Emmurées – Alex Bell
Tout débute avec Sophie et son meilleur ami, qui téléchargent une application Oui-ja sur leur téléphone et y jouent. Dès lors, il semble bien qu’un esprit malfaisant soit apparu à eux… quand son meilleur ami meurt accidentellement, Sophie est dévastée par le chagrin et décide de partir en vacances chez ses cousins pour changer d’atmosphère. Dans ce vieux manoir écossais, elle retrouve sa cousine Piper – trop parfaite – ; Cameron, l’aîné mystérieux et taciturne ; la petite Lilia avec sa phobie des os… et puis l’ombre de Rebecca, la sœur morte tragiquement, dont la chambre reste fermée, recelant des poupées « Frozen Charlotte » effrayantes et maléfiques…
Emmurées est un roman Young adult horrifique dont j’avais vu passer plusieurs critiques, tantôt positives, tantôt négatives, et ayant eu envie d’une lecture dans ce genre, j’ai fini par le commencer. Commençant in media res, le roman est un récit effréné, qui ne laisse jamais le temps au lecteur et à la lectrice de respirer, enchaînant les péripéties et les retournements de situation. Cela contribue à créer une atmosphère assez oppressante dans cette histoire de fantômes à l’inspiration gothique (le manoir écossais au passé glauque, la référence à la Rebecca de Du Maurier, les personnages volontairement ambivalents) mais jamais réellement effrayante (pour la lectrice adulte que je suis du moins).
Il n’en demeure pas moins que j’ai passé un bon moment de lecture avec cette histoire qui enchaîne les retournements (parfois prévisibles) mais qui n’hésite pas à être dans l’horreur visuelle, à dresser le portrait de personnages assez réussis et intrigants, tout en gardant, en son filigrane, la tragédie d’une famille rendue vacillante par la perte d’un membre, torturée par un mal inhérent au lieu, et la difficulté du deuil pour une adolescente. Un roman horrifique plutôt réussi dans l’ensemble, bien qu’il ne soit pas forcément original quand on est habitué aux ressorts du genre, et qu’il provoquera sans doute davantage de frissons à son lectorat visé qu’à un public adulte.
Le temps fut – Ian McDonald
Un bouquiniste met la main sur un recueil de poèmes autoédité, Le temps fut. Mais le plus intéressant n’est pas tant le recueil que la lettre qu’il y trouve, relatant la correspondance entre deux soldats amoureux en pleine guerre. Le narrateur débute alors une longue enquête pour retrouver la trace de ces deux hommes, à travers d’autres lettres, des photos… où il retrouve leurs visages, en des lieux différents, mais surtout des époques différentes.
Récit de voyage dans le temps, Le temps fut déstabilise lors des premières pages, puisqu’on met un peu de temps avant de savoir où l’auteur veut en venir. Cette enquête à travers l’Histoire est l’occasion d’en dévoiler des périodes sinistres, par ailleurs toutes historiques, comme pour montrer le plus terrible et aussi le plus beau de l’humanité, le tout souligné par une écriture très soignée et vivante. Plus que l’histoire d’amour – somme toute plus prétexte qu’autre chose – c’est véritablement cette enquête obsessionnelle à travers le temps qui parcourt le livre, et aussi, l’amour du narrateur pour les vieux livres, quand il se met à chercher dans des librairies historiques d’autres exemplaires du Temps fut afin de suivre la correspondance des deux amants. Quelques stéréotypes du voyage temporel seront évidemment présents, mais cela ne gâche en rien la lecture, à condition de se laisser happer par l’histoire – personnellement, je suis un peu restée en-dehors, même si cela ne m’a pas empêchée d’apprécier les qualités du texte.
