Lectures de septembre-octobre 2021

Bien peu de lectures ces derniers mois, où j’ai été bien occupée avec un déménagement, une nouvelle prise de poste, et tout ce qui s’ensuit… sans compter une légère panne de lecture qui fait que je n’ai tout simplement pas très envie, en ce moment, de plonger dans un livre.

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La Fabrique des monstres : les Etats-Unis et le Freak Show, 1840-1940 – Robert Charles Bogdan

L’étude sociologique, sur un siècle, de ce qu’a représenté le freakshow aux Etats-Unis : de l’âge d’or du freakshow jusqu’à sa disparition, l’auteur passe en revue la conception même des freaks, leur mise en scène, leur origine, sur leurs handicaps…

Qui n’a jamais été fasciné par les freakshows ? Personnellement, c’est un aspect du cirque qui m’a toujours intriguée, et qui a donné naissance à de nombreuses œuvres dans les médias, de la 4e saison d’American Horror Story à Freaks, jusqu’aux livres avec Amour monstre par exemple. La Fabrique des monstres a été une étude sociologique absolument passionnante à lire, ne se perdant jamais dans un jargon sans pour autant simplifier son sujet. L’auteur – par ailleurs spécialisé en « disability studies », études autour du handicap – présente ainsi la différence entre les freaks naturels (avec un handicap inné) et artificiels (personnes s’infligeant tatouages et autres modifications physiques) et les saltimbanques (simplement des personnes aux capacités travaillées et exceptionnelles), tout en passant par les freaks factices simulant un handicap. Il parle aussi de la genèse des freakshows, venue de l’exhibition de zoos humains, et de la présence du freakshow comme d’abord simplement un sideshow, attraction annexe en plus du cirque principal – lui-même venu tout d’abord de museum, lieu fixe comme celui de Barnum.

Le livre aborde bien d’autres aspects du cirque, comme sa mise en scène des freaks – spectaculaire, exotique, mettant en valeur leurs différences, ou bien empathique, montrant que malgré leurs différences, ils ont une famille et vivent comme tout le monde. Autant de mises en scène parfois exagérées par des astuces vestimentaires ou de scène, et qui évoluent selon les mœurs de l’époque : plus la médecine progresse, plus il devient difficile d’exhiber moralement des « monstres » affligés de handicaps mentaux et physiques. Pourtant, l’auteur montre aussi à quel point ces freaks, s’ils pouvaient choisir de vivre dans des cirques à cause de leur handicap, y trouvent aussi une manière de gagner leur vie, de mettre en avant leur image et leur célébrité, de trouver une famille sans jugement, voire de finir leurs jours très ordinairement avec un mariage et des enfants Et certains ne se lassaient pas non plus des feux de la scène. Une analyse véritablement passionnante, entre évolution de la société, portraits de freaks célèbres, d’explication des coulisses derrière le freakshow, jusque dans son fonctionnement interne, sa publicité, ses arnaques… et qui, je dois le dire, balaye nombre d’idées préconçues sur le freakshow pour dévoiler ce monde du spectacle sans embellissement, mais sans jugement non plus.

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Dorian Gray – Enrique Corominas & Oscar Wilde

Une adaptation en bande dessinée du célèbre Portait de Dorian Gray de Wilde, par ailleurs l’un de mes romans favoris. Et que dire si ce n’est que c’est magnifique ? Il en existe sûrement d’autres, des adaptations graphiques du roman, mais celle-ci regorge de dessins somptueux, fastes, pour mieux cacher les secrets et la pourriture de l’âme de Dorian Gray. L’innocent jeune homme souhaite un jour, face à son portrait, ne plus jamais vieillir… et dès lors, un pacte s’enclenche, son portrait vieillissant à sa place, tandis que lui reste éternellement jeune. L’histoire est connue et ne finira pas bien, entre vanité et décadence, Dorian devenant de plus en plus cynique et cruel. C’est un véritable plaisir de la redécouvrir avec les planches aux tonalités tantôt chaudes (pour le faste et le luxe), tantôt froides (pour les scènes plus sombres et dramatiques) de l’Espagnol Enrique Corominas, qui n’hésite pas non plus à faire un parallèle avec Narcisse sur certains dessins. Pour ceux et celles qui aiment découvrir des classiques avec une adaptation BD, celle-ci est parfaite ! Vous pouvez avoir un aperçu des planches via le dossier presse de l’éditeur Daniel Maghen.

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La différence invisible – Julie Dachez

Une bande dessinée aux influences autobiographiques où Marguerite, une jeune femme de 27 ans, se découvre autiste Asperger.

