Après quelques lectures un peu erratiques ou abandonnées en mai, le mois de juin s’est révélé plus solide et surtout plus enthousiasmant. J’avais eu pour projet de proposer pour le mois passé un article « Pride Month » avec les lectures que je recommandais le plus sur cette thématique, même si cela n’a rien d’original. N’en ayant pas foncièrement eu le temps, je me contenterai de vous parler de quelques-unes de mes dernières lectures LGBTQI+ et de quelques recommandations télévisuelles !
DIE, tomes 3 et 4 – Kieron Gillen & Stéphanie Hans
J’ai eu le plaisir de finir la série DIE – co-écrite par Stéphanie Hans et Kieron Gillen – entamée il y a plus d’un an avec les deux premiers tomes. Un groupe d’ami(e)s plongeaient, adolescents, dans une partie de jeu de rôle et se retrouvaient aspirés dans cet univers, avant d’en ressortir des années plus tard, traumatisés mais vivants. Devenus des adultes d’âge mûr avec une expérience douce-amère de la vie, ils s’y retrouvent de nouveau projetés, et cette fois, déterminés à en sortir, bien que pas pour les mêmes raisons d’autrefois : ils ont une famille, un couple, une carrière, des choses chères à leur cœur dans la vie réelle.
Les deux derniers volumes font replonger avec bonheur dans cet univers de JDR inventé, où la dark fantasy domine mais avec une légère touche de cyberpunk, où des grands auteurs (H.G. Wells, Charlotte Brontë, J.R.R. Tolkien, H.P. Lovecraft) s’incarnent comme des maîtres de jeux face aux joueurs et héros de l’histoire. DIE, c’est à la fois un hommage et une histoire du jeu de rôle ; c’est la reconnaissance envers tous ces univers de fiction qui nous ont permis de trouver un refuge, de grandir et de s’affirmer ; c’est une sacrée bonne histoire aux péripéties prenantes et aux personnages travaillés, même si on se perd parfois dans le côté méta de l’intrigue, comme durant le tome 3. Tous les personnages sont attachants à leur manière, chacun pris dans une tourmente personnelle (la maladie, le deuil, la responsabilité parentale, l’identité de genre, la dépression, etc) et à laquelle ils se confrontent dans l’univers de DIE. Car DIE, c’est un univers de fiction, celui où on peut se battre, être plus courageux, échouer, essayer, expérimenter (quoique de façon mortelle), se révéler. DIE est une immense métaphore de ce qu’est l’imaginaire, un monde fictionnel, pour quiconque y a trouvé refuge ou inspiration dans sa vie ; rien que pour cela, c’est une série qui mérite d’être lue, malgré quelques défauts.
Et parmi les héros et héroïnes du comics, il y a Ash, homme dans le monde réel, qui devient une Dictatrice dans le monde de DIE. Évoquée mais jamais totalement approfondie dans les trois premiers tomes, l’identité de genre de Ash trouve une réponse définitive dans le dernier volume, dans un face à face mis en scène de façon intelligente, parfaitement dans la lignée des autres quêtes personnelles des protagonistes. Ash n’est pas une femme transgenre comme je l’avais pensé au début. Iel se reconnaît dans la fluidité de genre (genderfluid), pas particulièrement dérangé·e d’être un homme la majorité du temps, mais souhaitant parfois profondément être quelqu’un d’autre, ou du genre opposé. Une identité abordée au cours de la série de comics avec finesse, sans gros sabots, se permettant d’être une véritable partie du récit et une des sous-intrigues, sans empiéter sur celle principale.
« Tu étais l’aventure et l’excitation quand la vie était ennuyeuse. Tu étais un endroit où explorer les pires facettes de nous-mêmes, mais aussi les meilleures. Tu étais un endroit où certains d’entre nous se sont réfugiés de la vie réelle. Tu étais un endroit où apprendre et comprendre les conséquences de nos actes. Tu as permis à Matt de puiser de la force dans ce qui le détruisait. Tu as donné un objectif à Sol et à moi, un lieu où être moi-même. Tu as permis à Angela de jouer les adultes, à Izzy de prendre ses responsabilités et à Chuck de les refuser. Tu es le lever de soleil sur Angria, la brume sur le Front, les souvenirs des fois où nous avons été courageux, terrorisés ou autre chose. Tu as été tout ça pour nous… mais nous en avons assez. »
Apprendre, si par bonheur – Becky Chambers
Depuis que Apophis avait parlé sur son blog de L’espace d’un an de cette autrice, j’attendais de pouvoir croiser la plume de Becky Chambers, un jour ou l’autre. Apprendre, si par bonheur, appartient au Planet Opera (exploration des planètes) et peut également se targuer d’une vision positive de la science-fiction. Ariadne O’Neill fait partie d’un groupe de quatre astronautes, chargés d’explorer plusieurs planètes et satellites afin de trouver un endroit viable pour la vie, mais surtout de découvrir et répertorier des nouvelles espèces.
