Lectures de mars 2020

Les 1001 guerres de Billy Milligan – Daniel Keyes

Après un premier tome consacré à la reconstitution de la vie de Billy Milligan, Daniel Keyes entame un deuxième tome tourné cette fois aux longues années passées par Milligan en prison. Le premier livre s’achevait sur le transfert de Billy Milligan – souffrant du trouble de la personnalité multiple – vers une prison d’État dure et beaucoup moins adaptée que l’hôpital psychiatrique carcéral où il était précédemment.

On reprend ainsi le fil de l’histoire avec cette nouvelle prison, qui ne sera que la première des nombreuses autres connues par Milligan. De procès en procès, transbahuté en prison, en hôpital, en cellule avec un co-détenu ou bien en confinement, l’homme connaît bien des errances confinées pendant ce deuxième tome. S’il commet parfois des incidents en prison ou incite à la rébellion, ce n’est cependant pas pour son comportement que Milligan est ainsi traité, mais bel et bien à cause de la politique et de la justice de l’époque. Entre des médecins qui refusent de reconnaître sa véritable maladie et de le traiter correctement, des dirigeants de prison qui le prennent en grippe ou la cupidité de certains journaux et politiques à le traiter en criminel sans âme, le cas Milligan a véritablement déchaîné les esprits à l’époque. Les 1001 guerres de Milligan, axé sur son combat pour obtenir un traitement médical adapté et retourner à la vie civile, est cependant moins passionnant que Les 1001 vies. Probablement parce qu’il traite beaucoup de vie carcérale, de rouages politiques et judiciaires de manière dense, au point de s’y perdre parfois. Cela n’empêche pas l’histoire d’être intéressante pour ce qu’elle dévoile sur une société américaine décidément à plusieurs vitesses ; passionnante et poignante, quand on découvre les Indésirables, personnalités rejetées par Milligan, durant cette période, ou aussi à quel point il a failli tout abandonner et se suicider. Ce tome est la reconstitution d’une époque, de ses croyances, de ses mécanismes archaïques – pas si lointains que ça – et de la manière dont un cas judiciaire peut devenir instrumentalisé au point d’oublier l’homme derrière.

The Promised Neverland, tomes 1 à 8 – Kaiu Shirai & Posuka Demizu

Emma, Ray et Norman sont trois enfants vivant à Grace Field House, avec d’autres frères et sœurs. Tous sont orphelins, et sont élevés par Maman, leur gouvernante, aussi attentionnée que prévenante. Tout est soigneusement orchestré dans leurs vies quotidiennes : les repas, les tests d’intelligence à passer, les jeux, le sport… deux seules règles : ne pas s’approcher de l’enceinte de la propriété ou du portail. Mais la vie à Grace Field House est-elle aussi paradisiaque qu’elle en a l’air ?

Il est inutile d’en dire plus que ce simple pitch de l’histoire, car cela serait gâcher la surprise du tout premier retournement de l’histoire… qu’on ne voit absolument pas venir. Pendant ces tomes, j’ai été agréablement surprise et emballée par l’histoire de ces trois orphelins, me suis vite attachée à eux, interrogée sur l’endroit où ils vivaient. Avec de rares temps de pause mais toujours avec de l’émotion, The Promised Neverland propose une histoire originale et vraiment prenante, incitant à tourner les pages sans s’arrêter et à découvrir les résolutions de chaque arc narratif. Bref, c’est un voyage pour lequel je ne regrette pas d’avoir embarqué, et je suis curieuse de voir jusqu’où les auteurs nous emmèneront.

Claymore, tomes 1 à 6 – Norihiro Yagi

Dans un monde fantasy médiéval, des démons dévorent régulièrement les populations humaines. Pour les exterminer, on fait appel à des Claymores, des femmes ayant reçu le sang et la chair d’un démon pour les rendre capables d’affronter ces créatures. Mais ces guerrières, aussi essentielles soient-elles à la survie de la société, sont tout aussi mal vues que les démons qu’elles déciment

