Salut Panam,
Voilà bien des mois que j’ai quitté Night City. J’espère que tout roule au sein des Aldecaldos et que tu as su trouver ta place, aussi forte tête que tu sois. Tu as besoin d’une famille pour être totalement épanouie, pas de cette carrière solo qui mène la moitié des gens à la ruine dans ce monde.
Je repense parfois à la vie menée dans cette immense mégalopole, aussi riche par endroits que carrément craignos dans d’autres coins. Comme Santo Domingo ou le Glen, emplis de tags, de rues délabrées et de population pauvre entassée dans des bidonvilles, sans oublier les gangs omniprésents. Que les gangs ne me manquent pas. Hormis le gang des Voodoo Boys, mais uniquement parce que je me souviens d’une de leurs églises. Jamais vu un lieu aussi futuriste et apaisant à la fois dans Night City, comme coupé du monde. Mais je n’ai jamais eu que des mauvais rapports avec eux : ils ont trop essayé de m’embrouiller. La plupart du temps, j’ai été cool, même si je me laissais pas marcher sur les pieds. J’ai rendu bien des services, mais j’avais aussi un caractère un peu sarcastique et brut parfois.
Tu vois, je crois que Night City me manque pas tellement. Tu as bien fait de rester dans les Badlands avec ton groupe. Certes, c’est le désert complet, mais même les tempêtes de sable ont un certain charme quand elles sont affrontées par une communauté comme la tienne, soudée et prête à relever tous les combats. Alors que Night City… cette ville est tellement immense, urbaine, tentaculaire… et déshumanisée. Tous ces néons, ces longues autoroutes, ces affiches publicitaires, ces gratte-ciels étincelants, ils ont un certain charme, surtout la nuit. J’ai toujours préféré la ville de nuit : elle paraissait presque plus chaleureuse qu’en plein jour, peut-être parce que l’obscurité cache la crasse de chaque ruelle, les poubelles, les drogués, les gangs et les plus pauvres. C’est égoïste, hein ? Mais c’était seulement là que la ville devenait poétique. Ouais, y avait des coins plus riches, plus beaux à voir : le marché aux cerisiers de fleurs, aussi virtuels soient-ils, la dégaine splendide de certaines grandes tours, les lumières rouges de Chinatown.
Tous ces quartiers, dont je peinais parfois à voir les différentes, les réelles limites, à part en croisant les clans qui y faisaient régner la loi, des Mox féministes et indépendantes aux Désosseurs sans pitié, prêts à te tendre un traquenard et te voler jusqu’à la peau. C’était dingue de passer de taudis aux cimetières de véhicules, des rues industrielles et emplies d’entreprises, à des quartiers pauvres où la moitié des gens crèchent dehors. Avec un milieu entre-deux pour les plus chanceux. Mais c’était froid. Bien froid. Cette ville était malade de ses vices, de ses crimes, de sa technologie qui poussait certains à devenir fous, incapables de supporter les implants. Et les gens se perdent eux-mêmes en cherchant des raisons de vivre – ou juste à survivre. Alors que Night City aurait pu être tellement plus. Être l’avancée du monde, proposer des histoires encore plus folles, me bouleverser sur ma vision du monde, sur le transhumanisme et les questions que chacun se pose. Mais c’est resté en surface. J’y ai trouvé des choses, mais pas tout ce que j’attendais.
Le seul endroit où je prenais vraiment plaisir à aller, c’était la promenade de Coast View, à Pacifica. J’adorais revenir là-bas, sur la plage, à côté de ce parc d’attraction jamais achevé, à voir le grand huit vide dans la lumière du soleil. C’était apaisant. La mer était dégueulasse avec la pollution, mais le panorama était sympa. A vrai dire, j’adorais me balader à moto dans la ville, au hasard. Progresser de route en route au milieu des lumières artificielles, découvrir des nouveaux lieux, même si peu de scènes me marquaient vraiment. Il y avait une vraie sensation de liberté là-dedans. Je te dis pas le nombre d’accidents de bagnole que j’ai eu, au début. Le comble pour une nomade qui doit savoir prendre soin de ses bécanes, hein ?
C’est plus certaines personnes qui me manquent. Toi pour commencer, ma meilleure amie, fidèle, butée, sanguine, touchante, passionnée de bout en bout, rêvant de liberté et d’aventure, mais revenant sans cesse vers tes racines. Tu es celle qui m’a le plus remuée dans cette ville immense à s’y perdre, hésitante entre deux chemins. Bien sûr, je garde de bons souvenirs d’autres personnes. Y a Judy, bien sûr, même si ce n’était pas vers elle que j’étais le plus attirée. Une fille charmante, avec un talent fou pour les danses sensorielles, qui m’a emmenée faire une sacrée plongée sous-marine. J’en rêve encore parfois : c’était tellement unique de nager dans ce village immergé, à moitié encore debout, de voir les vestiges laissés par les habitants.