Cette exploration n’est pas financée par un Etat ou un pays, mais par une association recueillant les dons des citoyens dans le but de l’exploration spatiale. L’histoire n’est donc pas un récit de conquête, mais d’exploration dans un monde futur (XXIIe siècle) qui a perdu tout intérêt pour la conquête spatial, trop préoccupé par les bouleversements climatiques et sociétaux. Apprendre, si par bonheur, parle de la découverte d’autres planètes en respectant leur écosystème, mais surtout du pourquoi nous continuons à rêver de l’espace et à espérer y trouver d’autres vies, d’autres miracles, d’autres espèces. Et, étant certes peu familière de science-fiction, j’ai trouvé là un récit qui manie la vulgarisation assez bien pour être crédible, sans jamais perturber « l’action » ou la galerie des personnages décrits et leurs relations. Le roman est très court, avec un peu moins de cent cinquante pages, mais nous fait découvrir l’espace, d’autres formes de vie, avec émerveillement et une curiosité scientifique que l’on comprend. Le titre du roman n’en est que plus juste, comme on le comprend à la toute fin. Et c’est une histoire qui a son lot de représentations, soulignées en quelques lignes et ensuite plus jamais évoquées tant cela semble la norme, avec Ariadne se révélant bisexuelle et polyamoureuse. La somaformation (qui permet de « créer » des capacités physiques temporaires au corps pour s’habituer aux atmosphères des planètes visitées) révèle que l’un des personnages est un homme transgenre grâce à cette somaformation, et l’on apprend que l’autre membre masculin de l’équipage est asexuel.
« Nous n’avons rien trouvé que vous pourrez vendre. Nous n’avons rien trouvé d’utile. Nous n’avons trouvé aucune planète qu’on puisse coloniser facilement ou sans dilemme moral, si c’est un but important. Nous n’avons rien satisfait que la curiosité, rien gagné que du savoir. »
Plus heureux que jamais – Adam Silvera
Un auteur ouvertement gay dont je voyais passer les romans Young Adult LGBTQI+ assez régulièrement, et dont j’ai enfin ouvert un des livres – son dernier paru en France : Plus heureux que jamais. Aaron vit les pires moments de son existence : son père a mis fin à ses jours, Aaron a tenté de se suicider, son frère est absent, sa mère peine à remonter la pente. Il tente de sortir avec sa petite amie, mais se découvre homosexuel face à l’amitié fusionnelle croissante avec un nouvel ami. Et si la solution, c’était Leteo (dérivé de Léthé, le fleuve grec de l’oubli), l’institut qui permet d’oublier les souvenirs dont on ne veut plus ? Ne vaut-il pas mieux se débarrasser de cette homosexualité qui ruine sa vie ?
Le résumé pourrait sembler un peu caricatural, mais il n’en est rien. Je me suis laissée porter par le roman et n’ai vu à aucun moment le cliffhanger qui fait tout basculer et qui rend l’œuvre encore plus poignante. Le roman est empreint de thèmes difficiles, entre l’homophobie familiale et celle du quartier, les tentatives de suicide, les ruptures amoureuses, la thérapie de conversion en filigrane par Leteo. Et pourtant, Plus heureux que jamais est aussi parcouru de beaux moments, il est particulièrement juste sur l’amour et l’amitié, sur la difficulté à s’accepter et à s’affirmer, avec un style d’écriture aussi direct et cru que poétique par moments. Pour peu d’y être sensible, la lecture du roman vous fera passer par de belles émotions, s’appuyant autant sur l’homosexualité de son personnage comme thème principal, que sur l’importance des souvenirs et les possibilités de l’oubli.
Coming in – Elodie Font et Carole Maurel
Roman graphique autobiographique, Coming in s’attarde sur la prise de conscience et la réalisation de l’homosexualité d’Elodie Font, celle-ci ayant compris bien après tout son entourage qu’elle est lesbienne. Pour une fois que ce n’est pas qu’une histoire de coming out ! Le dessin crayonné de Carole Maurel est très fin, très coloré et particulièrement agréable à regarder. Évidemment, les couleurs seront d’autant plus présentes et vives quand la narratrice aura pris conscience de son homosexualité ; elles seront d’un monochrome déprimant et pesant quand elle sera dépressive sans en savoir la raison.
