Mexican Gothic, Silvia Moreno-Garcia | Relecture mexicaine du gothique

81tInL8WMbLPremier roman de l’année lu dans le cadre du challenge 12 livres recommandés par 12 amis, c’est Clelie de Litteranet qui est à l’origine de cette suggestion. Un choix qui m’a d’ailleurs permis de ressortir Mexican Gothic des romans achetés et rangés dans ma bibliothèque depuis des mois.

Au Mexique, la mondaine Noemí Tabaoda se retrouve envoyée par son père à High Place, ancien manoir britannique à la campagne, afin de parler en personne à sa cousine Catalina. Depuis son mariage, Catalina ne donne guère de nouvelles ni ne visite sa famille mexicaine, jusqu’à une dernière lettre parlant d’entités surnaturelles et d’empoisonnement. Sur place, Noemí trouve un manoir désuet et vieillot, environné par la brume et aux domestiques fantomatiques. Le mari de Catalina, Virgil, se montre aussi inquiétant que séduisant ; son jeune frère Francis, effacé et timide, passionné par l’étude des plantes et des champignons ; le père de Virgil, malade, tient d’inquiétant discours eugénistes sur les races supérieures et inférieures, tandis que Catalina semble bel et bien hantée par d’étranges visions ou au moins victime d’une maladie empreinte de mélancolie. Très vite, Noemí se retrouve à son tour prise au piège dans le manoir, confrontant les membres de la famille Doyle, certains plus ambivalents et inquiétants que d’autres.

Un renouveau du genre gothique

Comme son titre l’indique parfaitement, Mexican Gothic de Silvia Moreno-Garcia se veut roman gothique, dans une ambiance mexicaine. Si ma dernière lecture se prétendant roman gothique moderne (La maison de verre, de Roberto Cotroneo) ne m’avait pas emballée malgré une écriture et une ambiance travaillées, Mexican Gothic montre qu’il maîtrise parfaitement tous les codes du genre en leur donnant une nouvelle lumière. Exit la période du XIXe siècle, l’histoire se passe dans les années 1950, et non en Angleterre, Italie ou Europe de l’Ouest, mais au Mexique, pays trop peu présent dans les livres que je peux lire. A la chaleur et aux festivités mondaines que côtoie Noemí, membre d’une famille aisée et confortablement installée dans la société, s’oppose le manoir britannique High Place, perdu dans la campagne et la brume mexicaine, en déchéance depuis la faillite de la mine qui y apportait richesse. Le manoir sombre d’où personne ne s’échappe est typiquement anglais, et fait figure de l’Autre, de l’étranger, dans la société mexicaine. Catalina, la cousine de Noemí, est par ailleurs une jeune femme à l’imaginaire façonnée par les histoires romantiques du XIXe siècle, ayant épousé Virgil, archétype des héros des romans gothiques : byronien, à la fois beau et inquiétant, intelligent, mais cachant derrière sa noblesse un terrible secret.

Bien d’autres éléments font plonger au fil de la lecture dans ce gothique réinventé : les visions et fantômes qui semblent hanter le manoir, l’équilibre entre fantastique et surnaturel, les secrets de la famille Doyle qui cachent une lourde histoire, tachée de sang et de mystère, ou encore les cauchemars de Noemí à l’intérieur des lieux, qui révèlent aussi bien l’horreur du manoir que la double nature de Virgil, entre répulsion et sensualité. Mais, loin de ne se concentrer que sur une romance type victorienne, Mexican Gothic choisit aussi de s’aventurer du côté de l’horreur, une horreur où l’ombre de Lovecraft n’est pas loin. Si High Place semble habituée par des fantômes et visions, l’on découvre peu à peu que le manoir est aussi infesté par une horreur tenant plus de la science-fiction. Sur cela, je ne divulgâche pas, pour laisser la surprise… Et également, les Doyle prônent des idées d’eugénisme et de races dites « inférieures » ou « supérieures » qui, elles, appartiennent davantage au racisme, voire à un système de culte occulte qui ne donnerait une véritable valeur qu’aux personnes blanches.

