Lectures de janvier 2022

le-jardin-paris-gaelle-genillerLe Jardin – Paris – Gaëlle Geniller

Au cabaret parisien Le Jardin, Rose est un jeune garçon élevé là depuis l’enfance par sa mère, gérante de l’endroit. Comme toutes les femmes travaillant au Jardin, il se décide à monter sur scène pour danser. Le succès qui l’attend l’amène à rencontrer son premier admirateur, à confronter les préjugés des autres voyant d’un mauvais œil la présence d’un garçon sur scène, mais à aussi simplement s’affirmer et se découvrir.

Sans aucun doute à classer dans la catégorie des bandes dessinées feel-good, Le Jardin – Paris se démarque par son style très coloré et chaleureux, avec ses traits de crayon inspirés par l’Art déco des années 20. Une bande dessinée où le héros questionne sans lourdeur l’identité de genre, montre qu’on peut aimer l’art, la danse, les robes, tant que cela permet d’exprimer une part de sa personnalité et de son être. La danse est pour Rose un moyen d’expression de sa joie de vivre, de sa sensualité, et il est heureux de trouver une histoire où cela ne pose finalement aucun véritable problème dramatique. L’intrigue s’articule autour de son apprentissage, de sa relation d’amour platonique avec son admirateur, de sa découverte de la ville parisienne mais aussi de lieux plus reculés dans la campagne. Une bande dessinée empreinte de douceur, de couleurs, de bons sentiments avec une histoire heureuse en tous les sens du terme, permettant aussi d’effleurer les parcours variés des autres danseuses du Jardin, mais aussi quelques réflexions sur l’identité, le fait de grandir, ce qui nous fait décider de choisir tel chemin, sur comment apprendre à vivre et à aimer sans craindre le regard des autres.

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Le Styx coule à l’envers – Dan Simmons

Une nouvelle où les êtres chers peuvent revenir à la vie ; une intrigue où un habitant de l’Enfer revient sur Terre ; quand une institutrice devient le seul rempart et le seul espoir d’une classe d’enfants zombies ; quand un Conseiller d’éducation se met en tête de punir les parents abusifs des élèves qu’il reçoit… autant de nouvelles flirtant entre fantastique, science-fiction et horreur sous la plume de Dan Simmons.

Il me semble que c’est bien la première fois que je lis un texte de Dan Simmons, même si j’avais essayé de lire L’échiquier du Mal il y a quelques années. Ce recueil regroupe quelques-uns des ses nouvelles les plus marquantes, et aussi des nouvelles inédites présentées par l’auteur lui-même. Comme d’ordinaire, certaines nouvelles imprègnent l’esprit plus que d’autres. J’ai ainsi particulièrement apprécié Le Styx coule à l’envers, où un fils voit revenir tout d’abord sa mère d’entre les morts, grâce à une entreprise spécialisée, puis tous les autres membres de la famille. Mais le plus triste et le plus effrayant est d’observer les conséquences de ce premier retour sur les autres membres familiaux, entraînant chacun dans une tristesse et une fin désespérée, au lieu d’un deuil qui aurait permis de véritablement continuer à vivre. Une nouvelle dotée d’une émotion assez poignante.

Vanni Fucci est bien vivant et il vit en Enfer, au contraire, fait preuve d’une satire mordante sur les télé-évangélistes qui m’a beaucoup fait sourire, avec cet habitant d’un des cercles de Dante qui vient sur Terre pour transmettre le message des autres pécheurs. Une histoire qui pousse son côté délirant jusqu’au bout avec un plaisir certain, tout comme Douce nuit, sainte nuit, qui porte sur la même thématique. Si je reconnais évidemment les qualités littéraires et les mécanismes de Passeport pour Vietnâmland, Deux minutes et quarante cinq secondes, avec leur réflexion sur la guerre du Vietnâm notamment, j’y étais moins sensible. Métastases a eu un côté très glaçant et horrifiant que je n’attendais pas, mais qui m’a aussi bien plu, avec le portrait de son narrateur allant jusqu’au sacrifice pour détruire des sortes de vampires venus se mourir des malades.

