Les Producteurs & Le Roi Lion | Côté comédies musicales

Cela fait bien longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de parler spectacles par ici… L’occasion se présente grâce à deux comédies musicales vues en février 2022 à Paris : Les Producteurs et Le Roi Lion.

Les Producteurs | La satire déjantée de Broadway

Les Producteurs, c’est tout d’abord le film de 1968 de Mel Brooks, qu’il transformera en comédie musicale en 2001, elle-même adaptée en film en 2005 avec deux des interprètes originaux, Nathan Lane et Matthew Broderick, mais aussi Uma Thurman et Will Ferrell. Si la comédie musicale a raflé plusieurs Tony Awards à l’époque, en France, nous avons surtout vu le film l’adaptant, encore que celui-ci ne soit pas non plus extrêmement connu. Et c’est en décembre 2021 que le metteur en scène Alexis Michalik met en scène la première version française des Producteurs, après un report dû à la pandémie.

Mais que raconte les Producteurs ? Dans les années 50, Max Bialystock, producteur dont les derniers spectacles sont des flops, se désespère de renflouer un peu son portefeuille. C’est alors que Leo Bloom, un comptable, intervient pour vérifier les comptes de son dernier spectacle et conclut qu’on pourrait devenir riche en faisant une comédie musicale destinée au flop. Les deux complices se mettent alors en tête de produire le pire musical de Broadway en prenant la pièce la plus offensante possible (un musical néo-nazi à la gloire d’Hitler), le pire metteur en scène (un couple gay suivi de leurs collaborateurs plus gays que gays), au moyen de méthodes douteuses. Véritable satire du show-business de Broadway, l’histoire est une comédie qui aurait tout pour être casse-gueule, mais dont les personnages sont tous plus extravagants et fous les uns que les autres. La satire l’emporte ainsi sur le mauvais goût apparent et l’immoralité des personnages principaux, pour peu qu’on accepte cet humour au 36e degré, pour une comédie musicale absolument déjantée.

La version française présentée au Théâtre de Paris respecte l’esprit de la comédie musicale avec justesse. On a droit à quelques adaptations du texte afin de se garder certaines plaisanteries plus compréhensibles aux Français peu habitués du monde de Broadway, et la coupure (regrettable) d’une seule chanson, Betrayed. Mais au-delà de ce seul défaut, Les Producteurs garde tout de l’esprit de son matériau d’origine, avec une mise en scène très similaire au film de 2005, tant dans les costumes que les décors. Et pour moi qui adore le film (découvert grâce à une certaine F-de-Lo), ce fut un véritable plaisir de découvrir enfin cette célèbre comédie musicale sur scène, avec des moyens à la hauteur et une troupe terriblement engagée dans ses personnages, la plupart des artistes changeant régulièrement de costumes pour assurer les seconds rôles ou la figuration pour les chorégraphies. Le rire est présent, le second degré est assumé, sans pour autant oublier la beauté des décors et les lumières de la scène si propres aux comédies musicales. Quant aux chorégraphies, elles sont tout simplement fascinantes et entraînantes, donnant un rythme impressionnant au spectacle et un sacré travail aux interprètes, qui doivent mélanger danse, chant, claquettes… le tout dans un enchaînement de scènes sans aucun temps mort.

Si je devais résumer le spectacle en quelques mots : c’était un petit rêve de voir un jour Les Producteurs sur scène, et je n’ai pas été déçue, bien au contraire. On en prend plein les yeux et on est complètement emporté par l’énergie de la scène et sa magie. Les deux heures du spectacle passent à toute allure, et si au début, les paroles françaises font bizarre après avoir été tant habituée à la version anglaise, la traduction est remarquable tant dans sa forme que dans son fond, retrouvant le sel et les punchlines de l’original. Et le tout en agrémentant de quelques lignes destinées à un public français, comme une référence au festival d’Avignon ou le début de la chanson « Le cercle de la vie » du Roi Lion, joué deux rues plus loin ! Si le film était déjà excellent, le spectacle permet de redécouvrir toute l’histoire et les chansons – avec quelques-unes inédites ou même une chanson de rappel absolument mordante – et de voir les personnages sous de nouveaux angles.

