, le premier opus de The Evil Within est sans doute plus riche que le deuxième, mais encore une fois, les ennemis sont simplement différents. Si l’on croise des « zombies », ceux-ci sont a priori les anciennes personnes entrées dans le STEM, qui ne supportent pas le côté cauchemardesque des lieux (on se demande pourquoi) et finissent transformées, gangrenées par l’esprit de celui qui contrôle le STEM (Ruvik, Stefano, ou le dernier boss du 2). Joseph Koda subit cette pourriture, et Sebastian lui-même y est confronté, faisant planer le joueur dans la peur que son héros finisse par basculer totalement. Mais d’autres créatures sont bel et bien présentes, comme des zombies rampants ou à plusieurs têtes, des « bébés » zombies, des hommes au masque de porcelaine, des purificateurs par le feu… de quoi faire un bestiaire assez varié, avec un gamplay différent pour s’en débarrasser à chaque fois.

La production du jeu étant japonaise, cela explique la présence des femmes fantômes japonaises, faces blanches aux longs cheveux noirs. Reborn Laura (donc l’interprétation de la sœur de Ruvik, brûlée vive dans son souvenir, par le STEM) est ainsi une créature digne de The Grudge mais avec un corps en forme d’araignée. Ce n’est pas la seule, puisqu’on aura la variante avec une femme assemblée de plusieurs corps et d’une scie dans le 2e, ou la fameuse femme fantôme chantante qui poursuit Sebastian, impossible à vaincre et qu’on ne peut que fuir. Mentionnons aussi, semblant tout droit sortis des films de slasher, le Sadique, l’homme à la tronçonneuse du premier opus, ou encore la créature qui porte une sorte de coffre métallique sur le crâne et qui poursuit Sebastian avec un marteau. Un boss qui renaît alors, tant qu’il y a encore ces coffres métalliques au sol…

On ne sent pas du tout le côté dérangé de Stefano. (The Evil Within 2)

Les monstres ne sont pas les seuls ennemis. Ruvik, le véritable antagoniste du premier jeu, est ainsi mémorable pour sa cruauté, sa capacité à se téléporter aléatoirement, à projeter Sebastian dans divers niveaux de réalité du STEM, et à le tuer en un seul coup si on se fait attraper. Ruvik est un ancien enfant prodige, un surdoué dont les expériences scientifiques interdites ont permis la naissance du STEM. Mais c’est avant tout un être sans pitié, qui manipule Sebastian et qui cherche à s’échapper du STEM où il est bloqué, quitte à tuer sur son passage, cherchant un vaisseau pour retourner dans le monde réel. Le monde du premier jeu est ainsi sa création cauchemardesque, dont il affirme ne pas être prisonnier, et pouvant y introduire toutes les horreurs dont il a envie.

Différent, mais tout aussi mémorable, on trouve le photographe Stefano dans le deuxième opus, le premier des trois grands antagonistes du jeu. Il s’agit d’un artiste psychopathe et égocentrique qui a déjoué les tests psychologiques du STEM, et qui cherche à photographier la beauté ultime…à savoir le moment de la mort des gens, qu’il repasse alors en boucle, comme un instantané de l’instant. Une première partie du deuxième opus est fortement marquée par l’affichage de ses photos dans des cadres, des sujets « emprisonnés » par ses photos, par le musée de ses œuvres. C’est là un méchant profondément dérangé comme il y en a peu, à l’image de sa créature, un appareil photo à l’ancienne intégré sur des longues jambes de femmes, créature assez horrible. Les deux antagonistes principaux suivants ne sont pas autant à la hauteur, avec un prêtre gourou illuminé, et une personne issue du passé de Sebastian, même si sa présence est tout à fait logique et prévisible. Si ces ennemis sont aussi crispants, c’est parce qu’ils évoquent tantôt la manipulation envers les autres, la capacité à les transformer en monstre (ou à se transformer en monstre), une nature profondément dérangée alors qu’elle devrait être positive de prime abord, et transformée ainsi par le prisme du STEM.