Mémoires privés de la pandémie des stigmates de Hoffer fut aussi une belle surprise à lire, prenant place dans un monde où les péchés et défauts se manifestent sur les visages et corps de chacun à partir de la puberté, rendant tout le monde terriblement monstrueux, avec une chute glaçante. Les fosses d’Iverson, Mes Copsa Mica et A la recherche de Kelly Dahl, m’ont trop peu accrochée pour que j’en fasse une rapide description.

En revanche, deux des nouvelles m’ayant le plus parlé se passent en milieu scolaire : Le conseiller, qui voit un conseiller d’éducation, au demeurant presque ordinaire et discret, devenir le meurtrier des parents abusifs après avoir entendu les enfants parler de leurs problèmes. Comme s’il fallait bien que quelqu’un fasse justice face aux atrocités subies par bien des enfants. Photo de classe parle d’une épidémie zombie où une institutrice, rescapée, essaye de faire cours à des élèves zombies, déterminée à leur tirer une lueur d’intelligence, un souvenir de ce qu’ils étaient, par vocation et par amour pour ces enfants… C’est peut-être aussi parce que ces deux nouvelles s’inspirent directement de situations vécues ou de personnes connues par l’auteur, qu’elles sont aussi frappantes et émouvantes. Un recueil que je ne suis pas mécontente d’avoir lu pour découvrir la plume et l’univers de Dan Simmons, tant il démontre à quel point il peut être à l’aise dans divers registres tout en montrant une critique acerbe de situations données.

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L’enfance attribuée – David Marusek

En 2092, l’univers est surpeuplé et les permis de naissance sont bien rares, dans une société où on use d’un anti-vieillissement. Alors, avoir un enfant est un don bien rare – à condition que la société, dominée par l’informatique et l’intelligence artificielle, ne vous arrache pas ce bonheur des mains…

Une novella d’une construction remarquable, puisqu’en une centaine de pages, David Marusek parvient à nous faire pénétrer dans un système solaire entièrement colonisé où les nanotechnologies sont légion, permettant aux gens d’être un peu près immortels ; où on peut être partout à la fois avec des hologrammes, où on a accès à des données sur les uns et les autres selon des degrés de sécurité ; où forcément, avoir un enfant est quelque chose de rare et précieux… au point qu’on doive ingérer des médicaments pour retrouver un instinct paternel ou maternel. D’ailleurs, redevenir un humain sans aucune amélioration technologique, c’est une véritable punition. Et bien sûr, les virus et pestes digitales sont un véritable risque, et pourraient bien former un des retournements de la novella. Une histoire où tout est expliqué et exploité de manière intelligente, où la technologie n’empêche pas l’humain (même si les gens ont bien plus de mal à se lier socialement et à être véritablement présents les uns pour les autres, matériellement parlant), formant un récit tantôt vertigineux, tantôt glaçant.

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Toutes les saveurs – Ken Liu

Idaho City, à l’époque de la conquête de l’Ouest, voit se côtoyer bien des peuples différents. Les Américains cohabitent avec les Chinois, avec une civilisation qu’ils comprennent bien peu. Mais une jeune fille, Lily, dépasse ces préjugés pour se lier à Lao Guan, un géant qui lui narre les récits de Guan Yu, dieu de la guerre chinois…

Avec un contexte historique qui parle de l’émigration chinoise au temps de la construction de l’Amérique, Ken Liu aborde des sujets de prédilection : la confrontation de deux mondes, le mélange d’une mythologie, d’un fantastique, avec la vie ordinaire. Il nous parle de racisme mais aussi de comment deux peuples peuvent finir par s’apprivoiser, notamment en passant par la gastronomie – d’où Toutes les saveurs. Mais c’est aussi par les récits de Lao Guan, par sa transmission de mythes et de récits aux thématiques universelles, qu’une fillette comme Lily apprécie la culture chinoise – trouvant en ces histoires un socle commun à partager, malgré le racisme et l’hostilité affichée par les Américains face aux Chinois. Une bien belle nouvelle, encore une fois, par Ken Liu qui mêle toujours avec autant de brio l’humanité et le fantastique.

Sans oublier, dans les lectures du mois, l’excellente bande dessinée entre fantastique et thriller de Timothé Le Boucher : 47 cordes.


