Les souliers rouges | Un conte enchanteur et macabre

affiche+bandeau+2Créé par Marc Lavoine et Fabrice Aboulker, Les souliers rouges est un conte musical né en 2016, mais qui n’a guère eu de chance avec la période Covid, interrompant net les représentations prévues. Après quelques versions – album-concept initial et un premier casting – Les souliers rouges partent en 2024 pour une tournée à Paris et en France. J’ai eu la chance de voir le spectacle lors de son passage à Annecy, le 13 janvier 2024.

A l’origine de l’inspiration : Hans Christian Andersen et le duo Powell-Pressburger

featured_les-chaussons-rougesLes souliers rouges est avant tout un conte de Hans Christian Andersen écrit en 1845, où une paysanne vaniteuse nommée Karen choisit de porter des souliers rouges à l’église, puis à un bal, bien qu’elle n’arrive pas ensuite à les retirer. Ce n’est qu’après une amputation cruelle – où ses pieds continuent à danser – et beaucoup de prières, qu’elle finit par trouver la paix, donnant au conte une morale surtout religieuse. Un siècle plus tard, le film de Michael Powell et d’Emeric Pressburger, Les chaussons rouges, sort au cinéma, librement inspiré du conte. Dans cette intrigue, Boris Lermontrov est un compositeur choisissant de mettre à l’honneur une danseuse méconnue, Victoria Page, dans le fameux ballet des souliers rouges. Mais la ballerine se détourne de l’art en épousant un jeune homme, Julian Craster. Le film trouve son apogée dans une célèbre séquence dansée de vingt minutes, où Victoria porte les souliers rouges et est déchirée entre son amour terrestre (Julian) et son amour de la danse (Boris).

Bien qu’elle soit décrite comme uniquement inspirée du conte originel, la comédie musicale des Souliers rouges emprunte aussi beaucoup au film de 1948, en reprenant un trio de personnages principaux : le chorégraphe Victor, le journaliste Ben et la danseuse Isabelle. A ce trio se rajoute également un quatrième personnage : le « choeur » de l’opéra, une troupe de danseurs et danseuses apportant une profondeur supplémentaire au spectacle.

Et ainsi débute l’histoire. Victor (Guilhem Valayé) est un chorégraphe qui semble avoir depuis longtemps passé un pacte avec une force maléfique (le diable ou les fantômes de l’opéra, voire les anciennes victimes des souliers, incarnée par la troupe de danse). En quête d’une danseuse capable de chausser les souliers rouges et donc de renoncer à l’amour sous peine de subir une malédiction, il jette son dévolu sur Isabelle (Céleste Hauser), une jeune ballerine qui ne rêve que de briller sur scène, en absolu de l’art. Les deux personnages semblent s’allier, unis par leurs ambitions artistiques, avant qu’un journaliste, Ben (Benjamin Siksou), ne ravisse le cœur d’Isabelle, entraînant la malédiction des souliers rouges…

Une comédie musicale intimiste

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Les souliers rouges a été, dans l’ensemble, une très jolie surprise. On peut regretter l’absence de dialogues parlés ou récités pour davantage lier les scènes entre elles, à l’instar des comédies musicales anglophones. Cela aurait pu permettre justement plus de liant et de chair pour donner un fil logique davantage évident entre toutes les chansons. Également, j’ai un peu regretté le manque de décor : au-delà quelques accessoires et plateformes selon les scènes, le seul décor consiste en une image projetée, pouvant tour à tour donner un fond composé des extraits du journal de Ben, une salle d’opéra, une nuit bleutée de Paris, les yeux émus d’Isabelle… les projections en elles-mêmes sont belles, mais ont manqué d’une certaine profondeur qui aurait pu être encore plus immersive. Cela est sans doute dû à l’aspect pratique de la tournée d’avoir choisi une scène relativement minimaliste, resserrant l’intrigue sur ses personnages et leurs états d’âme. Les effets de lumière, précis et parfois en parfait accord rythmé avec un son ou une musique, sont toutefois très beaux.