5. Donne-moi une référence, et mon esprit se chargera du reste

Si Silent Hill 2 est partout, alors ça ressemble drôlement au fauteuil où James Sunderland regarde une certaine cassette vidéo. (The Evil Within 2)

Une dernière thématique, et pas la moindre, pour ajouter à l’atmosphère anxiogène de The Evil Within, c’est celle des références. Tout genre du jeu vidéo a été marqué par des grands noms, et on ne peut s’empêcher d’y penser en parcourant tout jeu ultérieur. Mais par la production japonaise, et le fait que ce soit Shinji Mikami, également directeur de Resident Evil 4, qui réalise le premier Evil Within, ces références sautent encore plus aux yeux, et achèvent de mettre le joueur dans une ambiance qui semble à la fois familière et dangereuse. En croisant des clins d’œil, des hommages à d’autres jeux horrifiques, l’esprit repense évidemment aux jeux d’origine et se rajoute, en pressentiment, un souvenir de ce qui pourrait arriver…
Ainsi, le manoir du 1er opus ressemble beaucoup au manoir de Resident Evil 1, qui en aura crispé plus d’un. La première apparition d’un zombie est filmé de la même manière que celui dans Resident Evil, quand on le surprend en train de dévorer un corps. La manière dont les routes sont coupés, en se terminant abruptement dans le vide, ou le décor urbain de la ville fantôme d’Union, rappellent Silent Hill(s), dont le dernier, Downpour, est aussi légèrement en semi-open world avec quelques quêtes annexes. De manière générale, l’ambiance décrépite des décors, le côté rouille et sang, la légère brume, l’utilisation de la psyché pour créer un monde et des monstres, rappellent Silent Hill, tout comme la safe room qui devient de moins en moins sécuritaire, comme dans Silent Hill 4. Resident Evil a sans doute inspiré la safe room avec ce morceau de musique classique, Clair de lune, qui nous indique le proximité d’un miroir pour y aller. D’ailleurs, cet air est déformé dans le 2e Evil Within, utilisé comme leurre par une des femmes fantômes.

Certaines références ne se cachent pas, loin de là. (The Evil Within)

Côté cinématographique, les fantômes japonais sont des références au folklore traditionnel, et à The Grudge. On croise d’ailleurs des fausses affiches de cinéma, l’une avec un visuel similaire à The Grudge, mais d’autres évoquant Mist de Stephen King, The Thing de Carpenter. Les nombreux fauteuils roulants vides dans des couloirs font penser à Silent Hill 3, mais aussi au film Session 9 et à L’échelle de Jacob pour les monstres. Le boss Sadique, du 1er opus, rappelle Massacre à la tronçonneuse, tandis que Stefano, avec son appareil photo, évoque la couverture de la BD A killing joke (sur l’origine du Joker), aussi bien que Hannibal et ses terribles œuvres d’art dans la série éponyme. Les nombreux pièges dont le premier opus est parsemé évoquent également Saw et tous les films de torture qui ont rejoint le cinéma horrifique. Quant aux changements de réalité et réveils successifs, sans doute faut-il y voir là un clin d’œil à Inception. Dans deux jeux vidéos qui manient aussi bien les références et rendent hommage à ces noms de l’horreur, comment peut-on s’attendre à être tranquille un seul instant ?

Le manoir de Ruvik. (The Evil Within)

Conclusion

The Evil Within 1 et 2 renouvellent le survival-horror, en y mettant des grands moyens. Sans doute, le 1 est meilleur que le 2, car plus frontal, plus osé et plus fou dans tous les sens du terme ; mais le 2 n’est pas une expérience à négliger, offrant simplement quelque chose de différent, de plus psychologique et de plus ouvert. Les deux opus demeurent en tout cas une belle expérience du genre, extrêmement prenante tout du long, et le premier met la boule au ventre du début à la fin. Et si les références sont nombreuses, The Evil Within a tout de même sa propre personnalité, son univers, sa propre manière de faire peur, fort efficace et travaillée, et qui donne une belle représentation du genre. A quand le troisième ?