Loveless – Alice Oseman
Georgia débute son année à l’université, partageant une chambre en colocation avec Rooney, une étudiante aussi affirmée et fêtarde que Georgia est timide et peu sociable. Ses deux meilleurs amis, Pip et Jason, ne sont pas loin, pour se lancer dans cette nouvelle période de leur vie. Car Georgia n’a jamais embrassé quelqu’un, n’est jamais sortie avec qui que ce soit, n’a en fait jamais ressenti d’amour pour personne, et elle compte profiter de l’université pour réellement vivre toutes ces étapes d’une vie de jeune adulte dans les normes.
Loveless n’est pas le premier livre queer d’Alice Oseman – elle compte aussi à son actif le webcomic Heartstopper qui traite de la relation amoureuse entre deux adolescents. Loveless, comme son titre le suggère, s’intéresse cette fois à l’asexualité, le fait de n’avoir aucune attirance ni désir sexuels envers qui que ce soit. Georgia aime l’idée d’amour, au vu des romans et films romantiques qu’elle dévore, des fanfictions qu’elle lit, elle idéalise le fait d’être en couple avec quelqu’un et la rencontre avec l’âme sœur… Mais dans les faits, elle se rend compte qu’elle n’est attirée par personne, malgré les efforts de Rooney pour lui faire rencontrer des garçons ou des filles. C’est le début d’une quête de soi pour Georgia, une tentative de comprendre à quel point elle diffère des autres, jusqu’à tomber sur l’étiquette asexualité et aromance dans un club LGBT+, en rencontrant Sunil, personne non-binaire également asexuel-le. Le roman Young Adult raconte aussi son déni de cette identité sexuelle, le souhait d’être normal, jusqu’à son début d’acceptation. Loveless est une très belle lecture, parcourue d’une écriture assez vive, prompte à faire revivre les états d’âme de cette période de la vie, donnant en tout cas une grande sensibilité au parcours de Georgia et à son vécu d’une telle différence.
L’autrice n’hésite pas à montrer à quel point il est difficile de se rendre compte d’une sexualité qu’on niait, de la difficulté d’ouvrir les yeux sur soi-même, du parcours de recherche et de réflexion pour découvrir qui l’on peut être, et parfois de comment on blesse les autres en chemin, à force de chercher des réponses. Les autres personnages ne sont pas en reste, même si Georgia peut paraître égocentrée : Rooney est une femme éclatante de vie et dont la sexualité est présentée de façon très positive, Pip est une lesbienne qui s’assume, Sunil est un personnage touchant-e et encore trop peu représenté-e en littérature. Loveless a été une lecture très touchante, très édifiante aussi sur son sujet principal dont on parle encore trop peu, sur la pression de la société à voir chaque être humain finir en couple et avec le passage obligé de la sexualité, que je ne peux que recommander !
L’infirmerie après les cours – Setona Mizushiro (10 tomes)
Mashiro est un jeune adolescent avec une particularité physique : la partie supérieure de son corps est celle d’un homme, tandis que celle inférieure est féminine. Cependant, il s’est toujours défini en homme et s’est employé à témoigner d’une attitude plus virile que nécessaire. Le jour où ses premières règles arrivent, il se met à douter de lui-même… Et dans le même temps, il est invité à rejoindre une mystérieuse infirmerie au sous-sol de son lycée, où il va débuter un « cours » en rêve chaque jeudi. Dans ces rêves, les divers élèves présents sont révélés sous leur vraie nature : Mashiro garde la même apparence mais avec un uniforme féminin, une jeune fille d’apparence innocente est une créature meurtrière, une autre fille a un trou à la place de la tête et du cœur, etc. Leur but étant de trouver une clé qui permettra alors d’accepter leur vraie nature et de quitter le lycée pour une nouvelle vie.
J’avais déjà lu cette série de mangas il y a quelques années, avec finalement un sentiment très mitigé, trouvant que l’autrice s’acharnait beaucoup trop sur son personnage principal en le forçant à choisir un genre plutôt qu’un autre et en répercutant à chaque fois les pressions de la société selon le genre choisi par la voix des autres personnages. Finalement, il est plutôt bien de relire certaines œuvres, puisque je me rends compte que j’avais mal interprété le sens du manga à l’époque. Avec son personnage au genre incertain, l’autrice se sert de l’histoire pour justement critiquer la pression sociale qu’on pose sur chacun selon son genre, critiquant les stéréotypes, les attentes envers chaque genre, pour justement pousser le personnage principal à s’affirmer et réconcilier les deux aspects de sa personnalité, quel que soit son choix final, sans se soucier du regard des autres.
