Florilège de jeux indés | Quand l’imaginaire guérit la réalité

Une fois n’est pas coutume, un article pour vous présenter trois jeux reliés par une thématique commune : celle de passer par l’imaginaire pour avancer ensuite dans la réalité. Pour Figment et Neversong, ce sont deux jeux que j’ai eu l’occasion de faire il y a plusieurs mois, sur PS4, tandis que Lost Words : Beyond the Pages a été achevé récemment sur Xbox. Trois jeux qui ne sont pas forcément des perles ou des chefs d’œuvre, mais qui ont leur patte bien particulière et qui méritent quelques mots !

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Figment (Bedtime Digital Games, 2017)

On ne dispose au début de Figment que de voix hors-champ, en parallèle aux crédits d’ouverture du jeu. Une fillette avec ses parents en voiture, qui discute gaiement : puis des exclamations, un accident, des pleurs, et les supplications de la jeune fille pour que ses parents se réveillent. Et puis… le jeu bascule dans autre chose, dans un univers coloré et joyeux, aux teintes pastel, dont on jurerait qu’elles sont peintes à la main. L’aventure débute alors avec Dusty, une créature un peu acariâtre, qu’on dirait sortie de Max et les Maximonstres. Dusty est bougon, lassé qu’on ne lui propose plus d’aventures, et répond avec un peu de mauvaise humeur à Piper, l’oiseau plein de vie qui vient le taquiner. Jusqu’à ce qu’un monstre purulent, la Peste, vienne voler à Dusty son album photos, son bien le plus précieux. Le héros reprend alors son épée en bois et part à l’aventure pour récupérer les pages dispersées ici et là… dans le royaume du subconscient.

Ce qui m’avait le plus attirée dans Figment à la base, ce sont bel et bien ses graphismes, et je me suis lancée dedans sans rien savoir de l’histoire, et avec le plaisir de découvrir un jeu indépendant d’un studio norvégien. Et c’est une sacrée réussite artistique. Les couleurs pastel, verdoyantes, bleues, rouges, du jeu, sont un véritable émerveillement. On traverse les paysages sereins et apaisants des îles de la liberté (qui représentent la partie gauche du cerveau, créative) tandis que Clockwork Town, la partie droite du cerveau (rationnelle), est bien empreinte de rouages, d’horloges et de mécaniques. Les paysages ne sont ainsi jamais les mêmes et sur notre chemin, on croise des villages où chaque maison représente une émotion (la colère, la paranoïa, la tristesse…). Les énigmes sont parfois coriaces, les combats un peu hasardeux au niveau des mouvements, mais c’est surtout la richesse visuelle du jeu qu’on retient. Autant de moyens et d’idées inventives pour donner l’impression de plonger dans le subconscient de quelqu’un, d’explorer les mécanismes d’une personnalité et d’un esprit, dont on découvrira l’identité à la fin du jeu. Même les boss affrontés correspondent à des peurs, des idées noires, s’interposant sur le chemin des énigmes et combats avec des chansons entraînantes, qui contrastent avec le sous-texte du titre.

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Figment est sans aucun doute un jeu familial avant tout, même s’il faut une certaine maturité pour comprendre les idées évoquées. Il est entraînant, empli de mélodies jazzy et légères, avec une direction artistique diablement colorée et surréaliste, qui devient de plus en plus sombre au fur et à mesure du jeu. Même les boss ne sont que des ennemis dont on peut rire, en écoutant leurs chansons survoltées, mêlant incarnations de peurs et ridicule enfantin. Mais, à sa manière légère et excentrique, le jeu aborde aussi des étapes de deuil, l’importance des souvenirs – l’un des collectibles est de retrouver toutes les photos de Dusty, formant les souvenirs du personnage – la nécessité d’aller de l’avant, de redevenir optimiste. Un concept littéralement incarné par le caractère ronchon et casanier de Dusty, et le tempérament lumineux et encourageant de Piper, dont la dynamique marche très bien. Il n’est pas évident pour un jeu de plateforme de parler aussi bien de l’esprit, de ses traumas, de ses peurs, et de comment on y réagit par diverses émotions, mais Figment y parvient à merveille. Il nous mène à la progression et à la résilience du personnage principal, avec Dusty qui part du plus profond du subconscient pour adresser un message à l’esprit endormi du mystérieux véritable personnage.

