Harleen – Stjepan Šejić
Harleen Quinzel est une jeune psychiatre pleine d’ambition. Déterminée à prouver que les conditions de vie dans un milieu violent et traumatique peuvent être responsables de la sociopathie des criminels, elle se retrouve embauchée à Arkham Asylum pour confirmer sa théorie. Elle y rencontrera Poison Ivy, le Chapelier fou mais surtout le Joker. Et c’est le début d’une relation ambiguë entre elle et son patient, de la descente aux enfers de celle qui deviendra Harley Quinn.
Bien que je ne sois pas particulièrement fan du personnage d’Harley Quinn, ce comics s’est vu auréolé de tant de bonnes critiques sur le plan scénaristique comme esthétique que je lui ai laissé sa chance. Et je ne le regrette absolument pas ! Car le personnage dépeint se détache totalement de la Harley Quinn sur-popularisée et sur-sexualisée qui s’est imposée ces dernières années, notamment au cinéma. Stjepan Šejić propose une nouvelle origin story du personnage, aussi intelligente que mature, avec des aspects très humains sans pour autant renier l’héritage comics. Si on a une introduction emplie de frénésie, le reste du récit se plaît davantage dans la lenteur, les dialogues et des scènes à la beauté marquante, pour mieux refléter la dégringolade intérieure d’Harley face au Joker. Ce dernier est présenté comme une rock-star, au charme aussi ambigu que toxique, jouant aisément sur plusieurs facettes pour mieux piéger la psychiatre, comme il a piégé bien des psy avant elle.
Les événements extérieurs ne sont pas non plus étrangers à la chute d’Harleen : elle croise Harvey Dent, alias Double-Face, peu de temps avant que celui-ci ne soit défiguré, comme une prémonition de ce qui l’attend. Dans les autres personnages secondaires croisés, on trouve notamment une très belle Poison Ivy, presque la seule qui aurait pu sortir l’héroïne de sa décadence, mais aussi Batman, dans une scène sobre mais emblématique du justicier de Gotham. Entre entretiens psychiatriques, flash-backs du passé d’Harleen ou scènes solitaires, le comics se lit avec fluidité, en suivant un dessin simplement magnifique. Il illustre par des détails ou en pleine page des poses et des scènes emblématiques de la relation naissante et ambiguë de Harleen et du Joker. Mais la force du récit, c’est vraiment d’être parti avec une héroïne douée des meilleures intentions, qui finit par s’enliser dans la noirceur de Gotham, et par tomber peu à peu dans les pièges du Joker sans s’en rendre compte, à sombrer doucement dans la folie sous nos yeux de lecteurs, sans clichés, par son propre cheminement intérieur. Car c’est bien ce processus de transformation, la manière dont Harleen devient Harley, qui est mis en avant, plus que ses débuts de méchante de Gotham.
Amour monstre – Katherine Dunn
Roman américain, Amour monstre est le récit de la famille Binewski : le père, Al, gère un cirque avec sa femme, Lil. Pour relancer leur cirque, ils décident d’avoir plusieurs enfants sous l’influence de diverses drogues et radiations : Oly, naine et bossue, la narratrice, Electra et Iphigenia, sœurs siamoises, Arturo l’Homme-Poisson, et Fortunato, ordinaire a priori mais doué d’un don surnaturel. Par Oly, on retrace toute l’histoire de la famille, de la rencontre des parents à la naissance des enfants, leur vie quotidienne du cirque, entre errances, spectacles, jalousies et complicités dans la famille, tout en accordant une place au présent, où Oly tâche de protéger sa fille, Miranda, elle aussi exceptionnelle comme le reste de sa famille.
Le roman, un pavé de presque 500 pages, est unique, déstabilisant aussi… tout d’abord par ce parti d’avoir créé une famille de monstres pour assurer le succès d’un cirque. Et pourtant, c’est véritablement une famille, avec ses anecdotes, ses souvenirs, ses moments partagés, des liens de jalousie, d’amour familial (parfois monstrueux, là aussi), de rêves d’avenir et d’ambition, de moments du quotidien, de spectacles. Les personnages inspirent fascination et répulsion, et puis de l’attachement aussi, malgré tout. On en veut à la narratrice d’être aussi naïve et aussi dévouée à des frères et sœurs qui ne le lui rendent pas bien, on admire le duo des sœurs siamoises aux caractères opposés et complémentaires, qui rêvent d’être indépendantes. On ne sait pas si on doit détester ou non Arturo, l’Homme-Poisson à l’ego démesuré, à l’intelligence remarquable, capable aussi bien de cruauté que de protection envers sa famille et le cirque. Il s’agit là d’un personnage à la dualité complexe, oscillant entre égoïsme et sensibilité, qui trouble énormément à la lecture, car on apprend beaucoup à le détester tout en ayant progressivement des clefs de compréhension sur son attitude si prétentieux et mégalomane. Et en même temps, c’est une plongée dans leur monde, décrit et ressenti comme supérieur à ceux des « normos » normaux, qui eux ne voient que des phénomènes de foire, parfois des inspirations mystiques ou des monstres.