8 réflexions sur “The Evil Within, ou l’art de la terreur

  1. J’ai adoré le premier opus de ce dyptique de JV, vraiment la flipette est au rendez-vous et je trouve que tu parles très bien de cette ambiance un peu silentillesque.

    Un très bel article hyper travaillé, franchement, je suis impressionné du boulot que tu as fais là, c’est très pro et l’analyse est assez profonde. J’adore ! *0*

    J’ai bien envie de découvrir le 2 meme si je n’ai pas encore tout à fait fini le 1 ^^

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    1. Oh oui, le premier opus a de quoi faire monter la pression. Il déstabilise tout le temps et se renouvelle assez pour qu’on soit toujours surpris.

      Merci beaucoup pour tes compliments, ça me fait très plaisir ! 🙂 Quant au 2e jeu, il est bien différent du 1, un peu en-dessous peut-être, mais son expérience vaut la peine aussi ! Es-tu arrivée au bout du 1 ou cherches-tu à le compléter ? J’espère ne pas t’avoir spoilée avec l’article.

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      1. Surtout les passages avec les mecs qu’ont la carrure de bouchers charcutiers et qui te coursent avec des hâches ou des tronçonneuses ! : »)

        Je ne suis pas encore arrivée au bout du 1 mais le spoil de JV me gêne pas donc en vrai c’est pas grave si tu m’as révélé des trucs! Et puis j’ai une mémoire de poisson alors d’ici à ce que j’y rejoue, j’aurai probablement tout oublié, crois moi ahaha

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  2. Trouillard que je suis je n’ai jamais osé jouer à The Evil Within. Mais c’est clair que Bethesda (l’éditeur) peut s’en frotter les main car cette licence encore « toute jeune » est déjà devenue une référence. Je veux pas trop m’avancer, mais il me semble bien qu’un 3ème opus est en préparation (source non officielle) !

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    1. Le premier Evil Within fiche bien les chocottes quand même, j’avançais en ayant la boule au ventre et en étant pas rassurée du tout… Bethesda a fait fort. En espérant que le 3e opus ne déçoive pas les attentes alors, s’il sort un jour 🙂

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  3. Superbe article sur ces deux jeux qui m’ont véritablement marqué au cours des dernières années. Tu as su en saisir tous les éléments et les analyser de manière efficace, c’était très agréable à lire.
    Dans l’ensemble, on est plutôt d’accord : le premier opus est davantage orienté sur l’horreur et la survie que le second, qui perd quelque peu son côté anxiogène au profit d’un plus grand soin narratif, chose qui manquait cruellement jusqu’alors. J’attends avec impatience l’arrivée d’un troisième opus qui, je l’espère, parviendra à conjuguer l’ambiance du premier avec la qualité narrative et psychologique offerte par le deuxième.
    Cela dit, je pense que ce n’est pas pour tout de suite puisque Mikami et son équipe travaillent actuellement sur GhostWire Tokyo, une nouvelle licence horrifique qui a été annoncée à l’E3 cette année. Je suis tout aussi impatient de découvrir de quoi il en retourne !

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    1. Merci à toi pour tes compliments ! 🙂
      Oui, tout à fait, le 1er est plus confus volontairement, plus oppressant, mais le second gagne en profondeur et psychologie. Espérons que le 3e saura faire un bon mix ! Je me souviens de GhostWire Tokyo, de l’annonce du moins ! Ça me tente moins comme ça, mais sait-on jamais, car j’ai eu une très bonne surprise avec The Evil Within, que je voyais plus comme un slasher gore et qui s’est révélé bien plus original que je ne le pensais.

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