Benoît Cauden est ainsi parfait dans le rôle de Leo Bloom, interprétant aussi bien la candeur que le sérieux du personnage, avec ce comptable qui trempe dans une affaire louche afin de réaliser son rêve d’être producteur. Loin d’être aussi lisse ou ridicule qu’il le paraît, il est aussi profondément loyal et enjoué, contrebalançant avec la désillusion de son partenaire dans le crime, Max Bialystock. Celui-ci est interprété par Serge Postigo, peut-être plus grinçant et blasé que le Max de Nathan Lane, mais tout aussi remarquable au niveau vocal et dans l’interprétation de son personnage manipulateur, prêt à absolument tout pour retrouver le succès (et l’argent), drôle et totalement attachant. Les autres rôles ne sont pas en reste, du génial et dingue Franz Liebking (Régis Vallée), nazi aussi ridicule qu’impérieux, féru de ses pigeons voyageurs ; Ulla, jouée par Roxane Le Texier, qui trouve l’équilibre de son protagoniste entre chanteuse naïve et plantureuse, mais aussi femme bien consciente de ses charmes et de ce qui se trame ; ou encore David Eguren (Roger de Bris) et Andy Cocq (Carmen Ghia), absolument déjantés et hilarants dans les rôles du couple gay metteur en scène. Et ce serait criminel d’oublier le reste de la troupe (seize artistes au total) au talent génial, tant tout dans le spectacle est une merveille au niveau du rythme, des chorégraphies, du chant et du jeu.

Du décor d’un théâtre où se produisent les répétitions et le musical Des fleurs pour Hitler et la patrie au bureau de Max, en passant par des scènes en extérieur ou le bureau de comptables de Leo, se transformant en vision idéaliste de Broadway, tout est lumineux, éclatant et impressionnant. La comédie musicale est empreinte d’une vitalité aussi contagieuse que son rire, les situations loufoques se succèdent les unes aux autres, mélangeant le grotesque et l’émotion, le rire et la dérision. Mais on rit toujours avec les personnages, jamais à leurs dépends. Et cela fait indéniablement du bien dans la période actuelle. Je ne peux qu’encourager à découvrir les Producteurs, que ce soit par le film ou la comédie musicale (prolongée jusqu’à juillet 2022 en raison de son succès, au lieu de ne durer que deux ou trois mois). Celle-ci est une véritable chance de découvrir cette comédie musicale déjantée dans sa version française, et bien loin des fades musicals made in France.

« Max, ça va trop loin. On est allés trop loin. »
« Ça ? C’est rien du tout. Je te préviendrai quand ça ira trop loin. »

Le Roi Lion | Entre enfance et majesté

Comme dit un peu plus haut, deux rues plus loin, se jouait Le Roi Lion au Théâtre Mogador – qui pour le coup n’est pas à sa première version française, puisque le spectacle avait déjà élu domicile à Mogador de 2007 à 2010. Comédie musicale plus familiale – comme en témoignait la moyenne d’âge du public – Le Roi Lion n’est pas moins toujours aussi majestueux dans sa mise en scène et mythique dans ses chansons. Il n’y a sans doute pas besoin de rappeler l’histoire de ce récit qui traverse les générations, et qui pourrait paraître difficile à adapter sur scène. Pourtant, cela a été rendu possible grâce au talent de Julie Taymor, la femme derrière la conception des décors, costumes et marionnettes de la comédie musicale.

Car Le Roi Lion mélange les genres. Aux danses inspirées par l’Afrique et les animaux qui y vivent se mêlent les jeux d’ombres de marionnettes africaines. Les masques portés par les différents personnages, expriment leur part animale par ces objets tantôt coiffes symboliques, tantôt manifestations de leurs changements d’attitude. Des animaux-marionnettes plus géants arrivent de part et d’autre du public, donnant une sensation d’immersion et d’émerveillement en voyant un éléphant, un hippopotame ou des oiseaux arriver sur les côtés. On ne peut qu’admirer le mouvement majestueux des antilopes maniées par un artiste dans un rythme régulier, ou la grâce des girafes interprétées par des acteurs montés sur échasses. La musique mêle le lyrisme de Hans Zimmer, les mélodies de Elton John à la langue africaine, immergeant le public dans l’atmosphère de cette savane. Les talents derrière la musique, mais surtout les décors et les danses du Roi Lion, ne sont pas à nier quand ils parviennent à recréer une savane aussi vivante et symbolique.