Avec du recul, je ne peux que noter la similarité d’un tel synopsis avec l’univers de The Witcher, où les sorceleurs exterminent bien des créatures, tout en étant aussi rejetés par la société qui les engage. Claymore propose un univers sombre, avec une galerie de portraits féminins, d’histoires de guerrières, et c’est là son charme au-delà des nombreux combats qui parsèment les différents tomes. On suit tout d’abord Claire, une Claymore qui se retrouve accompagnée d’un jeune garçon dans sa quête ; puis Thérèse, la mentor de Claire, puis encore bien d’autres guerrières. Claymore ne raconte pas tant des batailles, que les vies de femmes qui ont été rejetées, et qui n’ont eu d’autre choix que d’être recrutées par l’Organisation créant les Claymore. Souvent orphelines d’une famille dévorée par des démons, elles se situent entre le monde humain et le monde démonique, menant une vie solitaire dénuée d’un autre sens que la lutte contre des monstres, manipulées par l’Organisation, jamais en contrôle total de leurs existences. Claymore est un « vieux » manga, lue adolescente, dont je ne connais la fin que grâce à son adaptation animée, mais cette fois je pense que j’arriverai bien au bout de sa série papier. Ne serait-ce que pour retrouver ces personnalités féminines, jamais hypersexualisées comme dans d’autres mangas, et pour approfondir les vies de Claire, Thérèse la Souriante, Deneve, Hélène, Priscilla, Jeane, Miria…

Moi, Peter Pan – Michael Roch

Wendy est partie du Pays Imaginaire, partie grandir dans un Londres dépourvu de féérie. Il ne reste donc que la bande des enfants perdus, Crochet, les sirènes, les Indiens, et Peter Pan. Dans ce court récit à la première personne, c’est évidemment Peter qui parle, qui décrit son quotidien, qui partage ses réflexions et ses errances, ses dialogues avec des êtres fantasmagoriques. Qui parle aussi de ses peurs, de ses combats, de ses rares souvenirs de la Terre et d’une mère, de ses moments passés avec Lily la Tigresse, de sa relation avec Clochette, des poux qui habitent dans ses cheveux, de ce qui lui ronge le ventre et le cœur.

Moi, Peter Pan est un enchaînement de pensées, de courtes situations, de rencontres avec certains personnages, plus qu’un véritable roman narratif, comportant bien des ellipses et des références au roman original. C’est donc une relecture, mais pour laquelle j’aurai eu de la peine à accrocher, tout en appréciant certains passages pour leur symbolisme, pour leur poésie, pour leur justesse. Michael Roch y a mis l’essence sombre du conte – la peur de grandir, de mourir, de s’engager – mais aussi toute la vitalité, toute la sauvagerie, toute l’imagination de son personnage principal. On y trouve des passages savoureux, comme un dernier duel avec Crochet, un amour qui n’est pas dit ainsi avec Lily la Tigresse, ou des scènes avec de nouveaux personnages qui font réfléchir à qui est Peter Pan, et ce qu’il représente. Cela en fait un roman fantasque, décousu parfois, toujours onirique, qui est fidèle au conte d’origine tout en faisant évoluer Peter Pan. Et puis, vivre aussi, ce serait une sacrément belle aventure…

Préférer l’hiver – Aurélie Jeannin

Une mère et sa fille trouvent refuge dans une cabane au fond des bois, loin de la civilisation. Là-bas, elles se contentent du nécessaire pour manger et survivre, se lisent des passages de livres à haute voix, partagent plus de silences que de paroles factuelles. Il n’y a que dans cette solitude et dans l’hiver qu’elles parviennent à panser leurs plaies – celles d’avoir perdu un fils, d’avoir subi le départ d’un mari et d’un frère.

Le premier roman d’Aurélie Jeannin est une histoire où il ne se passe pas grand-chose – beaucoup moins contemplatif que Moi, Peter Pan, ceci dit – et où tout est dans l’ambiance. Avec les mots de la narratrice – la fille – on est vite plongé dans leur ressenti de cet hiver rude, qui atténue tout, les bruits comme les sentiments, dans une proximité avec la nature et avec les animaux. Et c’est cette ambiance, ce ressenti, qui font pourtant tourner les pages assez vite. Le style de l’auteure est assez envoûtant, limpide et empli de nuances, porté sur la description tant physique que psychologique. Il est aussi profondément sensible, un choix qui s’explique par l’hypersensibilité de la narratrice (thématique suffisamment rare pour la souligner, en littérature), celle-ci étant à éprouver au fil de la lecture. Il y a en effet bien des pages où les mots continuent comme un fleuve et s’entrecroisent, les idées se connectant tant par les sensations que par les références. Et personnellement, ça m’a fait du bien d’enfin croiser un personnage comme celui-ci, m’y reconnaissant en partie. Si l’action moindre fait que ce roman ne plaira pas à tout le monde, il possède une écriture vraiment poétique et touchante, une atmosphère saisissante et une thématique de la résilience, qui me restent en tête.

