Lectures d’avril 2022

arabe-du-futur-jeune-acteur-riad-sattoufL’Arabe du Futur, tome 5, & Le jeune acteur, tome 1 – Riad Sattouf

Suite aux quatre autres tomes lus de l’Arabe du Futur, il était logique d’enchaîner sur le 5e tome. Difficile d’en parler sans spoiler, mais les événements du tome 4 ont une lourde répercussion et pèsent largement sur Riad Sattouf. Il entre dans l’âge compliqué de l’adolescence, s’intéresse aux filles, découvre Lovecraft et de bandes dessinées légendaires de science-fiction : c’est là que naît en lui le désir de devenir artiste. Mais en parallèle, les conflits familiaux pèsent d’autant plus dans cette époque de bouleversements intérieurs. Les souvenirs de la vie syrienne s’infiltrent dans son quotidien, sous forme de phrases remémorées de ses cousins là-bas, sur ses actes, ses loisirs, qui ne seraient pas tolérés dans un pays aussi conservateur et religieux. Et tout y passe : son attrait pour des adolescentes qui seraient méprisées en Syrie pour leurs coutumes ou leurs vêtements, sa fascination pour les histoires d’horreur et de fantastique, ou encore la façon dont il devrait se positionner dans sa famille, comme héritier et soutien de son père, resté là-bas – et non comme un Français soutenant sa mère.

On commence à prendre davantage conscience des conséquences – à rebours – d’une jeunesse au Moyen-Orient sur la vie de l’auteur, dans cette période de l’adolescence qui définit l’âge adulte et où la branche paternelle de son père va profondément laisser des marques. Et surtout, se continue l’histoire d’un coup d’État familial qui ne peut pas laisser insensible.

En attendant le tome 6 de l’Arabe du futur – à paraître – je me suis tournée vers le premier tome du Jeune acteur, sorti en novembre dernier. Il s’agit encore d’un récit partiellement autobiographique, puisqu’il relate les débuts de l’acteur Vincent Lacoste, découvert dans Les Beaux gosses, premier film de Riad Sattouf. C’est une invitation à aller découvrir les coulisses du film, en passant par l’audition sauvage qui permet d’engager Vincent Lacoste – par ailleurs pas du tout le premier choix du réalisateur-auteur !

Avec toujours ce sens de la satire et de la répartie tranchantes, Riad Sattouf relate le tournage, les secrets de quelques plans, le milieu du cinéma, la difficulté de concilier adolescence normale et tournage pour Vincent Lacoste, la relation à la célébrité… Et on assiste aussi à quelques scènes montrant à quel point Riad Sattouf a voulu être une figure paternelle pour le jeune acteur, et l’entourer pour lui éviter des mauvais choix ou de trop avoir la grosse tête. Même si l’histoire m’a moins parlé que l’Arabe du futur, on retrouve tout ce qui fait le sel de l’auteur : un sens de la narration fluide, drôle et sans temps morts, des personnages toujours expressifs et terriblement normaux, et une capacité à rendre les dialogues aussi naturels que mordants.

fureurs-invisibles-du-coeur-John-Boyne
Les fureurs invisibles du cœur – John Boyne

Cyril n’est pas un vrai Avery, comme se plaisent à lui répéter ses parents adoptifs. Ignorant de ses origines – excepté le fait qu’il ait été amené aux Avery par une sœur rédemptoriste bossue – il se comprend homosexuel dès son plus jeune âge en croisant la route de Julian, un autre jeune garçon qu’il adorera toute sa vie sans jamais le lui dire. Dans une Irlande profondément catholique et dirigée de main de fer par l’IRA, il grandit et mène son existence tant bien que mal, vivant son homosexualité dans l’ombre et la honte. Mais les décennies passent, et c’est aussi toute l’évolution de l’Irlande à laquelle nous assistons sur soixante-dix ans.

Après avoir le coup de cœur sur le très difficile Il n’est pire aveugle du même auteur, je m’étais promis de continuer à découvrir l’œuvre de John Boyne. Les fureurs invisibles du cœur (2017) nous permet de découvrir toute la vie du narrateur, Cyril, sur plus d’un demi-siècle, de 1945 à 2015. A vrai dire, l’histoire commence même avant sa naissance, en assistant à l’exil de sa mère, fille-mère dans un petit village où le prêtre local la condamne sans le moindre égard. La jeune femme atterrit alors à Dublin, partage un appartement avec deux jeunes hommes, puis donne naissance à Cyril dans des circonstances particulièrement tragiques.

Comme prévu, Cyril est ensuite amené à des parents adoptifs, les Avery, dont le mari est familier des fraudes fiscales, et dont la femme est une écrivaine détestant la popularité. Dans cette famille étrange où il est élevé avec toute l’assurance matérielle dont il a besoin, mais pas forcément avec beaucoup d’affection, Cyril grandit. Il rencontre Julian pour lequel il a un coup de cœur et il déguisera sa fascination amoureuse en amitié pendant des années. Et la vie s’écoule, de chapitre en chapitre, chacun relatant des périodes sur plusieurs années. Nous suivons Cyril dans son travail de fonctionnaire, dans ses ébats sexuels de courte durée dans un recoin sombre, sans la moindre trace d’amour, à son incompréhension pour l’attirance envers les femmes, dans une Irlande dont les mœurs et les lois évoluent peu à peu, mais pas assez vite. Il n’y aucune tolérance pour les homosexuels à l’époque et sa vie lui semble se resserrer de plus en plus sous le poids du secret. Il y aura un mariage avec une femme, après lequel il prend la fuite au moment de la réception ; un véritable amour stable et heureux à Amsterdam, puis une échappée à New York, et un retour aux racines. Et tellement, tellement d’autres choses pendant ces 600 pages.

Les fureurs invisibles du cœur est un véritable roman-fleuve où l’on suit l’existence de Cyril, ses tragédies, ses moments drôles, ses réflexions, ses moments d’introspection sur le passé, sur l’homme qu’il était, sur des actes qu’il regrette tout en sachant qu’il n’aurait pu faire autrement à l’époque. C’est voir la main mise de l’IRA sur tout comportement répréhensible au pays, l’intolérance de la religion catholique qui bannit et méprise sans distinction les filles-mères et les homosexuels, la dureté d’une vision conservatrice qui met des décennies à évoluer. Tout est fascinant dans ce roman, du portrait sévère de l’Irlande et de ses mœurs, de sa société, jusqu’à la vie de Cyril, romanesque dans le bon sens du terme de sa naissance à sa vieillesse, menée par des hasards et coïncidences heureuses, par des personnages attachants et soigneusement campés en quelques lignes – ses parents adoptifs, Alice, la sœur de Julian, Bastiaan, Ignac, Mrs. Goggin et bien d’autres.

John Boyne écrit là un roman dans lequel on se laisse emporter avec plaisir malgré la dureté de certaines scènes. Il n’épargne rien, n’adoucit rien, pour montrer au mieux l’évolution d’un pays tantôt aimé, tantôt haï, jusqu’à des jours plus heureux et plus ouverts d’esprit. Les pages se tournent avec émotion, s’arrêtent sur des périodes plus difficiles que d’autres comme les années sida, mais on suit les multiples péripéties et rebondissements avec passion. Il y a un véritable souffle romanesque qui fait oublier les quelques grosses ficelles, exploitées par ailleurs avec une certaine ironie. Un véritable plaisir de lecture qui m’a emportée et fait vivre avec ses personnages le temps de 600 pages, protagonistes quittés par ailleurs à regret…


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.