Il y avait River, qui m’a tout de suite plu ; même si c’était impossible d’avoir des jours heureux ensemble jusqu’à la toute fin, comme tu sais. C’est son histoire qui m’a touchée, sa détermination à amener la justice (normal pour un flic, tu me diras). Mais lui ne se laissait pas corrompre comme d’autres dans la ville. Il cherchait toujours la vérité, à rétablir les choses, peu importe sa colère et sa rage. Je l’ai aimé pour ça. Et sa famille était adorable. J’espère qu’il a pu trouver le bonheur avec quelqu’un d’autre. Il le mérite. Pas comme tous ces autres politiciens ou mafieux corrompus, où on peine à voir le sens de l’honneur, comme ce couple bizarre qui se laissait ensevelir par les ambitions du pouvoir. Et puis j’ai parfois des messages de Kerry, l’ancien guitariste de Samouraï, l’ex-groupe de Silverhand. J’ai passé de bons moments avec lui (il est gay, ne te fais pas d’idées). Il a un sens de la fête qui consiste à tout casser, il a des sacrés délires musicaux, oui, on peut vivre des trucs dingues avec lui. Qu’est-ce qu’il m’a fait rire quand il s’est mis en tête d’impressionner ces chanteuses idoles qui l’adoraient. Il était ridicule et humain à la fois. Mais malgré ça, c’était pas le mec avec lequel j’avais le plus d’affinités. Je pense aussi à Rogue. C’est plus douloureux. J’ai mis du temps à l’apprécier, cette fixer qui a vu le changement du monde, cette « cyberpunk » d’une autre époque. Une banquise, la première fois que tu la vois. Et plus je l’ai vue par les yeux de Johnny… plus elle devenait appréciable. Elle a vécu tant de choses, a dû devenir de marbre, renoncer à des idéaux qui faisaient pourtant toujours battre son cœur. La laisser m’a attristée. Elle est immortelle pour moi. Et puis Jackie. J’oublierai jamais Jackie, sa gentillesse, ce pote avec qui j’ai fait les 400 coups et à qui je dois tout, qui m’a aidée aux pires moments. Je serai pas là où j’en suis sans lui.
Mais voilà : à part ces gens-là, à part ces quelques rencontres, il y a peu de gens que j’ai pu apprécier à Night City, qui m’ont touchée. Y a eu des gens du hasard, marrants : Misty et ses tarots divinatoires d’une formidable créativité, les voitures aux intelligences artificielles schizo, ce faux Jésus complètement timbré, le moine bouddhiste au milieu de l’urbanité (je me demande toujours ce qu’il me voulait vraiment), la machine à café faussement humaniste, cette femme en chrome des pieds à la tête, Lizzy Wizzy, tellement fascinante. Cette poupée au Clouds, quand j’étais en quête d’Evelyn, cet homme qui jouait un rôle pour gagner sa vie, et qui pourtant a su poser des questions existentielles au moment où tout déraillait, m’interrogeait sur le sens de ma vie qui commençait à se scinder en deux… Bon sang, j’en ai encore un frisson. J’ai touché ce jour-là un peu de l’âme derrière le métal et les transformations cybernétiques de Night City. J’y ai trouvé un peu de l’humanité perdue de la ville. Pour ne presque plus jamais la retrouver durant mon séjour. Si seulement cela avait continué comme ça tout du long. Mes souvenirs seraient peut-être moins mitigés et superficiels.
Mais les autres, les chefs de gangs, les fixers, Evelyn et compagnie… jamais eu d’affinités avec eux. Leurs querelles m’indifféraient assez souvent. Faut dire que leurs guerres de pouvoirs et de technologies m’ont bien pourri la vie. Tu penses à Johnny, pas vrai ? Il a été un grand chamboulement, et je le détestais, au début. Il était insensible et égoïste. Et puis j’ai vu qu’il y avait davantage, au-delà de son attitude de terroriste et de rébellion. Un vrai passionné, un type droit dans ses bottes et ses opinions personnelles, capable de jugements radicaux comme d’une honnêteté sincère. Il m’a fallu presque attendre la toute fin pour le trouver sympathique (il l’est pas toujours), pour arriver à le comprendre, et pour que lui aussi me comprenne. La relation entre nous deux, deux esprits, deux mémoires se partageant le même corps, l’un devant finir dévoré par l’autre, prenant tous ses souvenirs, son corps, parfois son reflet dans le miroir… J’aurais aimé avoir plus de temps avec lui, au lieu de courir à droite et à gauche pour accomplir les missions des fixers et de régler les combats de gangs. J’aurais aimé davantage pouvoir lui poser de questions, me rendre compte de ce que signifiait vraiment cette situation qui nous liait, qui aurait pu être d’une richesse encore plus dingue. Mais bon, l’action de Night City primait sur l’émotion et la finesse, hein ? Mouais. Je suis bien devenue une légende, après tout. J’ai nettoyé cette ville de fond en comble et réglé des tas de problèmes.