Et c’est d’autant plus original de l’avoir fait en présentant le subconscient comme une carte de l’esprit, divisé entre cerveau droit et cerveau gauche, parsemé de souvenirs, de plateformes racontant elles-mêmes une histoire. Vers la fin, on devine le retour à la réalité avec des paysages formés par des blocs-notes, des tiroirs de bureaux, des crayons et post-it, incarnant le monde réel et adulte. Figment raconte aussi, d’une certaine façon, comment arriver à retrouver son âme d’enfance et à retrouver cette innocence qui permet de traverser les épreuves difficiles.

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Neversong (Atmos Games & Serenity Forge, 2019)

Initialement nommé Once upon a coma, Neversong est également un jeu de plateformes, mais 2D. Il nous plonge dans un étrange univers à mi-chemin entre celui de Little Nightmares, Coraline et Tim Burton, avec un minimalisme aussi enchanteur que carrément macabre par moments. Tout au long du jeu, l’atmosphère est étrange, entre deux-deux, passant du conte au glauque, au fil d’un récit raconté au moyen d’un livre, où les personnages parlent en rimes. Le héros, Peet, est un jeune garçon qui a vu sa meilleure amie Wren enlevée par l’énigmatique Dr. Smile. Il se lance à sa poursuite pour la retrouver, mais la ville de son enfance est complètement transformée, déserte et sinistre, parcourue d’adultes devenus monstrueux et d’enfants avec un cynisme qui confine à l’absurde, laissés libres à eux-mêmes, tel un Neverland sinistre.

A l’instar de Figment, la musique a une place essentielle dans Neversong. Non seulement elle contribue à établir une ambiance enfantine et féerique, mais elle fait partie du système de combats contre les boss, devenant une mécanique durant ces cinq importantes batailles du jeu. C’est aussi en jouant les mélodies de ces boss vaincus, au piano, que Peet acquiert de nouvelles armes et capacités. Et enfin, elle fait partie de ces éléments qui permettent de relier chaque morceau de l’histoire, s’intégrant dans la narration proprement dite. Le jeu en lui-même se compose d’un mélange d’énigmes, de petits univers à explorer, de combat et d’action, le tout avec une difficulté plutôt équilibrée.

D’un conte, Neversong n’en a que l’apparence. Les enfants qu’on y trouve sont tout aussi cruels et obstinés qu’un certain Peter Pan – quelle sonorité semblable avec le prénom de Peet, évidemment ! – tandis que les adultes deviennent les ennemis : des sortes de zombies, ou bien les boss du jeu, des créatures plus monstrueuses, désabusées et tourmentées. Une véritable opposition entre l’âge adulte et l’enfance, comme un dilemme qui se ressent plus profondément tout au long du jeu et qui prend son sens à la toute fin. Le monde des enfants, aussi innocent soit-il, est aussi ingrat que celui des adultes, puisque les conversations avec les différents personnages du jeu permettent d’évoquer le harcèlement, la peur de grandir, le handicap, la vieillesse, l’épilepsie, la dépendance…

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Par ailleurs, les twists sont nombreux au cours de Neversong. Peet part à la recherche de son amie, comme dans une classique aventure initiatique ; mais s’est-il vraiment réveillé du coma qui a suivi l’enlèvement de Wren ? A quoi riment les étranges expériences du Dr. Smile sur les adultes de la ville, et pourquoi est-il si obsédé par le temps ? Pourquoi le village d’enfance de Peet semble-t-il aussi déformé et idéalisé à la fois ? Autant d’interrogations qui amènent Neversong, à la direction artistique si jolie et si macabre à la fois, à se révéler plus profond qu’il n’en a l’air au cours des quelques heures de jeu qu’il offre. Tout est dans différents détails tout au long du jeu, formant une métaphore où la fiction fait accepter la réalité à Peet, où l’imaginaire est un refuge, une fuite vers le passé. Le titre évoque, une fois l’histoire achevée, la distance avec les êtres chers, les regrets de l’âge adulte, la peur du temps écoulé, l’obsession pour le travail, la difficulté du deuil. Il aurait seulement gagné à avoir une fin légèrement plus claire, tout en gardant la libre interprétation du joueur à portée. Neversong n’en demeure pas moins un jeu au charme particulier et aux graphismes fascinants, à la fois sombre et enchanteur, à qui il ne manquait pas grand-chose pour s’élever à la hauteur de Limbo ou Little Nightmares.