Renversement des codes

Mexican Gothic s’emploie avec brio à réutiliser tous les stéréotypes du genre, mais aussi à les détourner. Là où les héroïnes du roman gothique sont souvent passives ou soumises (socialement au moins), Noemí fait figure d’exception en se montrant avant tout comme une femme mondaine, élégante et sophistiquée, douée pour flirter et évoluer dans n’importe quel type de conversation sociale. Cela ne la rend pas moins intelligente et audacieuse pour autant, puisqu’elle utilisera tous les moyens à sa disposition pour essayer de secourir sa cousine. Elle trouvera également de l’aide auprès de Francis, le seul membre de la famille capable d’empathie et de compassion, bien qu’il soit aussi considéré comme le plus faible des Doyle. Et s’il est dommage de parler davantage d’autres personnages pour préserver le mystère, certains d’entre eux voient leur rôle évoluer ou se révéler le contraire de ce qu’ils paraissent être, dans une dualité qui leur sied très bien.

Par ailleurs, comme dans d’autres romans gothiques, l’action se révèle insidieuse et méthodique. Chaque élément se met en place peu à peu, faisant naître une tension qui grandit lentement mais sûrement tout au loin du roman, pour exploser au dernier tiers en ce qu’il faut d’horreur, de macabre et de science-fiction. Alors, oui, il ne faut pas s’attendre aux effusions de surnaturel et de sang dès les premières pages, bien au contraire. Le temps de mise en place de l’ambiance et des personnages se fait chapitre après chapitre, mélangeant avec les conversations aristocratiques du livre, les visions de fantômes et de mauvais rêves avant tout, faisant douter de ce qui se passe réellement, naviguant entre rationalité et rêves. Cela permet cette explosion qui rend le final encore plus mémorable, plongeant vers l’horreur écœurante (presque du Weird) mêlée de science-fiction et les thématiques des sectes (manipulation, enfermement, endoctrinement…). Les dernières pages se lisent avec l’intensité d’un thriller, où chaque issue est incertaine, bousculée, au point de laisser penser que jamais l’héroïne ne s’en sortira.

Ce qui donne également son charme au roman, c’est aussi le point de vue de Noemí. Encore une fois, je ne suis même pas sûre d’avoir croisé auparavant un personnage mexicain dans mes lectures. Avoir pour une fois une héroïne latino-américaine, avec l’histoire que cela inclut (et qui joue beaucoup avec le colonialisme évoqué dans le roman et le racisme latent), avec un rang social qui lui permet d’être égale face aux personnages masculins, tout en restant dans une époque bien ancrée avec ses codes sociétaux entre hommes et femmes… Tout cela permet à la fois l’intégrité de certains mécanismes de l’intrigue, mais aussi d’offrir une autre vision du gothique, transportée dans un autre pays, une autre époque, que celles habituelles.

Si l’histoire et ses personnages ne sont pas pour pour autant un coup de cœur, le roman m’a fait passer un très bon moment de lecture. J’ai beaucoup aimé ce que Mexican Gothic donnait à voir d’une autre vision du genre, proposant une fin horrifique mais malgré tout pas trop malsaine (il en aurait fallu un peu plus pour cela), avec des personnages plutôt sympathiques. Cette passion pour ce style de romans en particulier se ressent en voyant les autres œuvres publiées par Silvia Moreno-Garcia, qui transposent d’autres archétypes du roman gothique au Mexique, des vampires aux créatures du Docteur Moreau.

Vous pouvez trouver deux intéressantes interviews de l’autrice sur son roman sur les sites de The Brooklyn Public Library et de Fangoria.


9 réflexions sur “Mexican Gothic, Silvia Moreno-Garcia | Relecture mexicaine du gothique

    1. Tout a fait, c’est quand même une très agréable lecture ce livre-ci ! Et puis quand c’est du gothique, j’aime beaucoup, alors cette façon de revisiter le genre avec respect des codes, c’était un plaisir supplémentaire à la lecture !

      Aimé par 1 personne

    1. Avec plaisir !! Je me suis aussi rendue compte que je n’ai jamais lu d’histoire se déroulant au Mexique, ou par un auteur mexicain (ni même latino américain, à part peut être des nouvelles étudiées au collège ou lycée.) A l’occasion !

      Aimé par 1 personne

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