L’angle de Coming in, plus que de présenter un coming out, c’est de montrer la difficulté du processus de connaissance, d’acceptation de soi face à une nouvelle identité, une nouvelle façon de se définir – et ici, l’homosexualité féminine avant tout. Se rendre compte qu’on trouvait toutes les filles jolies ou qu’on craquait pour elles, dès l’adolescence, à rebours ; ne pas accepter le terme de lesbienne tant sa connotation est chargée et hideuse; qu’on n’est pas frigide mais juste pas attirée par les hommes. Faire, pas à pas, la compréhension de toutes ces étapes, de tous ces signes qui trahissaient un indice de l’homosexualité, avec le nouveau regard d’adulte. Et ensuite, le lent chemin pour s’accepter, pour ne pas dire « Je suis amoureuse d’une femme mais que celle-là » mais « j’aime les femmes », pour arriver enfin à faire le deuil de l’hétérosexualité et toutes les possibilités qu’elle garde : une grossesse naturelle, un mariage serein, le cadre d’une vie normative, etc. C’est par ces biais qu’Elodie Font parvient à nous parler, à nous émouvoir, à faire de son récit autobiographique une histoire assez universelle – se déroulant en parallèle des luttes LGBT en France ces dernières années – celle de l’acceptation de soi-même, étape par étape, pour se construire une vie délivrée des normes hétérosexuelles.
Felix Ever After – Kacen Callender
« Pour les jeunes trans et non-binaires. Vous êtes belles, vous êtes beaux, vous êtes important·es, vous êtes valides. Vous êtes parfait·es. »
Kacen Callender est une personne noire, non-binaire et transmasculine. Felix Ever After est son seul roman Young Adult traduit à ce jour en France. Felix est un jeune homme transgenre, ayant déjà fait son coming-out, et passionné par l’art, projetant de postuler pour une école réputée. Mais pendant ses cours d’été, il se trouve face à une exposition anonyme de photos de son ancienne apparence et de son deadname. Ses soupçons se portent sur un de ses camarades, Declan : il tente de l’espionner sur Instagram et de le questionner en se faisant passer pour un autre, afin de le dénoncer. Mais les conversations échangées tournent vite à des sujets plus intimes, qui le font se sentir proche, voire amoureux.
Lu juste après Plus heureux que jamais, j’ai été pendant les premières dizaines de pages déconcertée par le style de l’auteur. A vrai dire, j’avais l’impression de passer de la poésie d’Adam Silvera à un récit beaucoup plus cru et réaliste avec brutalité. Et pourtant, des deux ouvrages, c’est sans aucun doute mon préféré. Au bout d’une cinquantaine de pages, je me suis retrouvée complètement embarquée dans le quotidien de Felix, dans ses amitiés, dans ses autoportraits dans lesquels il se dessinait fier et toujours changeant, dans la romance « enemies to lovers » qui se dessinait avec Declan par échanges de messages Instagram, dans ses combats du quotidien avec un père ayant du mal avec sa transidentité tout en le soutenant, dans ses interrogations sur le genre. Car Felix est transgenre, et noir, et queer dans ses orientations sexuelles, sans aucun doute, mais il peine à trouver sa véritable définition et son identité, ne se sentant pas toujours aussi homme qu’il le voudrait, souhaitant parfois être quelqu’un d’autre, ce qui le mènera vers le terme demiboy.
Felix Ever After, c’est presque Dysfonctionnelle, mais version masculine. Le coming out ne sera jamais vraiment le sujet du livre, ce stade est dépassé. Felix est sûr de qui il est et de ce qu’il revendique. Il montre cependant comment on peut continuer à s’interroger sur sa place, comment on peut vivre avec ou sans étiquettes pour davantage se comprendre, comment on peut être fier de qui on est, comment ce sont les expériences, les erreurs, les amis ou les amours qui aident à grandir et à savoir ce que l’on souhaite réellement. Il ressort du livre un véritable positif sans mièvrerie, avec cette volonté de raconter l’histoire de Felix dans tout ce qu’il a de plus humain, de plus contradictoire, passant du doute à l’affirmation de soi avec éclat. Une lecture qui fait indéniablement du bien, avec des protagonistes terriblement attachants.