Je l’admets, la lecture de la narration présente, où Oly essaye de protéger sa fille, m’a beaucoup moins intéressée et passionnée que la lecture des événements passés, propres à l’époque du cirque. Mais le temps présent offre lui aussi d’autres personnages mémorables, avec une femme persuadée de devoir éliminer les attributs de beauté de jeunes femmes pour leur garantir un avenir intellectuel meilleur, entre autres. Bref, Amour Monstre est dense, brasse énormément de thématiques, parfois avec quelques longueurs, mais c’est une lecture qui ne laisse pas indifférent face à ses personnages doués d’une morale parfois ambiguë, par ce côté « amour monstre » qui parcourt tout le roman, qui révolte parfois, mais qu’on finit par comprendre, tant cette famille ne peut compter que sur ses membres pour atteindre une forme de bonheur.
Bénie soit Sixtine – Maylis Adhémar
Sixtine est une jeune femme pieuse, élevée dans la religion catholique traditionnelle. En se mariant à Pierre-Louis, issu d’une famille encore plus intégriste que la sienne et membre d’une secte extrémiste, elle pense mener une vie heureuse et dans le respect de ses valeurs. Mais son mariage se révèle dépourvu d’affection, sa belle-famille trop influente, et ses premiers mois avec son bébé sont catastrophiques, au point de la pousser à s’enfuir et à tenter de mener une autre vie, indépendante et loin du milieu intégriste, avec son enfant.
Bénie soit Sixtine est un premier roman de la rentrée littéraire 2020, et qui s’avère être une lecture plutôt agréable. Il traite d’un milieu dont je ne connaissais que quelques échos, montrant la vie dans un milieu catholique intégriste de manière aussi glaçante que « naturelle », tant les rituels, prières, valeurs sont ancrés et « rationalisés », même dans un monde moderne. Un milieu totalement décalé et étranger avec son époque, comme on peut le voir facilement quand la belle-famille de Sixtine lui conseille de souffrir sans aucune aide médicale durant son accouchement, au lieu de la laisser accoucher dans un lieu de son choix, avec une péridurale, une sage-femme ouverte d’esprit ! Le roman est une plongée dans ce catholicisme extrémiste dont la jeune femme, désillusionnée, finira par s’enfuir pour espérer mener une vie meilleure, même s’il est difficile de se défaire de l’éducation de toute une vie. Bénie soit Sixtine a un côté très docu-fiction qui le rend assez passionnant à lire, et le personnage de Sixtine est en lui-même assez attachant pour avoir envie de continuer la lecture et de voir comment elle finit par mener sa propre vie, libérée des pressions, de convenances archaïques et d’une famille qui la voit comme « perdue » au moindre écart dans sa conduite. Bref, un premier roman à la fois très plaisant à lire, et qui traite d’un milieu intégriste existant hélas encore, de manière très réaliste et avec un style fluide et accrocheur.
Hôtel Pennington – Ced & Iléana Surducan
Les parents de Charlotte, une fillette de 11 ans, emménagent dans un vieil hôtel pour le réhabiliter. Mais la petite fille, très sensible, se rend vite compte que des fantômes errent dans le bâtiment. Avec son nouvel ami Chuck, elle se met en tête de les aider à trouver le repos.
Petite bande dessinée pour les enfants (à partir de 8-9 ans), Hôtel Pennington est doté d’un dessin très joli, avec de nombreuses nuances de lumières et de couleurs, et un sacré sens de la poésie pour retranscrire cet hôtel lugubre sans le rendre complètement glauque. L’histoire ne possède aucun rebondissement qui peut surprendre les adultes, mais c’est une charmante histoire de fantômes mêlée d’un aspect légèrement policier. L’héroïne n’a pas froid aux yeux en s’approchant des esprits hantant l’hôtel pour les aider, finissant par résoudre les mystères des différents morts. Certains sont plus liés entre eux ou à l’histoire de la ville qu’on ne le croit, et certains bien plus effrayants que d’autres. Quelques traits de dessin évoquent parfois l’univers de Coraline de Neil Gaiman, sans en atteindre le même côté malsain.