En ne mettant en scène que trois protagonistes, Les souliers rouges choisit résolument de mettre l’accent sur leur personnalité et leur destinée, ainsi que leurs dynamiques. On a ainsi l’impression d’un huis-clos intimiste dans le vaste monde de l’opéra, traversé parfois par d’autres ballerines et surtout la troupe des danseurs et danseuses maléfiques. Ces derniers donnent le sentiment d’être un protagoniste à part entière, entourant Isabelle, Victor et Ben, semblant les encourager, les railler ou les hanter selon les scènes. On perçoit ainsi également la solitude des personnages, particulièrement celles de Victor et Isabelle. Cela est parfois illustré par l’apparition des plateformes isolant les protagonistes les uns des autres, mais aussi lorsqu’ils se retrouvent chacun d’un côté de la scène lors de chansons communes.

Victor est un chorégraphe exigeant et autoritaire, cherchant à mettre en scène « la tragédie de la vie » par l’opéra des souliers rouges, et recherchant ainsi une danseuse capable de la même volonté absolue pour la danse, que lui. C’est là qu’il croise le chemin d’Isabelle, issue d’un milieu modeste, mais dont la vie ne fait sens que dans la « symphonie » et dans la danse, guidée depuis son enfance par des modèles de danseurs professionnels (la chanson Nijinsky et Ivanovna). Il lui fait don des souliers rouges, lui permettant une danse encore plus gracieuse et élégante qu’auparavant. Bien évidemment, elle choisit d’être la muse de Victor en conscience de cause, renonçant à l’amour et donc à sa vie privée, sans hésiter.

Quand Ben intervient véritablement, après avoir relaté le risque à chausser les souliers rouges dans son journal, c’est pour tomber amoureux d’Isabelle, et réciproquement. La malédiction des souliers rouges ainsi évoquée dès le début du spectacle va se mettre en place – incarnée par la troupe des danseurs et danseuses fantomatiques.

Une danse macabre

Il n’est pas clairement dit que la troupe des danseurs et danseuses incarne le diable ou une force maléfique dans l’opéra, mais cela se ressent ainsi tout au long du spectacle. Lors de la chanson La paire des souliers, c’est l’un des danseurs – dont le rôle, les expressions démentes et les sourires railleurs semblent un hommage direct au cordonnier du film de 1948 – qui vient remettre les chaussons rouges à Victor (puis Isabelle lors de Pygmalion). La troupe danse autour de lui dans une brume mystérieuse, renforçant par leurs costumes et maquillages sombres l’idée de fantômes, d’anciennes victimes des souliers, ou de démons. Il semble aussi que ce n’est pas la première fois que Victor pactise avec ces créatures pour réaliser un rêve, comme un contrat faustien destiné à mettre en scène la tragédie des souliers rouges, opéra maudit.

les-souliers-rouges-fait-reference-a-des-souliers-de-danse-magiques-qui-s-averent-maudits-photo-tristan-chapuis-1702749647Tout au long du spectacle, la troupe de danseurs et danseuses revient, illustrant parfois des moments-clés du récit – des ballerines tentant de décrocher le rôle dans le ballet de Victor, des accessoiristes et costumiers autour d’Isabelle. Mais le plus souvent, ils incarneront ces fantômes tantôt invisibles, tantôt tangibles. Ils paraissent hanter Victor et lui rappeler le pacte établi, le raillant et le méprisant quand il voit Isabelle tomber amoureuse. Quand Isabelle enfile les chaussons rouges, ils l’aident à danser et à répéter, ou la malmènent en la forçant à danser comme une poupée mécanique. On se demande même, lorsque ces fantômes encerclent Ben et Isabelle lors de leur rendez-vous, s’ils n’ont pas influencé les jeunes gens pour les faire tomber en amour et ainsi détruire le plan de Victor de façon préméditée. Les ombres de l’opéra incarnent une présence maléfique qui impose le surnaturel macabre qui n’était qu’esquissé dans le livret, laissant clairement entendre que les trois personnages sont les jouets d’une force qui les dépasse – et qui ne veut que leur perte.