Mais à part auprès de chooms comme toi, Jackie, Judy ou River, j’ai pas trouvé ce que j’attendais vraiment. J’ai accédé à la gloire de l’Afterlife (pff, y a toujours pas de cocktail à mon nom), mais sans être véritablement moi-même. Même la technologie de Night City ne m’a pas permis de devenir qui j’étais vraiment, dans mon identité et mon genre : y a eu des ratés sur la marchandise. Dire que j’avais rêvé de toutes ces possibilités révolutionnaires, à une époque. Mais c’est pas parce que t’as des pubs sexuelles à chaque coin de rue que la tech te permet de transitionner comme tu voudrais. Remarque, ça n’a pas eu vraiment d’importance pour ceux que j’ai pu croiser. La ville de tous les possibles n’était pas aussi enivrante que je le croyais. Ni aussi belle. Pourtant, ça m’arrivait de m’arrêter pour la contempler, quelques secondes – mais jamais plus. Peut-être avec le temps, avec des travaux, des aménagements, elle deviendra enivrante de liberté comme je l’attendais, et grouillant davantage de vie. Sans oppression, sans impression de gâchis. Même si c’est une vie que les gens de 2020 rêveraient pas d’avoir, entre la pollution, l’hyper-capitalisme, les gangs et le manque de nature. On peut pas rêver de la modernité à ce point, ou même de la noirceur et du vide du cyberespace, aussi oppressant que la galaxie elle-même. Si seulement le monde avait tourné autrement.
N’empêche, j’ai vécu de sacrées aventures. Je mentirais en disant que je me suis pas amusée. J’en ai passé, des jours et des nuits, à errer dans la ville, dans le cyberespace même, à découvrir des tas de lieux, des tas de choses bizarres, peinant parfois à comprendre toute l’histoire de Night City, à explorer chaque ruelle. Je voulais tout voir. Et j’ai parfois attrapé ces quelques fulgurances, ces échanges avec quelques personnes, ces nuits sur la terrasse de Judy, qui m’ont fait effleurer le cœur de Night City, ses illusions grandioses, ses espoirs d’un meilleur lendemain et d’une maison, ses bribes d’humanité au milieu des gratte-ciels démesurés et d’une technologie malade.
Quelque part, je sais toujours pas quoi penser de Night City. J’en ai un goût doux-amer, une impression de potentiel manqué. Comme pour tant d’autres, la ville a été ma gloire et ma perte. Déshumanisante, parfois splendide d’une manière froide et artificielle, parcourue de quelques gens mémorables, avec qui j’aurais aimé rester un peu plus. Mais je suis pas sûre d’y remettre les pieds un jour. Je voulais y trouver un cœur, j’ai trouvé une humanité malade, parfois attachante, mais pas une maison. Quand j’ai pris le bus pour en partir, mon cœur ne s’est pas serré – même si c’était une foutue belle aventure par moments. J’ai pris ma décision.
Prends soin de toi, choom. Et s’il te plaît… ne m’oublie pas. Johnny a dit qu’il ne le ferait pas. Ça me ferait plaisir que tu fasses pareil.
A plus,
V.
Je n’ai pas toutes les références mais le format est original et te laissera sans doute un bon souvenir de ton escapade à Night City. Paraît que les mises à jour ont fait leur effet désormais, mais au point où j’en suis, j’attendrai sûrement la Next Gen.
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J’ai laissé la lettre volontairement cryptique, au cas où certains qui n’auraient pas joué la liraient. Et je trouve que c’est un format sympa pour parler d’un jeu avec recul, et non en l’ayant terminé, permettant de voir ce qui reste vraiment en mémoire. Je suis toujours mitigée sur Cyberpunk 2077, même si les mises à jour ont bien fait leur effet (il y avait nettement plus de détails de graphismes quand je l’ai fini, que quand je l’ai débuté). Je te conseille la version next-gen sans aucun doute…peut-être sur une certaine Xbox S 😛
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Superbe texte, qui fait parfaitement écho à des moments de jeu qui m’ont également marqué. Très joli lettre, capable j’en suis certain d’émouvoir même Panam !
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Merci beaucoup ! J’ai pensé à cette idée de lettre au vu de la fin que j’ai obtenue, et les messages d’adieux des personnages… il est vrai que j’ai été moyennement satisfaite du jeu, en fait ; il n’empêche que j’en garde de beaux moments !
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