Dragon – Thomas Day
Bangkok, dans un avenir très proche, subit une moisson permanente suite à un dérèglement climatique. Un serial killer s’attaque aux réseaux de proxénétisme des mineurs, tuant les responsables et libérant les enfants. Le lieutenant Tannhäuser Ruedpokanon est chargé d’arrêter cet homme qui se fait surnommer « Dragon ».
Si L’homme qui mit fin à l’histoire dans la collection Une heure-lumière avait déjà frappé haut en partant de faits réels pour son récit, Dragon utilise lui aussi une réalité terrible pour créer son intrigue. C’est une novella qui ne se soucie guère du lecteur dans le sens où les faits de prostitution des enfants à Bangkok sont le moteur du récit, et où on prend cette horreur en pleine figure, sans fard, sans concession, pour mieux dénoncer cet aspect du tourisme sexuel de la ville. Et c’est ainsi qu’on peut se demander s’il faut véritablement que le héros de Dragon arrête le tueur en série qui libère, à sa manière, les enfants de ce système atroce, et qui punit tous ceux qui profitent et abusent de l’innocence des victimes. L’auteur a vécu en Asie du sud-est, et cela se ressent dans ses descriptions de la ville, emplies de moiteur, d’abysses écœurants, de dédales labyrinthiques, de corruption et de lieux clandestins. La novella se teinte ainsi aisément d’un côté roman noir, mais l’aspect imaginaire est loin d’être oublié. Si on peut deviner quelques indices ici et là, le retournement fantastique de l’intrigue intervient quasiment à la fin, d’une façon intelligente et surprenante, qui donne encore plus sens au titre de la novella. Dragon n’est pas pour les âmes sensibles, mais c’est une histoire puissante qui mêle aisément faits réels, engagement et fantastique.
Stella Finzi – Alain Teulié
A Rome, Vincent pense à mettre fin à ses jours. Il croise alors la route de Stella Finzi, une femme aussi laide que son esprit est intelligent et complexe. Les jours s’écoulent entre conversations et séductions entre eux.
Autre roman de la rentrée littéraire 2020, Stella Finzi est une aussi mauvaise pioche que Bénie soit Sixtine avait été agréable à découvrir. C’est très rare, mais j’ai clairement senti les 200 pages passer, et ce n’était que parce que le roman était court que je suis allée jusqu’au bout, espérant un twist qui sauverait le reste. Le héros, avec ses rêveries morbides sans courage, est inintéressant et ennuyeux au possible, sans possibilité d’aucun affect, et si le personnage de Stella est volontairement plus mystérieux, il peine à intriguer (et n’est pas Kathy Bates qui veut, honnêtement). Sans compter que leurs rencontres sont loin d’être passionnantes ou emplies de tension. Le style non plus ne suffisait pas à apprécier le roman, puisqu’il était parsemé de cette manière d’écrire très propre à l’autofiction, consistant à donner le détail des rues, des repas des personnages, des marques de vêtements achetés, etc. Cela plus l’intrigue très lente, qui ne se révèle quasiment qu’à la fin quand tout est passé, fait que l’on peut aisément passer son chemin pour ce livre.
M.O.R.I.A.R.T.Y., Empire mécanique, tome 1 – Jean-Pierre Pécau, Fred Duval & Stevan Subic
Deux événements se mêlent dans un Londres steampunk : un homme en furie qui passe d’une fumerie d’opium à une autre, et la présence d’un joueur d’échecs à la tactique trop parfaite pour ne pas être suspect… Sherlock Holmes se rendra vite compte que les deux sont liés.