On ne peut que là saluer l’immense travail de ces danseurs et danseuses qui donnent un tout autre sens au spectacle, un autre niveau de lecture qui enrichit considérablement les Souliers rouges. Par leur mélange de danse classiques et contemporaines, ils incarnent l’âme de l’opéra et la malédiction des souliers rouges à la fois, avec une subtilité et une chorégraphie qui rendent le conte musical encore plus intense.

La fatalité de l’art et de la passion

Les souliers rouges part d’un concept philosophique et artistique qui hantent de nombreux films artistiques (ou sportifs, d’ailleurs), de Black Swan aux Chaussons rouges en passant par Le fantôme de l’opéra : le choix d’une vie dédiée à l’art, ou celui d’une vie plus terrestre et personnelle – le sacrifice de l’un pour l’autre. Ainsi, Isabelle et Victor évoquent dès le début de l’œuvre cette opposition entre vie et absolu de la danse, par des chansons respectives (Nijinsky et Ivanovna, La paire de souliers rouges).

Victor a ainsi tout, à mi-chemin entre un Phantom et un Frollo, de l’artiste exigeant et autoritaire, pour qui la vie n’a jamais tourné qu’autour de son œuvre professionnelle de façon maladive, quitte à ne jamais quitter son opéra, à ne jamais expérimenter les émotions et les possibilités d’une vie plus humaine. Une telle monomanie se ressent notamment lorsqu’il fait passer des auditions à différentes ballerines, finissant par les rejeter tout(e)s avec mépris, ou lorsqu’il semble chanter avec un plaisir presque sadique lors de Coup de théâtre à l’opéra. Sa première chanson introduit directement le personnage comme une figure impérieuse et intransigeante, résolu à trouver l’héroïne dont il a besoin, peu importe le prix à payer et le nombre de danseurs qui en subiront les conséquences à force de travail et d’épuisement.

« Les danseuses passent à la trappe / Comme un vertige / Qui les attrapent et puis les brisent comme des brindilles / Comme on brise les chevilles / Des destins qu’on épuise / Et dansent et dansent et dansent »

Isabelle exprime cette même ambition et désir d’absolu de la danse, bien que de manière moins névrosée. Elle se tourne vers la danse par désir de gloire et de scène, avec une profonde ardeur au travail et une détermination qui ne lui enlèvent toutefois pas une certaine vulnérabilité et bienveillance. On la sent isolée des autres danseurs et danseuses, arrivant en retard après des auditions, répétant tard le soir quand l’opéra est vide : la danse représente tout pour elle, remplit sa vie. Elle en a besoin pour exister autant que pour s’évader d’un quotidien sans illusions, taraudée par le passage du temps et le poids des rivalités dans son milieu. Son chant est à la fois limpide, clair et doux, mais amplement déterminé. C’est ainsi que deux solitudes se rejoignent, mues par l’ambition de la scène, mais l’un par abandon et rejet de la vie à un âge plus mature, l’autre plutôt parce qu’elle n’a pas encore beaucoup vécu.

« Viens danser / Allume pour moi l’opéra / Et viens comme ça / A bout de bras, porte-moi / Il faut travailler / Toujours travailler / A bout de souffle / Les ballerines usent les parquets / Viens danser, il n’est pas si tard / Et l’on est seul à l’opéra ce soir »