Le manga demeure aussi toujours fascinant par ce choix de montrer la vraie nature des protagonistes en rêve, permettant de creuser psychologiquement ses personnages et de les voir évoluer. C’est aussi l’occasion de révéler des maux de la société, comme le fait de pousser une élève à être tellement modèle qu’elle en perd son identité en rêve ; de parler de syndromes post-traumatiques, de relations familiales complexes et ambiguës forgées dans le seul but de survivre… Sous couvert d’onirisme, de métaphores et d’un peu d’horreur, le manga livre de nombreuses pistes de réflexion, et pas seulement sur son héros-héroïne tantôt attachante, tantôt irritant par sa quête d’identité qui la fait blesser les autres et elle-même, tant qu’iel ne parvient pas à s’accepter. (Attention, ici, spoil de fin) Il ne reste qu’un seul défaut au manga pour moi, celui du retournement de fin, purement subjectif : je ne suis pas très amatrice de ces histoires se soldant par une naissance, allez savoir pourquoi…C’était déjà le cas avec What remains of Edith Finch.
SI tes lectures sont toutes intéressantes, j’avoue être particulièrement tentée par Le temps fut et son narrateur amoureux des livres…
Quant à L’infirmerie après les cours, je le note n’ayant jamais lu de mangas évoquant la question du genre et la pression sociétale autour de cette question.
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Comme c’est la collection Une heure-lumière, je dirai de ne pas hésiter à tenter ! Ça dépend des goûts, mais en général tous leurs textes sont très bons.
Pour l’Infirmerie après les cours, je crois qu’il n’est plus édité… il faudra voir s’il est dans une bibliothèque près de chez toi, ou le trouver d’occasion (c’est ce que j’avais fait).
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Je vais regarder sinon je tenterai l’occasion quand mes achats prioritaires auront été passés…
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Je suis assez curieuse des romans d’Alice Oseman depuis que je suis tombée sous le charme d’Heartstopper. Je pourrais donc bien me laisser tenter par Loveless un de ces quatre et suis d’autant plus ravie de lire ton avis positif tout en en apprenant un peu plus. Ça parle d’un sujet rarement raconté et ça peut être une très belle lecture !
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Je n’ai pas encore testé Heartstopper mais j’aimerais beaucoup, j’en ai toujours entendu du bien ! Et je milite peut être, mais oui, quand les livres nous font vraiment découvrir des sujets peu connus, complètement extérieurs à nous en terme de vies ou d’expériences, j’aime vraiment beaucoup…
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C’est vraiment une série graphique doudou ! Il y a des sujets pas forcément faciles, mais ça reste quand même surtout trop mignon !
Je te rejoins totalement sur ce point !
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Les intrigues de tes lectures du mois ont l’air intéressantes. Pour ce qui est de l’Infirmerie, il est vrai qu’il y a une vision assez binaire des genres et sexualités, certainement due au fait que la manga soit japonais et ait déjà quelques années. Quant à la fin, si elle fonctionne plutôt bien pour le protagoniste, elle est beaucoup moins crédible pour les autres personnages. Au reste, l’idée des rêves psychologiques et le dilemme LGBT+ du protagoniste n’en restent pas moins fascinants, en effet. J’aime bien ce manga.
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Oui, comme il date de quelques années, je pense qu’aujourd’hui il aurait pu s’aventurer à davantage de subtilités et nuances, mais pour l’époque, c’était déjà pas si mal ! Et le concept des rêves est vraiment à retenir, avec cette manière de voir la vraie nature des personnages.
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