Lost-Words-Beyond-the-Pages7Lost Words : Beyond the Page (Sketchbook Games, 2020)

Beaucoup plus simple et plus linéaire, Lost Words propose de découvrir Izzy, une jeune fille dont la grand-mère vient de lui offrir un journal pour écrire des histoires. Usant d’une double narration, le jeu nous fait alterner entre le monde réel, où Izzy raconte son quotidien, et le monde imaginaire qu’elle invente, alors qu’elle crée une histoire de fantasy.

Imaginative et touchante, la jeune fille évoque bien des moments du quotidien avec ses parents et sa grand-mère. Sur plusieurs pages, le joueur doit replacer des mots pour former les phrases, remettre des termes dans le bon sens, colorer des pages pour former des images, utiliser des mots comme plateformes pour passer à la page suivante. Un véritable jeu avec l’écriture et le journal en lui-même, qui, progressivement, s’assombrit un peu au fur et à mesure que la réalité s’impose : la grand-mère d’Izzy chute, tombe malade. Dès lors, le monde de fantasy inventé par la jeune fille perd de sa féerie.

Car au début, l’histoire écrite sous la plume d’Izzy a tout d’un conte classique, avec une héroïne dont nous choisissons le prénom et qui devient la Gardienne des Lucioles de son village. Mais celles-ci s’échappent quand un terrible dragon apparaît, et l’héroïne part les retrouver. Sur la route, elle traverse des déserts, des montagnes et des galeries, rencontre un djinn, un démon du feu, des personnages énigmatiques ou alliés. Divers choix de réponse sont possibles, permettant d’exprimer plusieurs réactions face aux événements de l’histoire, selon la personnalité qu’on choisit de donner à l’héroïne, ou selon si l’on exprime plutôt ce que l’on ressent en jouant – bien que cela n’ait pas d’influence sur la suite.

Les mots sont encore une fois d’une grande aide à l’héroïne de papier, puisqu’elle peut en utiliser certains pour créer une route : « relever » des piliers de pierres, « réparer » un pont, « ignorer » pour faire disparaître une porte, « casser » un rocher bloquant la route, etc. Un gameplay simple et efficace, mettant à l’honneur le pouvoir des mots, de l’écriture qui sert à Izzy à s’échapper de la réalité, et inconsciemment, à y insuffler ses peurs et ses angoisses. L’aventure se fait plus désespérée, l’héroïne plus coupable, au fur et à mesure que la grand-mère d’Izzy dépérit. Un véritable parallèle entre réalité et fiction, qui nous dresse aussi le portrait mental d’Izzy, son chemin de l’acceptation et son refus de voir un être aimé et proche disparaître – à l’instar, finalement, des deux jeux précédents qui traitent aussi de la thématique du deuil.

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Si là encore, dans Lost Words, on aborde un sujet difficile, c’est fait avec une douceur touchante et efficace, peut-être trop simple par moments, mais qui a le mérite de pouvoir parler pleinement aux plus jeunes, dans un jeu qui ne posera aucune difficulté de gameplay. Il n’y a qu’un ou deux bugs qui traînent ici et là, à la rigueur, mais rien qui n’entache véritablement l’expérience du jeu. Lost Words: Beyond the Page est une jolie expérience, qui doit sa beauté à son histoire, sa simplicité, sa direction artistique dépaysante et son doublage de qualité. Et encore une fois, il démontre comment l’imaginaire peut aider à devenir plus fort, pour ensuite revenir à la réalité.


15 réflexions sur “Florilège de jeux indés | Quand l’imaginaire guérit la réalité

    1. Oh analyse ternaire, plutôt présentation ternaire ! Je te laisse les articles analytiques ❤ je crois que c’était des jeux qui m’intriguaient avant tout pour le côté artistique et j’ai eu plaisir à les faire pour cela et le reste qu’ils avaient à offrir, même si ce ne sont pas des gros coups de cœur ! Au moins aucun n’était décevant.

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  1. Je ne connais que Figment que j’avais adoré, totalement séduite par les musiques, les voix, les atmosphères, les territoires du cerveau et leur représentation ainsi que la manière de traiter les sujets abordés.
    Les deux autres ont l’air d’avoir bien des atouts pour me plaire ! Je les rajoute à ma wish-list. Merci pour les découvertes !