C’est après une répétition d’Isabelle que Victor l’aperçoit enfin, et c’est ici qu’on a le basculement pour ces deux personnages, créant le cœur de l’intrigue. Victor est à la fois fasciné par la danseuse, lui trouvant le talent et la grâce qu’il cherchait pour son opéra maudit ; mais également l’obstination et l’aspect travailleur, jusqu’à l’épuisement, qu’il recherchait. Il est persuadé qu’elle vit sa dévotion à l’art comme un sacrifice à sa vie personnelle. C’est aussi là qu’on entend la chanson Je l’attendais, étonnamment romantique et douce pour un personnage aussi obsessionnel que Victor, contribuant à lui donner une ambivalence plus humaine dans sa voix puissante et marquante. Leurs chansons suivantes, du Rêve d’une vie à Pygmalion, révèlent alors tout le potentiel de deux âmes qui se sont trouvées dans leur solitude. Contrairement à d’autres fictions tournant autour d’un tel duo et d’un tel pacte faustien, c’est en pure connaissance de cause qu’Isabelle choisit de chausser les souliers rouges, renonçant à toute autre chose. C’est aussi une fascination l’un envers l’autre qui les pousse, la motivation d’avoir trouvé un égal dans le milieu de la danse, unis dans le même but. Mais cela ne sera que du côté de Victor que des sentiments amoureux commenceront à naître.

« Viens danser dans ma nuit / Les souliers rouges à tes pieds endormis / Offre-toi au dieu de la danse / Comme un cadeau immense / Viens danser jusqu’au bout / Comment faire autre chose ? […] Nous aurons le monde entier / Les souliers rouges à tes pieds / Tu danseras tous les jours / Sans penser à l’amour / Tu seras mon Graal, que tu le veuilles ou non / Je serai ta chose ta création / L’œuvre de ta vie ton ambition / Tu seras mon Picasso mon Pygmalion »

Aimant les antagonistes et les relations tourmentées, il n’est pas étrange que j’apprécie autant ces deux personnages. Par leur destin commun et le choix de s’allier, ils interprètent à eux deux ce conflit entre le choix de vivre pour l’art ou pour soi (un dilemme repris dans les chansons Réussir sa vie et Vivre ou ne pas vivre au 2e acte), choisissant l’art avant que leurs passions humaines ne les rattrapent. L’amour qu’éprouve Victor pour Isabelle va s’opposer à son absolu de la danse, le forçant à devenir de plus en plus impitoyable, cruel et manipulateur, quitte à la malmener et à l’épuisement. Isabelle, elle, va connaître l’amour en rencontrant le personnage de Ben (qu’il soit insufflé ou non en premier lieu par les âmes damnées), la forçant à reconsidérer ses décisions artistiques car elle a encore trop peu connu les possibilités d’une vie. Pourtant, elle aussi finira dévorée, à sa manière, par ce choix de l’art premier qui lui ôtera la possibilité de vivre pleinement.

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Ben, pour sa part, est aussi un personnage plus intéressant que je ne m’y attendais. L’interprète se démarque d’abord par une voix plus atonale, presque « slam » par rapport au lyrisme des autres chanteurs : cela caractérise le personnage d’une façon très personnelle, plus terrestre, plus humaine. Il apparaît dans La malédiction des souliers rouges comme un journaliste avide de scandales pour son journal, recherchant uniquement le profit. Quand il tombe amoureux, le personnage devient alors plus humain, plus déterminé et plus lucide sur la manipulation qui pèse entre Victor et Isabelle. Cela donne lieu à un solo très romantique, Aimer pour soi, où il s’interroge jusqu’  à où aller par amour : jusqu’à perdre la raison, pour deux ou pour soi, le sentiment d’être amoureux ou aimer l’autre ? Mais une autre facette de son personnage est aussi présente durant Une danseuse en danger, où il semble le seul à comprendre la force maléfique à l’œuvre dans l’opéra, manipulant le triangle amoureux et la destinée de chacun. Il est ainsi le plus distant et aussi le plus lucide sur ce qui se passe, dans ce moment d’onirisme sombre où les danseurs se montrent plus manipulateurs que jamais.