Premier tome d’une BD aux accents steampunk, MORIARTY met en scène le détective Sherlock Holmes, classiquement mis en scène, mais également les personnages de Mycroft et de Winston Churchill, ainsi que Jekyll et Mr. Hyde. L’aventure voit ces différents fils s’entremêler, et évoquer Moriarty, sans que celui-ci n’apparaisse directement. Moi qui suis plutôt fan des aventures du célèbre détective en temps normal, je n’ai pas été vraiment convaincue par ce premier tome, bien qu’il rajoute au Londres victorien de Holmes un autre personnage que j’affectionne, Jekyll/Hyde. Le dessin ne me plaît en effet pas particulièrement, surtout au niveau des traits des protagonistes, et les intrigues ne m’ont pas emballée. Les autres tomes de la série sont sans doute plus prometteurs, une fois le cadre du tome 1 placé, mais je ne pense pas m’y pencher par la suite.
Blacksad, tomes 4 et 5 – Juan Diaz Canales & Juanjo Guarnido
Une enquête dans une Nouvelle-Orléans resplendissante de jazz, de vaudou et de couleurs ; un road-trip à travers l’Amérique pour résoudre une affaire que Blacksad subit plus qu’autre chose : voilà ce que proposent les deux derniers tomes de la série, avec un dessin toujours aussi détaillé et sublime dans l’expression de ses personnages.
L’enfer, le silence touche à ces moments où tout détective privé sent qu’il s’enfonce un peu trop dans les enquêtes policières pour son propre bien, au point de presque finir par y laisser la vie. L’enquête à la Nouvelle-Orléans, à la recherche d’un pianiste héroïnomane, est toujours aussi bien menée dans une ville aussi mystérieuse que magique, à la beauté étrange et multicolore. Les personnages y sont toujours aussi bien posés et terriblement expressifs, en quelques traits, quelques postures, quelques regards. Plus léger, Amarillo conclut la série avec des personnages qui cherchent à s’assumer et à affronter les conséquences de leurs actes. Son road-trip est entraînant, lumineux, une bouffée d’air frais pour le détective félin qui mène sans doute là sa dernière affaire, avant de profiter d’un repos bien mérité.
Beaucoup d’années auront séparé ces tomes des trois autres, mais pour proposer des planches toujours aussi merveilleuses à lire et à observer, avec des personnages semi-animaliers toujours aussi distincts. Je n’aurais pas dit non à encore quelques tomes, mais il était bien temps que Blacksad prenne sa retraite de détective, après avoir échappé si souvent à la mort. Ses aventures se concluent très bien, et même si le dernier tome est considéré comme le plus faible de la série, je trouve au contraire que l’épilogue en forme de road-trip, plus que de polar, est une note finement amenée pour terminer la série, comme la dernière étape d’un long voyage tortueux pour notre héros.
Touchées – Quentin Zuttion
Un groupe de femmes ayant subi des violences sexuelles se retrouve pour des séances d’escrime-thérapie. Parmi elles, trois figures différentes : Lucie, qui dort avec un couteau à la main chaque nuit, Tamara, qui devient agressive pour ne plus être agressée, et Nicole, qui se replie et s’isole pour s’effacer. Leur rencontre et les séances leur permettent de reprendre possession d’elles-mêmes et de leur vie.
Après Appelez-moi Nathan, c’est encore une belle BD que propose Quentin Zuttion, avec délicatesse au niveau du trait et de la manière d’aborder les situations, mais aussi avec une belle authenticité. On suit tour à tour des instants de la vie de chacune de ces femmes, on plonge dans leur mal-être et leur manière d’agir pour tenter de surmonter une blessure commune ; puis on a leurs retrouvailles, leurs discussions, qui les aide à remonter progressivement la pente. Il n’y a pas de cliché, chacun de leur mécanisme de défense est une réaction propre à leur caractère, avec un côté auto-destructeur dont elles doivent s’extraire. Cela est représenté avec une belle symbolique lors de leurs combats à l’escrime, où l’adversaire masqué devient parfois celui qui leur a fait subir les violences, ou bien elles-mêmes, la part d’elle-même qu’elles doivent anéantir pour pouvoir avancer. Je ne m’attendais pas forcément à apprécier la bande dessinée avec la même force que la précédente, mais le sujet est traité avec sensibilité, sans pathos, et on se retrouve avec une BD de belle qualité.
Le nom du vent (Chronique du tueur de roi, 1ère journée) – Patrick Rothfuss
Un Chroniqueur retrouve trace d’un légendaire magicien et musicien, Kvothe, dans une auberge. L’ancien aventurier est en effet devenu le gérant du lieu, cachant sa véritable identité. Il faudra trois jours complets pour que Kvothe raconte son histoire…
Premier tome d’une trilogie de fantasy dont le dernier est encore à paraître, Le nom du vent est déconcertant au tout début, avec un prologue extrêmement mystérieux, jusqu’à ce que tout fasse peu à peu sens et que le récit débute véritablement. A vrai dire, pendant une bonne centaine de pages, je me suis demandée si j’allais accrocher, l’histoire prenant son temps sans réelles surprises. Et puis trois jours plus tard je me suis retrouvée avec les presque huit cent pages de finies, sans trop comprendre à quel moment les chapitres avaient commencé à défiler à toute allure.