10 réflexions sur “Lectures de janvier 2022

  1. Le Jardin est une BD qui me fait bien envie, les dessins ont l’air magnifiques et le propos intelligent.
    Dan Simmons est un auteur que je veux découvrir depuis longtemps et, alors que je ne suis pas forcément attirée par les recueils de nouvelles, tu as su être convaincante sur celui-ci.

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    1. J’espère ne pas me tromper sur les recueils de nouvelles ! Je crois que Les diaboliques t’était tombé des mains… Ici je n’ai pas aimé toutes les nouvelles, mais il y en a des vraiment fortes chez Dan Simmons. Et ça fait une bonne porte d’entrée au style et à la vie de l’auteur, je trouve.

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  2. J’avais adoré découvrir Le Jardin et son ambiance Art déco. C’est un petit bijou visuellement cette BD et même si elle est pleine de bons sentiments je trouve qu’elle aborde des thèmes vraiment très importants sans jamais aborder la question du genre ou de l’attirance sexuel du personnage. Rose est juste Rose, point barre !

    Je n’ai jamais lu de livres de Dan Simmons mais je dois avouer que le recueil de nouvelles dont tu parles me donne très envie. Ce n’est pas un genre littéraire que j’apprécie, ayant du mal à « tout donner » sur des textes aussi courts mais la vraiment les résumés que tu fais des nouvelles fait envie. Elles ont toutes l’air d’être empruntes d’une grande originalité. Je l’ajoute directe à ma Wish list livraddict !

    Le résume que tu fais du David Marusek m’intrigue autant qu’il me « perd » dans le sens où je n’arrive pas à identifier ce dont parle le bouquin (t’inquiète le résumé de la maison d’édition n’en dévoile pas plus que toi donc c’est pas ta facon d’en parler le problème xD) mais en meme temps je pense que c’est aussi pour le mieux avec ces livres très courts, il faut garder un minimum de suspens quand même hihi
    Le travail de cette maison d’édition est toujours très beau et même si tous les textes qu’ils publient ne se valent pas, j’ai toujours cette curiosité de découvrir ces courts textes de SF qu’ils ont a nous proposer !

    J’avais adoré L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu et vraiment il faut que je lise plus de textes de cet auteur. Toutes les saveurs me tente bien ! As tu lu La ménagerie de papier? Si oui tu penses qu’il est plus urgent que je lise Toutes les saveurs ou bien La ménagerie de papier? hihi

    Merci pour ce chouette article où tu ne fais que de belles recommandations. Entre un livre que j’ai aimé, deux que tu me fais découvrir et un dont tu me rappelles l’existence et la sortie récente !!

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    1. Le Jardin est vraiment chouette pour cette absence de pression et d’étiquette je trouve. C’est parler de tous ces sujets d’identité sans pour autant s’appesantir et en faire tout un foin, ce qui est vraiment appréciable. Je rêve de davantage d’histoires comme ça ! Et puis l’art déco, c’est tellement beau…

      Pour les nouvelles de Dan Simmons, tout ne m’a pas plu, mais je pense que c’est une belle façon d’entrer dans l’univers de l’auteur, de voir son style, ses univers…je ne regrette pas pour ça. Et l’avantage des nouvelles, c’est qu’on peut plus facilement les mettre en pause qu’un roman.

      En fait l’univers de David Marusek dans cette nouvelle est vraiment très complet, en dépit du résumé toujours énigmatique (forcément, faut donner envie de lire et ne pas dévoiler tous les rebondissements). Il y a tant d’infos en quelques pages, c’est impressionnant, et sans être indigeste, ça, il faut le souligner. Mais je suis toujours curieuse de ce que nous offre Une heure-lumière, même si je n’accroche pas toujours.
      Pour Ken Liu, je te conseille vivement La ménagerie de papier ! Les nouvelles m’ont bluffée et pas mal fait réfléchir durant le temps de la lecture, du coup je te les conseille en premier sans hésiter. Toutes les saveurs est bien, mais ça me reste moins en tête. Il y a tant de belles nouvelles !

      Mais merci à toi pour tes commentaires à chaque fois, ils sont très encourageants !

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