La différence invisible avait bien fait parler d’elle à sa sortie, obtenant un ou deux prix au passage, en présentant le quotidien d’une personne autiste Asperger, ses angoisses, ses rituels, ses difficultés sociales, jusqu’à son diagnostic et sa vie après celui-ci. Si le dessin ne m’a pas particulièrement séduite tout en demeurant agréable, tout en finesse, c’est le contenu qui m’intéressait – et je dois reconnaître que l’ouvrage m’a beaucoup moins passionnée que le témoignage de Mélanie Fazi sur le même sujet. Le sujet m’a paru abordé de manière un peu trop générale, sans parler forcément des subtilités et multiples lignes du spectre de l’autisme, qui existent pourtant bel et bien. Bien sûr, il s’agit du témoignage de l’autrice, et fait avec documentation, comme le prouve le petit cahier de ressources à la fin, mais il ne m’a pas appris grand-chose ni m’a beaucoup parlé, tout simplement. On perçoit néanmoins qu’il s’agit d’une vraie catharsis pour l’autrice.

six-of-crowsSix of crows, tome 2 – Leigh Bardugo

Kaz et ses acolytes repartent là où ils ont finit le premier tome, devant sauver l’un des leurs, mais également récupérer la fortune qui leur avait été promise…et quand ils s’aperçoivent que les dés du jeu sont déjà truqués, alors eux aussi vont changer les règles à leur avantage.

Le tome 2 de Six of Crows a eu le malheur de voir sa lecture faite pendant mon déménagement, ce qui a fait traîner le livre sur plusieurs semaines. Par conséquent, je l’ai beaucoup moins apprécié que le premier, mais mon attention un peu distraite était en cause, ne renouant pas aussi bien avec les fils de l’histoire qu’avant. J’ai toujours aimé retrouver ces personnages, les voir encore plus explorés psychologiquement parlant, faisant de ce tome 2 un véritable deuxième acte pour certains, qui voient désormais un avenir particulier se dessiner et leurs faiblesses se résoudre, certains chemins se croiser et d’autres se séparer. Kaz est encore une fois à l’honneur de son portrait de personnage ambigu et tourmenté, mais ce serait oublier Inej qui a une belle émancipation, voir une Nina si enjouée devenir l’ombre d’elle-même, ou encore Jesper et Wylan gagner en complexité. Cependant il faut l’admettre, je me souviens de scènes mais difficilement de l’intrigue de ce deuxième tome, plus dense et noyée dans une lecture fragmentée. D’autant plus que certains tics d’écriture ont commencé à m’agacer, comme cette manie de faire surgir toutes les réactions de la troupe des Crows face à une réplique, faisant une avalanche de punchlines à plusieurs reprises au lieu de mieux répartir les dialogues selon les situations et leur caractère propre. Ils ont également un comportement plus adolescent et plus léger dans ce second tome, à l’exception de Kaz et Inej peut-être, qui détonne avec la noirceur de l’intrigue. Bon, c’est du Young Adult, mais ce n’était pas aussi prononcé dans le premier tome. Tout cela pour dire que la lecture n’a pas été déplaisante, mais elle n’a pas été faite dans les meilleures conditions, ce qui a nui à l’appréciation générale du livre et la satisfaction de voir les fin mot de l’histoire pour chacun, avec un côté doux-amer. J’aurais aussi aimé que le dernier chapitre soit autre, ne rendant pas à mon sens justice au cœur du roman (ses personnages) pour la toute fin, qui utilise le point de vue d’un ennemi des Crows pour conclure l’histoire.

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Apprendre à se noyer – Jeremy Robert Johnson

Quelque part en Amérique du sud, dans une jungle, un père emmène son fils pêcher. C’est un rituel de passage, qui tourne mal quand le fils est attrapé par une bête et entraîné au loin. Le père se lance alors à sa poursuite, prêt à tout pour sauver son unique fils.

Apprendre à se noyer est l’un des romans de la rentrée littéraire ayant attiré mon attention, et par ailleurs le premier roman traduit en France de l’Américain. En 160 pages, il frappe par la dureté et l’apreté de son récit, ne nommant jamais ses personnages et ne nous donnant que de faibles indications sur le contexte : la jungle, la plage, la langue espagnole, la présence d’hommes « blancs », une société basée sur les rituels et les dieux. Le récit est fait pour devenir un conte, une fable, l’histoire d’un père qui cherche à venger et sauver son fils d’un monstre marin, et les péripéties se font toujours plus sombres et dures, mêlant le sang, le désespoir, la sorcellerie, l’amour filial et la mort. C’est la descente vers le désespoir infernal d’un père qui a perdu son fils, la description d’un amour paternel presque animal, la lutte pour la survie. Le récit frappe fort et accroche très vite, d’autant que l’auteur se permet facilement de jouer avec la ponctuation et les retours à la ligne pour créer un rythme encore plus saisissant. Apprendre à se noyer est noir, une conte macabre où on ne peut qu’éprouver de l’empathie pour cet homme qui subit une perte terrible et qui sombre davantage à chaque page, nous entraînant avec lui. C’est un mélange brut d’amour paternel, d’onirisme et de dure réalité, un cauchemar qui paraît durer et qui en 160 pages, pose une atmosphère incroyablement prenante, d’une fascination cruelle, comme j’ai rarement eu l’occasion d’en lire. C’est viscéral, d’une intensité folle, ça prend au cœur et ça reste encore un moment en tête après la lecture. Une sacrée découverte.


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