« Alors comme ça, vous êtes parti sur les traces d’un mythe et c’est un homme que vous avez découvert ? Vous avez entendu des histoires et maintenant, vous voulez la vérité. »
Kvothe nous raconte son histoire depuis le début : son enfance au sein d’un cirque ambulant avec ses parents, sa rencontre avec un premier Arcaniste, le magicien de ce monde, sa soif de savoir et son intelligence déjà vive pour son âge, sa passion pour la musique et le beau-parler (forcément, quand on est au sein d’une troupe de théâtre et de musiciens renommés). Et puis arrivent assez vite les événements qui font basculer toute sa vie, le condamnant à la solitude et à la misère pendant plusieurs années, le temps de se remettre d’un événement traumatique. Puis, il parvient à reprendre pied, à trouver le chemin de l’Université où il est admis pour devenir un futur Arcaniste, bien qu’il soit normalement trop jeune pour y entrer. Ce premier jour est un récit initiatique, de son enfance à son adolescence, des évènements les plus bouleversants de sa vie jusqu’au début de son apprentissage. Bien sûr, cela ne manquera pas d’évoquer Harry Potter, avec le contexte des cours, des professeurs plus ou moins bienveillants, des camarades de classe proches ou bien d’un ennemi juré. Mais c’est tellement bien fait (et sans réellement les accents « adolescents » qui parcourent Harry Potter, même si cela reste initiatique) que le récit se lit très très vite. Et pourtant, à une exception près vers la fin, il n’y a pas encore d’aventure réellement épique, et nous ne savons pas encore comment Kvothe devient un aventurier, un héros à l’avenir, même si on prend déjà conscience de son talent pour la musique et la magie. Le personnage en lui-même est parfois arrogant, presque trop parfait, mais ce serait oublier toutes les galères de taille par lesquelles il est passé, et à quel point il a la désagréable manie de toujours revenir à son point de départ, à force de vouloir bien faire.
Les personnages secondaires sont quant à eux tout aussi fouillés et passionnants, que ce soit Denna, la jeune femme dont il est amoureux (une relation écrite toute en subtilité et pudeur), ou ses deux camarades de classe, complémentaires et solides, bien qu’on ne sache pas grand-chose sur eux. Et l’univers dans lequel tout se déroule est lui aussi intriguant : tout n’est pas expliqué, mais on a déjà la présence d’un ennemi mystique, la présence de nombreuses contrées, et une réalité qui est très bien ancrée et définie, que ce soit au niveau du fonctionnement de la magie, du système financier ou social. Patrick Rothfuss baigne tout cela avec un très bon sens du dialogue, un peu de poésie, un style très fluide pour un roman aussi long, de la nuance dans ses personnages (notamment Denna, encore une fois, qui est loin d’être une demoiselle en détresse) et avec une manière de nous les rendre attachants en quelques scènes (Auri, mystérieuse à souhait). Sans oublier cette façon de tenir le suspens à chaque fin de chapitre ! Le seul défaut concerne les interludes dans le présent, au moment où Kvothe raconte son histoire : ces coupures ne sont pas inintéressantes, mais elles ont tout de même la manie de gâcher l’immersion du récit. Qu’importe, Le Nom du Vent est vraiment une très bonne lecture, un de ces récits de fantasy jubilatoire qui parvient à vous happer facilement, sans sombrer dans les clichés, et dont je lirai la suite avec plaisir dès que j’en aurai l’occasion.