Du côté des recommandations télévisuelles, sans originalité, j’ai vu en quelques soirées la mini-série Heartstopper sur Netflix, adaptée du webtoon de Alice Oseman, l’autrice de Loveless. Ici, il s’agit de la rencontre entre deux lycéens, l’un se sachant gay et l’autre allant le découvrir. Autour d’eux gravitent quelques amis, dont Elle, femme transgenre. Mais le sujet principal, c’est l’amitié tournant au flirt amoureux entre Nick et Charlie. L’un est ouvertement gay et l’autre a tout un chemin de découverte de lui-même à faire. C’est infiniment doux et mignon, sans drame ni violence, c’est parfois très pédagogue sur les thématiques abordées (le seul regret est dans le très qui empêche parfois le naturel) mais la galerie d’acteurs et actrices est attachante, tout autant que l’histoire d’amour toute douce qui se dessine, totalement feel-good malgré les péripéties inévitables que cela entraîne (homophobie, erreurs, coming-out, etc).
Dans un registre plus « comédie dramatique », j’ai revu The Boys in the Band de Joe Mantello, adapté d’une pièce de théâtre de 1968 de Mart Crowley. Il s’agissait à l’époque – avant les émeutes de Stonewall de 1969 qui donneront la Gay Pride – de la première pièce de théâtre off-Broadway où quasiment tous les personnages sur scène sont ouvertement gay (comme la moitié des comédiens de la pièce d’origine). Elle reflétait la diversité des hommes gay de l’époque, de celui qui paraît totalement hétéro à la « folle », en passant par le séducteur ou l’intellectuel, et surtout abordait des tas de thématiques qui leur étaient propres : le coming out, l’homophobie profondément intériorisée, les relations de couple, l’adultère, etc. Cinquante ans plus tard, la pièce a été rejouée sur scène puis adaptée via le film de Joe Mantello, avec un casting d’acteurs ouvertement gay : Jim Parsons, Zachary Quinto, Matt Bower, Robin de Jesus entre autres.
The Boys in the Band est donc une histoire qui a une importance dans la culture LGBTQI+, et force est de constater que des décennies plus tard, la pièce a toujours une certaine force d’impact. Une bande d’une dizaine d’amis gay se retrouvent pour fêter l’anniversaire de l’un d’entre eux, dans un appartement. Le huis-clos favorise la fête, les retrouvailles, mais aussi les défiances, les souvenirs, les amours perdues ou jamais avouées, les disputes et la rancœur ; et surtout,les discussions franches d’amis gay se retrouvent entre eux sans crainte du regard des autres. Bien sûr, on n’écrirait plus des personnages gay aujourd’hui comme le dramaturge l’a fait à l’époque, et on sent toute la théâtralité du matériau d’origine en dépit d’une mise en scène dynamique. On y trouve l’irrévérence et la dérision qui reviendront dans Queer as folk, notamment, avec un gigolo en cadeau d’anniversaire, les piques bien senties, les blagues sur les hétéros. Mais derrière l’humour de certaines situations, derrière les punchlines drôles, il y a une douleur, une souffrance, celle de l’homophobie intériorisée qui gâche la vie des personnages, qui les condamne à rester dans l’ombre parfois, à adopter des attitudes pour mieux se fondre dans la société, et surtout, à se haïr soi-même avec une douleur terrible et lancinante. L’histoire, sous ses apparences de fête, est bien moins légère qu’elle n’en a l’air. Pas étonnant qu’on s’y retrouve encore cinquante ans plus tard !
Enfin, dernière recommandation, car Disney+ a (étonnamment) mis en ligne les 5 saisons complètes de la série The Fosters, créée par Peter Paige et Bradley Bredeweg. Elle date en vérité de 2013, et a déjà été diffusée en partie en France, mais c’est par la plateforme de streaming qu’elle risque de trouver un nouveau public. The Fosters s’intéresse au système de placement d’enfants dans des foyers en Amérique, avec son héroïne, Callie, qui après être sortie d’une prison pour mineurs, est accueillie avec son frère Jude dans une famille d’accueil, composée de deux mères, du fils biologique de l’une et de deux jumeaux adoptés. C’est une série familiale : on retrouve toutes les intrigues reliées aux liens entre frère et sœur, parent-enfant, de couple, le quotidien des enfants au lycée, leurs amours, amitiés…. Mais avec toute une ribambelle de thèmes en plus : le placement, les familles d’accueil et leur système injuste, l’homosexualité, la transidentité, les relations avec des parents biologiques restés uniquement géniteurs, la résilience après un viol… La série est touchante, dense parfois, forcément emplie de bons sentiments (on en a parfois besoin), les plus jeunes acteurs ne jouent pas toujours de leur mieux… Mais on y reste attaché, comme à une vraie famille qu’on retrouverait épisode après épisode, avec la même tendresse. Et je ne peux que la recommander si on a besoin d’une série chill, tout public, mais en même temps très variée et avec une galerie de protagonistes principaux comme secondaires terriblement attachants.
Une réflexion sur “Lectures de juin 2022 | Pride Month”