La ménagerie de papier – Ken Liu

Que se passe-t-il quand des extra-terrestres apprennent aux humains à se débarrasser de leur culpabilité, en effaçant les souvenirs reliés à des fautes, faisant d’eux des hommes neufs ? Quand on étudie les algorithmes pour créer les réactions rendant une poupée presque humaine, comment savoir si ce ne sont pas les algorithmes qui dirigent la vie des hommes aussi ? Que feriez-vous si on vous donnait le choix entre être immortel ou vieillir et mourir naturellement ? Est-ce vraiment une bonne idée de vouloir effacer des souvenirs de sa mémoire ? Consulteriez-vous l’Oracle qui peut vous montrer un point déterminant de votre vie ?…

Tant d’histoires et d’idées, qui se retrouvent dans les nouvelles du recueil La ménagerie de papier de Ken Liu. J’avais découvert cet auteur avec L’homme qui mit fin à l’histoire, et je ne suis pas déçue de découvrir une autre facette de ses écrits avec ce recueil. Si certaines nouvelles sont trop courtes pour laisser un souvenir particulièrement durable, il y en a d’autres qui brillent par leur émotion, leur point de départ ou leur chute. L’auteur y mêle des réflexions véritablement passionnantes sur le langage qui bloque la compréhension face aux autres, le temps qui peut s’interrompre ou s’éterniser, les souvenirs qui forgent nos personnalités ou nos culpabilités, les obsessions qui naissent et qui rendent l’existence insupportable… Il aborde des thèmes scientifiques toujours expliqués de façon explicite et compréhensible, et des thématiques actuelles sur l’intelligence artificielle et l’hyper-surveillance. Et au-delà de la science-fiction, bien des nouvelles sont aussi très émouvantes : il n’a pas oublié d’y injecter l’émotion qui fait prendre la chute de certains textes dans le cœur ou dans la tête.


9 réflexions sur “Lectures de mars 2020

  1. Merci pour cette nouvelle synthèse de tes lectures. Comme d’hab, je fais pas mal de découvertes. Moi aussi, je profite du confinement pour lire et j’avais commencé par me mettre un peu à jour dans mes mangas. J’ai été agréablement surprise par Assassination Classroom et Dragon Ball Super. Et maintenant, je me relance dans des romans.

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    1. Assassination Classroom sera toujours top, que ce soit en animé, ou en papier ❤ Bonne lecture pour les romans, et merci ! Bizarrement j'ai eu du mal à lire le premier temps du confinement, la tête ailleurs…ça bouge doucement.

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  2. J’ai profité de l’offre de Kazé pour télécharger les trois premiers épisodes de The Promised Neverland qui a l’air d’une série prometteuse. Tu as titillé ma curiosité avec le retournement de situation 🙂
    J’attends de lire le roman original avant de lire Moi, Peter Pan qui semble assez particulier… Le côté onirique m’attire autant qu’il me fait peur parce qu’en fonction du style de l’auteur, ça peut me faire complètement passer à côté de l’histoire comme ça peut me faire l’adorer.
    Quant à Préférer l’hiver, tu sais maintenant que je partage entièrement tes impressions 🙂

    J’aime

    1. J’espère que tu seras aussi surprise que moi ! On ne m’en avait rien dit ni même suggéré, c’était la surprise totale !
      Je n’ai pas vraiment accroché à Moi Peter Pan, malgré le travail de l’auteur : je reconnais que son style est très singulier, très poétique, et il a imaginé une belle version de l’identité de Peter, de ses relations avec les personnages. Mais ça ne m’a pas fait accrocher pour autant malheureusement. Peut-être que ça te plaira davantage !
      Et oui, Préférer l’hiver est sans doute un coup de coeur, grand ou petit, le temps le dira !

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  3. Dommage pour Moi, Peter Pan ! Depuis ma lecture du roman de Barrie, c’est la réécriture qui me fait le plus envie. Ce que tu en dis ne me rebute pas, mais m’intrigue encore plus même si j’espère que ce ne sera pas une déception si j’ai l’occasion de le lire un jour.
    Préférer l’hiver est noté, merci pour cette découverte !
    Bonnes lectures !

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