L’art de Horizon Zero Dawn – Paul Davies
L’artbook du jeu vidéo Horizon Zero Dawn est, comme tout artbook de jeu que j’ai pu feuilleter, simplement magnifique au niveau des illustrations et des concept art choisis. On peut ainsi découvrir de nombreuses images, dans un style presque comics, qui mettent en avant le personnage d’Aloy afin de déterminer la personnalité de l’héroïne, entre innocence, émerveillement, courage et curiosité. Ces différentes étapes permettent de comprendre comment elle a fini par avoir son caractère final, à la fois candide mais aussi de plus en plus affirmé durant le jeu. On trouve aussi des concept arts des différentes tribus du jeu, et dont les détails, davantage explicités que dans le jeu, permettent de saisir les différences de technologies et de civilisation selon les groupes de nomades, ou même la manière dont les bandits s’approprient les terrains et vêtements des territoires conquis. Une grande importance est aussi accordée au design des machines, les reliant directement aux anciens animaux dont ils sont inspirés, et comment chaque forme permet de les ancrer à un rôle particulier dans la renaissance de la nature. Un artbook pour le plaisir des yeux, certes, et qui en plus permet de connaître bien plus les détails et significations derrière chaque couleur, chaque motif, ou derrière les différentes constructions des maisons selon les tribus.
Le chien noir – Lucie Baratte
Il était une fois une jeune princesse dont la mère était morte, et dont le père était un tyran. Son père la maria au roi Barbiche, qui au-delà de ses apparences charmantes et éloquentes, était un véritable monstre, maître d’un château aussi noir que son cœur. Il était une fois une princesse qui tenta de se libérer de son joug…
Conte gothique qui emprunte son langage aux contes traditionnels tout en mêlant quelques anachronismes, Le chien noir est une relecture de Barbe-Bleue, et aussi d’un autre conte que je ne citerai pas pour laisser la surprise du dénouement. En commençant chaque chapitre par « Il était une fois », l’auteure nous emporte dans un univers sombre et froid, loin de la fantaisie ou de la magie de certains contes de fées. Son héroïne, Eugénie, est au départ innocente et candide, pleine de vie, avant de se retrouver mariée à un roi terrifiant. En son absence, elle erre dans le château de son mari, accompagnée seulement de son chien et d’un domestique grinçant, à double jeu. Et le style de Lucie Baratte rend véritablement hommage aux contes sombres et à plusieurs sens de lecture qu’on lit étant enfant, tout en gardant une écriture poétique, parfois glauque et crue, mais représentative de la noirceur de son histoire. Si le côté oppressant du gothique n’apparaît pas forcément ici – peut-être à cause de la forme narrative propre au conte – les images de violence, de sang et de meurtre qui y sont habituellement associées sont largement là. Le tout forme alors un roman-conte aux images prégnantes, où l’on souhaite la liberté de l’héroïne, où on attend de voir quels secrets cache la demeure de Barbiche, où l’imaginaire cherche les symboliques derrière les images. Ce n’est pas un coup de cœur, mais une lecture vraiment intéressante et originale sur le fond et la forme. Le chien noir est une petite perle au niveau de l’écriture, dans son hommage au conte et au gothique à la fois, tout en revisitant avec succès deux légendes traditionnelles.
Locke & Key, tomes 1 & 2 – Joe Hill & Gabriel Rodriguez
Après l’assassinat de leur père, les enfants Locke reviennent avec leur mère dans la demeure familiale, Keyhouse. Chacun fait face comme il peut à cet événement traumatique, à retrouver un quotidien ordinaire. Mais le plus jeune des enfants découvre alors une clef permettant de devenir un fantôme, et entend le murmure d’une mystérieuse femme au fond d’un puits…
On ne présente plus la série de comics Locke & Key, qui avait obtenu de nombreux prix à sa sortie en 2009, dont l’Eisner Award, et qui a été adaptée récemment sur Netflix (dans une version teen-movie où les intrigues adolescentes sont aussi passables que le côté fantastique avec les clefs est réussi). J’avais lu le premier tome il y a longtemps, et je me lance cette fois dans la lecture complète de la série, ayant depuis apprécié l’auteur avec Nos4a2. Keyhouse est une demeure gothique et mystérieuse, dissimulant dans ses coins et recoins plusieurs clefs aux capacités surnaturelles : l’une permet de devenir un fantôme, l’autre de changer de genre, une autre de fouiller l’intérieur de son propre crâne, une autre encore d’aller où l’on veut… Et quand la jeune femme dans le puits parvient à s’échapper, ce n’est certainement pas pour aider les enfants Locke à élucider le pourquoi de ces clefs. Avec une intrigue surnaturelle qui ne fait pas dans la dentelle, Locke & Key est aussi le récit de l’après d’un événement traumatique, de la façon dont les tragédies marquent et détruisent les humains. Les comics fonctionnent donc avec autant d’horreur que de psychologie, en passant de la mère Locke au plus jeune des enfants, sans oublier d’autres personnages secondaires. C’est une série au rythme prenant, posant de nombreux mystères dont on aimerait vite trouver la clef… peut-être dans les trois derniers tomes ! En attendant, la série télé ne lui rend clairement pas hommage au niveau de l’horreur et du traumatisme.