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    1. N’était-ce pas toi qui m’en avais parlé d’ailleurs ? mais oui, j’adore ses couleurs, la façon dont l’esprit est représenté… je suis curieuse du 2e opus suite qu’ils ont fait d’ailleurs !
      Avec grand plaisir !

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  2. Jolie sélection !! 🙂 J’ai beaucoup aimé Figment aussi, je pense que c’est mon préféré des trois 🙂 Neversong a effectivement une ambiance très particulière, je crois que je me suis un peu lassée sur la fin mais il reste en mémoire ! Et j’étais un poil déçue de Lost Words (que j’attendais depuis longtemps, je me suis peut-être un peu emballée) mais certaines scènes qui jouent sur les processus d’écriture fonctionnent vraiment bien 😀

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    1. Je crois que Figment serait peut-être mon favori aussi, suivi de près par Neversong qui était intéressant aussi. Mais effectivement il est un peu répétitif et j’aurais aimé une fin un peu plus claire.
      Lost Words est sans doute le plus faible des trois finalement, même si je pense que c’est aussi pour pouvoir s’adresser à un jeune public. Il est peut-être trop simple pour les adultes que nous sommes, on espérait plus d’ambition…

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  3. Je suis entrée dans une belle période jeux vidéos alors ca me fait trop plaisir de te lire sur des jeux indés ♥

    Alors d’entrée de jeu tu me donnes très envie de découvrir Figments. J’adore ce genre de jeux qui parlent de guérison, et surtout d’émotions et d’épreuves de la vie réelle. L’idée du découpage selon les deux zones du cerveau je trouve ca hyper malin. J’ai hate de découvrir cet univers par moi meme…. Meme s’il va me falloir des mouchoirs je pense : »)

    Et ca démarre fort avec Neverendings… Sans déconner  » à mi-chemin entre celui de Little Nightmares, Coraline et Tim Burton », la vache déjà le jeu marque des points sans que j’ai lu la suite!
    Je suis moins fan des graphismes trop « simplistes » je trouve! Mais je me le note quand meme parce que l’ambiance a l’air ouf. Cet automne j’ai joué à Little Nightmare pour Halloween et je pense que celui la sera mon jeu pour Halloween 2022 😛

    Et mon dieu, Lost words a l’air bouleversant! Je suis pas sure d’etre prete pour celui ci.

    Tu nous a présentés que des beaux jeux mais des jeux où t’as intéret d’avoir le coeur bien accroché en meme temps :’)

    J’espère lire d’autres de tes article sur des jeux indés, tu me fais toujours découvrir des jeux, c’est un régal de faire grossir ma Wishlist jeux vidéos 😀

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    1. Figment est sans doute le meilleur des trois, je suis ravie que cet article te plaise ! Surtout si ça te donne des idées.Oh, des mouchoirs,je ne pense pas, le jeu est quand même très optimiste ! Et tellement charmant avec ses graphismes.
      Le minimalisme, on accroche ou pas selon nos goûts, à toi de voir ! Mais le jeu me faisait beaucoup penser à ces trois univers, ce qui est bien et mauvais à la fois (du coup,pas d’univers assez propre pour qu’on évite de le rattacher à d’autres oeuvres ?) Oh j’espère que tu as aimé Little Nightmares, j’ai adoré les deux opus pour ma part !
      Lost Words, je pense que si on a perdu soi-même un grand-parent de qui on était proche, de cette manière (ce n’était pas mon cas) je pense que le jeu peut être très bouleversant. C’est peut-être le moins ambitieux des trois, mais la simplicité a du charme aussi. Après, des trois jeux, c’est Neversong qui a la fin la plus triste, les deux autres sont beaucoup plus optimistes !
      Et oui je vais essayer de faire davantage d’articles sur des jeux à l’avenir ! Merci pour ton commentaire si enthousiaste !

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    1. Franchement Figment, niveau artistique, il est le plus créatif des trois, entre le côté surréaliste, la façon dont cela s’insère dans l’histoire, dont cela joue sur les puzzles… il est vraiment très chouette ! Héhé, Coline est au moins à la naissance de la découverte soit de Neversong, soit de Lost Words ! Je suis sûre qu’elle les avait mentionnés dans ses articles!

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