Si on est moins dans l’interprétation et le jeu que dans Les Producteurs, on est davantage dans le lyrisme et la danse, encore une fois avec une troupe fabuleuse et engagée dans leurs rôles jusqu’au bout : des enfants Nala et Simba à leur version adulte (radieuse Cylia et Gwendal Marimoutou), au Mufasa imposant de Noah Ndema et au machiavélique Scar (Olivier Breitman), sans oublier les secondes rôles : la malicieuse Rafiki (Ntsepa Pitjeng-Molebatsi), Zazu (Sébastien Perez), Timon et Pumbaa (Alexandre Faitrouni, Rodrigue Galio). Tout un casting qui maîtrise à la perfection ses coiffes et ses marionnettes, offrant des personnages solidement campés, parfois très drôles ou jouant d’ambiguïté avec un plaisir évident, comme celui de Scar. Et encore une fois, le travail effectué par les danseurs est tout aussi admirable, surtout dans des danses qui différent grandement de celles qu’on peut voir dans d’autres comédies musicales, permettant de décrire un monde animal teinté d’humanité.

Revoir Le Roi Lion, c’est forcément se replonger dans des souvenirs d’enfance, c’est aussi redécouvrir la beauté de la scène et de cette comédie musicale, dans une belle version française au niveau des chansons. Toutefois, on peut parfois regretter le niveau de décalage entre les registres de langage dans les scènes parlées (notamment avec les versions enfants de Simba et Nala). C’est là encore un très beau spectacle, qui ne manque pas d’émouvoir, surtout si on a gardé Le Roi Lion dans son cœur d’enfant, et de surprendre par les nouveaux éléments du récit et nouvelles chansons qui y sont inclus. Et adulte, on peut réaliser encore davantage la prouesse d’avoir transposé cet univers de dessin animé sur scène de façon aussi convaincante et élégante, emmenant toute l’atmosphère d’un pays au théâtre. L’histoire devient encore plus riche, avec un véritable hommage à la culture africaine.

Là encore, le spectacle se joue jusqu’à l’été 2022 à Mogador. Et au vu de cette histoire mythique, il ne fait aucun doute qu’elle mérite d’être vue, tant cette comédie musicale est à la fois majestueuse et épique, offrant une véritable beauté scénique et magique, qui ne peut que laisser impressionné et rêveur bien après le spectacle.


13 réflexions sur “Les Producteurs & Le Roi Lion | Côté comédies musicales

  1. Voilà des avis bien complets sur ces musicals où il faut effectivement chipoter pour trouver des défauts. C’était un réel plaisir de les voir et je n’hésiterais pas à le refaire si elles étaient un peu plus à proximité 🙂

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  2. Ton article est magnifique ! Ces deux spectacles ont l’air sublimes ! Je ne connaissais pas Les producteurs (du moins, j’avais vu passer que c’était le nouveau Michalik, mais je ne savais pas de quoi il s’agissait exactement) et Le roi lion me fait envie depuis longtemps. A présent j’ai une envie démultipliée de découvrir ces deux musicals ! Tu m’as fait rêver le temps de ma lecture…

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    1. Merci l’Ours ! Je conseille les deux, même s’ils sont clairement de style différent. Le Roi Lion est évidemment bien plus majestueux… si tu n’as pas l’occasion de pouvoir en voir une sur scène, il en existe quelques-unes qui ont été captées (Le Fantôme de l’Opéra, 25e anniversaire, et sa suite, Love Never Dies) et d’autres ont été adaptés en très bon films musicaux, que ce soit Les Misérables, Le Fantôme, Rent….si un jour tu souhaites en découvrir ! Même si ce n’est pas pareil que sur scène.

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