J’ai beaucoup aimé ce premier tome du Tueur de Roi aussi, il faudra d’ailleurs que j’attaque la suite un jour. Mais j’avoue que tant que le tome 3 n’est pas sorti, je rechigne un peu à avancer… J’espère qu’il se conclura un jour, quand même !
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Je comprends, c’est toujours rageant de devoir attendre des plombes pour un dernier tome (GRR Martin résume bien ça à lui tout seul !) mais le tome 2 est en deux volumes, ça fait déjà deux gros pavés à lire… je pense qu’il le sortira plus tôt que Martin ne sortira le dernier Game of Thrones quand même !
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Dommage pour Moriarty, j’espère l’apprécier un peu plus en attendant pas mal. Je suis, à l’inverse, rassurée de voir que tu as apprécié Harleen qui me tente énormément !
Quant à Hôtel Pennington, je pense que ça pourrait vraiment me plaire 🙂
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Après, je suis un peu difficile en BD, il faut que le dessin me plaise, sinon accrocher c’est dur pour moi. Ça te plaira peut-être davantage ! Et Hôtel Pennington est très mignon ❤
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J’ai lu quelques avis allant dans ton sens, mais je te comprends, j’ai aussi du mal à accrocher à une BD si je n’accroche pas aux dessins…
J’ai vu que ma médiathèque proposait Hôtel Pennington 🙂 Il n’y a plus qu’à aller le chercher.
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Et bien c’est super varié ! Y a des livres qui m’ont donné envie comme Béni soit Sixtine, celui de Harley Quinn, Dragon, Touchées et tu m’as donnée envie de m’y mettre à Blacksad. Je prends note du coup 🙂
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J’aime faire varié, haha ! J’ai surtout envie de tout découvrir, du coup, ça s’en ressent forcément. Blacksad est un chef d’oeuvre de la BD, Harleen est une perle, Dragon est dur mais justement bien aussi dans ce qu’il ose, comme Touchées, et Bénie soit Sixtine était vraiment une bonne surprise. Contente que ça t’ait donné des idées de lecture ! ^^
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Ah mais la variété, y a que ça de vrai :p !
J’ai une de mes meilleure amis qui aime beaucoup Blacksad, c’est par elle que j’ai connu la BD ^^
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Harleen me tente bien et ce que tu en dis est très intéressant !
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Pour toi qui es fan de magnifiques comics/bds, je pense qu’elle a de grandes chances de te plaire !
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Tu parles de nombreux livres qui ont l’air bien chouettes, mais vu que j’ai une PAL à mater et que j’évite de constituer des wish-lists de dix kilomètres de long, je vais limiter mes intérêts.
Quoi qu’il en soit, tu attires particulièrement mon attention sur Harleen. Ce comics semble vraiment génial à te lire. Etant néophyte dans le domaine, je n’ai jamais lu de comics sur elle, mais tu es plus que convaincante. Peut-il être lu et apprécié même si l’on n’a qu’une connaissance superficielle du personnage ?
Je note aussi Dragon qui me rappelle qu’il serait bon que je lise enfin Les meurtres de Molly Southbourne emprunté à la bib il y a trois semaines…
Tellement ravie de lire que tu as aimé Le nom du vent ! Ce premier tome m’a tellement émerveillée, c’était tellement beau ! Il est vraiment magique. J’ai la suite dans ma PAL, mais je suis pleine d’hésitations : vais-je relire Le nom du vent avant ? ne devrais-je pas attendre le tome 3 avant (qui avait été annoncé pour cet été sauf que toujours rien !) ? Bref, du coup, en attendant, je lis d’autres livres.
En tout cas, c’est toujours passionnant de lire tes bilans, je suis à chaque fois impressionnant par ton talent à parler des livres !
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Je compatis amplement, à un moment notre wish-list PAL fait la gueule, il faut savoir l’épargner. 😀
En ce qui concerne Harleen, justement, je pense que c’est un comics qu’on peut lire sans connaître le personnage, surtout dans d’autres comics (qui aiment les multi-univers et multiples versions d’un protagoniste), et même si tu ne vois que de vue la Harley des films ou du dessin animé, ça passe bien. Je pense même que ça peut faire une lecture à la saveur très différente, si tu ne sais pas grand-chose d’Harley Quinn avant. Personnellement c’est un peu l’histoire que j’ai toujours eu envie de lire d’elle, sans être fan du perso.