« Faut-il aimer pour soi / Faut-il aimer pour l’autre / Et puis souffrir d’aimer à se haïr / Faut-il tomber malade comme on tombe amoureux / Faut-il aimer cent fois / Et plus que les autres »

Au milieu de ces passions qui mènent irrésistiblement les protagonistes vers la tragédie, il y a la beauté de la danse, des danses. Celle classique d’Isabelle, alliée à son chant (quelle performance double pour Céleste Hauser !) tantôt en tenue de danse traditionnelle, tantôt vêtue d’un blouson noir pour symboliser un amour rebelle, et dont les souliers rouges modifient les pas, l’entraînant dans des danses plus mécaniques et frénétiques. Celle de la troupe, entre force sinistre et accompagnement des scènes de ballet d’Isabelle, qui immerge dans une ambiance tantôt féerique, tantôt macabre, aidée en cela par des jeux d’ombres, de lumière et de brumes aussi précis que juste, par des duos ou toute une chorégraphie collective. Sans danse, les pas plus humains et réalistes de Ben, le seul qui parfois court, se précipite, conscient que tout cela mène vers une issue sombre ; c’est le seul d’ailleurs qui aura droit à un passage parlé désespéré. Plus pesante et menaçante est la démarche de Victor, presque toujours supporté par sa canne, sauf à deux instants-clés, le personnage habillé d’un costume et d’un manteau noir incarnant toujours l’autorité, parfois méprisante, parfois caressante.

Pendant près de deux heures, ce sont ainsi trois destins qui dansent et chantent sur scène, poussés ou manipulés dans l’ombre par une force sinistre, évoquée mais jamais totalement explicitée : au spectateur d’en faire sa propre interprétation, comme certains contes nous le permettent. Le libre-arbitre et les ficelles du marionnettiste se mêlent, que ce pantin soit Victor ou la troupe des danseurs. Mais il ne faut pas s’y fier totalement : même si une puissance surnaturelle est à l’œuvre, elle a aussi parfaitement choisi ses trois victimes et les a entraînées vers une chute certaine, en se servant de leurs ambitions et de leurs passions.

En ce sens, la chanson finale choisie pour les Souliers rouges est d’ailleurs aussi surprenante, que ce soit pour une comédie musicale ou même à l’heure actuelle en fiction. Ce n’est pas celle que je supposais être le final, et la mettre ainsi à l’honneur pour terminer l’aspect aussi tragique que surnaturel de la pièce est un beau parti pris. C’est un final aussi déchirant que désespérant, achevant de mettre l’un des personnages à nu et vulnérable, et faisant prendre conscience de la cruauté sinistre de la malédiction des souliers rouges. Aussi, du moment que vous aimez la danse, la comédie musicale, ou les personnages et histoires troubles, je ne peux que conseiller de prendre un billet pour ce spectacle mélangeant les genres, s’il passe près de chez vous.


6 réflexions sur “Les souliers rouges | Un conte enchanteur et macabre

  1. Je n’ai pas grand chose à dire suite à cet article sur une comédie musicale que je ne connaissais pas du tout. Tes capacités d’analyse, de référence et de précision m’impressionnent toujours et, pauvre récompense pour ton travail, je voulais simplement te dire le plaisir que j’avais eu à te lire. Merci pour la découverte.

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    1. Oh merci l’Ourse, je suis toujours très touchée par tes mots, surtout sur un sujet que tu ne connaissais pas ! Ca retranscrit le plaisir que j’ai eu à découvrir le spectacle j’espère ! Et que tu auras ainsi une jolie écoute de l’album, si jamais tu pousses jusque-là !

