Le trou de l’enfer – Alexandre Dumas

Le Trou de l'Enfer - Alexandre Dumas

« Ah! elle me hait peut-être ? Prends garde. Si elle me haïssait, vois-tu, je l’aimerais. La haine, c’est une difficulté, c’est à dire une provocation ; c’est un obstacle, j’aime cela. Elle m’aimerait, je n’y ferais pas attention; mais si elle me hait, prends garde. »

Cette citation, entre autres du roman-pavé de Dumas (900 pages) révèle le personnage central de l’oeuvre. Nous avions eu Monte-Cristo, le Dieu humain du Bien : apparaît désormais son double du Mal, Samuel Gelb. Dumas a l’air de signer des oeuvres mémorables qui donnent envie de ne jamais stopper la lecture. Du moins l’avait-il fait pour Le Comte de Monte-Cristo.

Synopsis : Exploration des souterrains de l’âme humaine, sorte de descente aux enfers progressive très fortement inspirée par le roman « gothique », Le Trou de l’enfer débute entre 1810 et 1851 à Heidelberg. Dans des décors mystérieux et sinistres – châteaux en ruines, forêts impénétrables, portes dérobées… – Dumas met en scène le monstrueux frère de sang d’Edmond Dantès, une sorte de Monte-Cristo du Mal normé Samuel Gelb.
Ce héros qui suscite à la fois fascination et répulsion, animé par une incommensurable volonté de puissance, nietzschéen avant la lettre, qui veut mener à la ruine tous ceux qui l’entourent – Julius, son demi-frère, Christiane, la femme de Julius, et la chevrière Gretchen – ne s’attaque pas seulement aux hommes, mais à Dieu, bien entendu… Cependant, des années plus tard, dans les turbulences politiques du Paris de la Révolution de 1848, en dépit des tonalités sombres que Dumas imprime à ses personnages, Samuel Gelb ne pourra que reconnaître sa défaite, car…
Dieu dispose.

Le Trou de l’Enfer aura été mon pavé des vacances, il faut dire que sa lecture m’attend depuis bien des mois…J’y ai été plongée, d’abord avec une certaine impatience, puis avec de plus en plus d’effroi au fil des pages. Il faut dire que la figure certes sombre, mais héroïque, de Edmond Dantès, menait vite à achever Le Comte de Monte-Cristo. Le Trou de l’Enfer, c’est l’effet inverse. Le personnage principal, Samuel Gelb, notre Dantès du Mal, intrigue tout autant qu’il repousse. J’ai personnellement dû faire une pause de quelques journées après l’horrifique chapitre « Il ne faut pas jouer avec le crime » qui était à mes yeux l’apogée du mal que pouvait faire ce personnage, alors que ça ne faisait que commencer.

Gelb est un bâtard, sans nom ni richesse, qui se démarque pourtant de la masse par son savoir, son intelligence, sa redoutable intelligence. Maître de tant de domaines de savoir à un si jeune âge, sa volonté ne semble être faite que dans un but de puissance, comme pour se venger du monde qui l’a toujours rejeté dans la classe la plus basse. Sa capacité à faire le mal agit tout d’abord sur son propre frère, Julius, personnage élevé au début, décandent, puis à nouveau glorifié de façon superbe vers la fin de l’oeuvre, en le manipulant et l’influençant, tel le duo Méphistophélès-Faust. Mais on ne peut s’arrêter ainsi dans le chemin du crime…Samuel sera aussi celui qui mènera à leur perte la femme de Julius, et la « soeur » de celle-ci, la petite Gretchen. Dans des circonstances véritablement effroyables, témoignant du peu d’âme de ce personnage.

Pourtant, il semble que pendant un temps, il lui fût possible de se racheter. On le croit, avant que ses nouveaux plans diaboliques apparaissent, des années plus tard : le retour de Julius dans sa vie, entre autres personnages marquants, montre à quel point le protagoniste n’a rien perdu de son absence d’âme. Non, Samuel Gelb n’a rien à sauver, et pourtant, on peut dire qu’il s’est racheté en Frédérique, dans un sens….Jusqu’au final, on reste à la fois fasciné, effrayé, par les actes si monstrueux de ce personnage.

Bref, Dumas livre ici un roman dont il a le secret, détonnant par rapport à la brillance du Comte de Monte-Cristo, tout en campant avec crédibilité ses personnages secondes et principaux, évitant les clichés, multipliant les rebondissements qu’on a deviné puis repoussés sous les arguments soulevés par la narration. C’est un mélange du roman d’aventures, noir et gothique, avec cette touche de romantisme qui caractérise le XIXe siècle, sans oublier le côté historique. Cette noirceur, guère coutumière de ses oeuvres, fait plonger dans les méandes de l’âme humaine, car celle de Samuel n’est pas la seule à avoir ses défauts. Plus on avance, plus on se demande comment pire peut encore arriver, et cela arrive. Jusqu’à la fin. Fin ô combien terrible, par ailleurs. Si on déteste Samuel, et que cela explique la difficulté à progresser dans l’oeuvre, la répulsion du personnage ne peut faire oublier les qualités et le charisme qui le caractérisent. Je ne compte plus les passages mémorables de ses répliques ou de ses pensées. Il y a bien des fois, après tout, où on le croit presque sincère, sous son aspect terriblement monstrueux et égoïste…

« Non, non, l’homme ne doit pas trébucher. Sois ce que tu voudras, être anonyme de là-haut, pourvu que mon moi me reste fidèle. Sois ce que tu voudras, pourvu que partout j’emporte mon moi. Les choses extérieures ne sont que le badigeonnage de l’homme. Je suis moi-même mon ciel et mon enfer. »


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