Oui, je te remercie pour avoir conseillé Le nom du vent, j’ai mis du temps à l’avoir entre les mains, mais quelle belle lecture, quelle odyssée de Kvothe ! J’ai adoré. Quant au tome 3, j’espère effectivement qu’il sortira un de ces jours… après, comme la suite est un gros pavé en 2 volumes, tu as peut-être le temps de commencer au moins le premier…
Merci pour tes compliments ! Mon seul regret, est que j’ai l’impression (sans ôter des qualités que je peux reconnaître aux livres que je lis) de n’avoir que des lectures « moyennes » dans le sens où très peu sont des coups de coeur ou même des « j’ai beaucoup aimé ». Parfois, ça me désespère de voir que même si un livre est bien écrit, avec des personnages qui tiennent la route, rares sont les moments où je me dis que je m’attache vraiment à un personnage, que je m’y retrouve un peu, ou que ce soit juste un quasi coup de coeur…
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Oui, tout à fait. Surtout que j’aimerais vraiment m’en libérer (oui, je le vis un peu comme une prison maintenant) pour avoir justement davantage de lectures spontanées, issues notamment des conseils de blogueuses.
Super, c’est bon à savoir pour Harleen. Même si je sais que je risque de mettre des mois à l’avoir entre les mains, je l’ai bien noté et je le lirai un jour ! Mes connaissances s’arrêtent au film Suicide Squad et à quelques trucs glanés ici et là, autant dire que ça ne pèse pas bien lourd.
Si les excellentes lectures te sont si rares, je suis encore plus ravie de lire que tu as adoré Le nom du vent !
Personnellement, je suis totalement à l’inverse de toi, j’ai l’impression d’avoir presque trop de super lectures. En vérité, je ne m’en plains et je me réjouis d’aimer autant la plupart de mes lectures, mais j’ai parfois l’impression de manquer de sens critique quand, livre après livre, je me régale. Je m’attache très souvent aux personnages et il n’est pas rare qu’après une lecture, mon copain m’entende soupirer d’aise pendant deux jours en me remémorant à quel point c’était bien. (Oui, j’ai l’air particulièrement cruche à ce moment-là, paraît-il.)
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Certaines lectures donnent envie, comme toujours. Et c’est vrai que l’artbook d’Horizon Zero Dawn est très intéressant. Comme Tony a laissé Harleen chez moi, je l’ai lu, et la lecture se révèle réjouissante, même lorsqu’on est pas fan du personnage. L’origine story devient captivante grâce à l’importance de la psychologie et des métaphores, sans compter que les planches sont de très bon goût, tout en regorgeant de références au lore de Batman, mais pas que.
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Certaines lectures sont très intéressantes, ou passionnantes, mais rares sont tout de même les gros coups de coeur. Merci encore pour l’artbook d’Horizon, j’ai adoré redécouvrir les paysages et coutumes du monde d’Aloy…Je suis contente qu’Harleen t’ait plu ! Même si on a pas le personnage parmi nos favoris, cette histoire est vraiment très bien esquissée, et finement écrite…je rêverai de quelque chose de similaire pour Catwoman, le Pingouin ou Nygma ! Vraiment, superbe. Merci encore à toi pour ton passage ❤
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Amour monstre a l’air assez frappant, mais j’appréhende un peu ce côté famille de monstres, je ne sais pas si je m’y ferais.
Dommage pour Moriarty, elle avait l’air pas mal !
J’aime beaucoup Blacksad, les dessins sont magnifiques !
Bénie soit Sixtine me tente bien, c’est une thématique assez rare finalement.
J’avais déjà repéré Touchées, tu confirmes mon envie de le le lire 🙂
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Touchées est vraiment poignant, il a été une belle surprise à ma lecture. Après, pour Amour monstre, j’ai une grande affection pour les personnages marginaux et exceptionnels, ou monstrueux : ça joue forcément dans mon affection pour la lecture. Et je recommande volontiers Bénie soit Sixtine : il a vraiment un côté documentaire passionnant, en plus de l’histoire racontée avec sensibilité. (et comment résister à Blacksad ? <3)
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