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  2. Comme promis, je laisse aussi mon petit commentaire, même si nous en avons déjà parlé longuement par ailleurs ! 😉 Je trouve ton article absolument magnifique et ton analyse vraiment toujours intéressante et pertinente ! Il y a tant à dire sur Ben, le journaliste avide de scandales, finalement rattrapé par ses sentiments (sans doute manipulés), sur Isabelle, sorte de victime consentante leroussienne tiraillée entre deux pôles inconciliables, et Victor, l’archétype frollien obsessionnel, conditionné, contraint par son propre absolu, et qui finit immanquablement déraillé… Pour ajouter une petite chose concernant les aspects de manipulation multiples qui sont à l’oeuvre dans cette histoire, j’ai été surprise de voir ce petit extrait où l’on voit Victor faire répéter Isabelle, portant les chaussons rouges. Les gestes sont mécaniques, déshumanisés de la part de la danseuse, et s’accordent aux gestes saccadés des mains de Victor, comme si elle n’était plus qu’un pantin désarticulé. Ce petit extrait est assez révélateurs d’un instant où les deux personnages semblent avoir touchés le fond, comme poussés à bout. Quant à Isabelle, puisque je parle de victime consentante, je me demande dans quelle mesure elle appréhende les « clauses » particulières du « contrat » faustien que Victor lui fait signer en quelque sorte. C’est parfois assez flou dans les morceaux, surtout si l’on se base uniquement sur les chansons, sans voir le spectacle. En tout cas, c’est une question que je me pose… J’ai l’impression qu’elle a à peine conscience des impacts de son choix. Et d’ailleurs, qu’en est-il de Victor ? Le fait de ne pouvoir tomber amoureux le touche-t-il lui aussi ? Bref, il y a tellement d’interprétations possibles… Comme tu le dis, le manque de dialogues de transition laisse aussi des béances dans la narration, ou peut-être de multiples voies d’exploration… ? Bref, un tout grand merci pour ton article, vraiment passionnant !

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    1. Finalement, ton commentaire était bien passé : il avait atterri dans les spams, je l’en ai sorti ! Merci pour ton commentaire et ton retour sur l’article ! Effectivement, le moment que tu évoques correspond à « Une danseuse en danger » qui est pour moi un pur cauchemar de Ben, un moment onirique où la vérité sombre des choses apparaît, entre les ombres de l’opéra et la manipulation de Victor. Cela se ressent car l’atmosphère est volontairement brumeuse, Victor et Isabelle ne réagissent pas du tout à la présence de Ben, les chants sont comme dédoublés. Mais cela correspond aussi au moment où l’emprise finale de Victor se resserre et épuise totalement la danseuse.
      Pour Isabelle, je pense qu’elle n’a qu’une vague idée des véritables clauses du contrat faustien qu’elle passe avec Victor. Mon interprétation est que c’est une jeune femme qui n’attend pas grand chose de la vie sociale, qui se consacre vraiment à l’art, par désintérêt et inexpérience envers l’amour. C’est pour moi une volonté d’art plutôt sincère, de laisser sa trace dans l’art, qui évidemment se déchire quand elle est confrontée au vrai amour. Je pense qu’elle a conscience des impacts de son choix mais les sous-estime clairement au moment où elle choisit de mettre les souliers rouges. Victor, c’est plus délicat…les clauses de son contrat à lui sont plus obscures et pour moi, cela se limite plutôt au fait de faire passer l’art et la scène avant tout, sans qu’il renonce forcément à quelque chose, tant que cela ne devient pas le centre de sa vie, contrairement à la danse. Mais il se rend compte que son amour se met aussi en travers de cela, bien sûr. En effet, le manque de dialogues de transition jouent peut-être en cela, ils auraient pu apporter davantage de précisions sur les personnages et leurs émotions, même si pour le cas l’interprétation serait peut-être moins libre. J’espère que tu auras toi aussi l’occasion de voir enfin ce spectacle !!

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  3. C’est en effet une belle analyse du spectacle, que j’ai aimé pour les mêmes raisons que toi, en dépit de quelques aspects perfectibles, mais inhérent aux musicals francophones. A mes yeux, l’interprète de Victor est largement au-dessus des autres, mais je ne suis sans doute pas objective. A revoir un jour !

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    1. Il est clair qu’il y a quelques défauts, mais cela est une belle comédie musicale francophone, notamment par rapport à d’autres projets. Je pense que l’interprète de Victor a la voix la plus expressive et puissante vocalement (probablement aussi avec le plus d’expérience) même si les deux autres apportent aussi leur propre tonalité et puissance. Qui sait ? Le spectacle est déjà en route vers d’autres tournées !!

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