Mademoiselle, à la folie ! – Pascale Lécosse, 2017
Le topo : Le court récit de Catherine, fantasque actrice à succès victime de la maladie d’Alzheimer, et de sa meilleure amie et assistante, Mina.
Le résultat : Il s’agit d’une de ces lectures qu’on tente par envie de découverte, même si on n’a pas grand-chose en commun avec le sujet traité. Mademoiselle, à la folie ! relate en moins de 150 pages, par le point de vue de Catherine et Mina, la progression d’une maladie terrible pour cette actrice de théâtre et de film. Et pourtant, même si Alzheimer reste un sujet difficile et bien en peine à aborder, ce roman en traite avec finesse et légèreté, grâce à ses personnages, sans pour autant nier le côté destructeur de la maladie. On ne se rend d’ailleurs pas tout de suite compte que c’est de cela dont il est question, tant les deux héroïnes sont d’abord dans la surprise, le déni, puis la volonté de faire avec. Certes, il y a des passages plus tristes et plus douloureux que d’autres, mais ce qui en ressort, c’est la volonté de ces deux amies de continuer à vivre, et à faire avec, quelque en soit le sacrifice et la fin.
La fin de la solitude (Vom Ende der Einsamkeit) – Benedict Wells, VO 2016 / VF 2017
Le topo : Jules Moreau perd ses parents dans un accident de voiture. Il est envoyé en internat, avec sa sœur Liz et son aîné, Marty. La jeunesse passe, le deuil aussi, les amitiés et les amours, notamment avec Alva dont Jules est amoureux, personnage énigmatique, qui disparaît du jour au lendemain. Liz passe son temps à fuir les normes de la société, voyageant sans jamais se poser, tandis que Marty s’engage dans les start-up. Jules écrit, mais travaille dans une maison de disques. Des années 80 à 2014, on voit les destins de cette fratrie sans cesse éclatée, aux tempéraments distincts ,et qui pourtant, se retrouve avec toujours autant d’émotions et d’espoirs, au gré des âges de la vie.
Le résultat : Premier roman de l’auteur à être traduit en français (mais 4e roman publié, en réalité), La fin de la solitude a une saveur bien particulière qui appartient aux sagas familiales, celles où l’ont voit défiler toute la vie d’une famille, voire plusieurs générations. Et c’est bien là tout son charme. La fin de la solitude n’est pas un grand roman, pour moi, mais il a tout d’un bon roman, par ses personnages aux caractères bien différents, à la façon dont les années et leurs états d’âme défilent, leurs questions sur l’existence, sur leurs parents, sur l’amitié, l’amour, les rêves et le travail. On trouve quelques perles au gré des pages, on s’interroge devant les désirs et contradictions des personnages principaux, devant leurs modèles de vie, et on voit arriver une fin apaisante, auquel le titre du livre ne fait pas défaut. Souvent romantique et en tout cas universel dans ses réflexions, le roman n’hésite pas à plonger le lecteur dans le ressenti de Jules, du deuil au sentiment amoureux, de la jalousie à l’envie d’écrire, au désir de vivre pleinement sa vie, et comment la vivre, avec qui… Une des belles surprises de la rentrée littéraire fin 2017.
Carol (The price of salt, retitré Carol en anglais par la suite) – Patricia Highsmith (sous le pseudo de Claire Morgan), VO 1952 / VF 1985 (1er titre français : Les eaux dérobées)
Le topo : Therese rencontre Carol dans un magasin de jouets. Pour la jeune femme, c’est une attirance immédiate, un coup de foudre sur lequel elle ne parvient pas à mettre de mots. C’est d’abord une amitié qui débute, puis les prémices et le déroulement d’un amour. Toutefois, Carol se bat également pour récupérer la garde de sa fille, alors qu’elle est en plein divorce avec son mari.
Le résultat : Suite au visionnage du film Carol, j’avais voulu lire le roman à l’origine de l’adaptation. La lecture en a été un peu étrange par moments, mais vaut le détour autant que le film. Et ce d’autant plus que pour un livre publié dans les années 50, voir un tel thème traité avec autant de finesse, de poésie, de subtilité, et avec une fin heureuse, était inédit. D’où l’incroyable désordre du titre, par ailleurs : Patricia Highsmith a dû publier son roman en partie censuré, sous le pseudonyme de Claire Morgan, sous un titre ambigu, Le prix du sel. Même en français, la première traduction se fait sous le titre Les eaux dérobées et avec encore ce pseudo, avant que la vérité ne s’impose pour les éditions suivantes. Carol est un roman poétique, sensible, pudique : sa narratrice Therese nous fait partager son admiration et sa fascination pour la mystérieuse Carol, qui est d’ailleurs parfois à la limite du supportable, et pourtant attachante et intrigante. Ce n’est pas qu’une histoire d’amour entre deux femmes qui est montrée, aspect par aspect, émerveillement, doutes, fascination, passion, jalousie, mais aussi la critique envers un monde incapable de comprendre cette relation. C’est aussi la différence d’âge entre une jeune fille timide qui devient romantique, passionnée, et Carol, bien plus âgée et expérimentée, plus lucide au point parfois de la cruauté. Pourtant, malgré ces différences de caractère, c’est un amour fort qui les unit, toutes les deux, amour qui se renforce tout au long d’un road-trip également prenant. Carol n’est parfois pas facile car le roman ne peut se lire d’une traite : il a une écriture très émotionnelle, subtile, mais dont l’esprit a parfois besoin de se reposer avant de continuer. Mais c’est un roman dont les mots et l’atmosphère restent en tête, et j’aurais d’ailleurs envie de le relire pour mieux le savourer, simplement en écrivant cette critique… A noter que l’auteur a écrit ce roman après avoir fait une rencontre similaire avec une jeune femme blonde, dans un magasin où elle travaillait.
Le fils (Son) – Lois Lowry, VO 2012 / VF 2014
Le topo : Le quatrième volet de la saga écrite par Lois Lowry présente Claire, une jeune fille élevée dans un monde aux castes organisées, où le métier est choisi d’avance pour les gens, tout comme le mariage, les enfants, où aucune couleur n’existe, où des pilules empêchent de ressentir les sentiments et brident certaines mécanismes du corps. Mère porteuse, Claire donne naissance à son seul enfant, un petit garçon ; après quoi, elle est déclarée inapte à donner d’autres enfants à la société. Mais elle cherche à retrouver son fils, et finira par fuir sa ville, étouffant sous ce monde dont elle découvre l’aspect contrôlé…
Le résultat : Je prenais, à tort, Le fils comme le dernier tome de la trilogie du Passeur écrite par Lois Lowry, que j’ai lue et relue dans mon enfance. N’ayant jamais lu ce dernier tome, j’en ai profité, et découvert qu’en fait il s’agit d’un quatrième tome, et je n’ai donc pas lu le troisième (Messager). Qu’importe, car on peut lire séparément chaque tome, si besoin, mais on manquera alors les retrouvailles avec Jonas, le héros du Passeur (tome 1), Kira, l’héroïne du tome 2 (L’Elue) et Gabriel, qui est en vérité le fils de Claire mais aussi le bébé avec qui Jonas s’enfuit dans le tome 1. Cette saga dystopique, écrite bien avant tous les bestsellers d’aujourd’hui type Hunger Games et Divergente, je l’ai retrouvée avec plaisir et un peu de nostalgie. Il s’agit bien entendu d’un roman pour ados, mais cela n’empêche pas certains aspects du roman d’être glaçants. Claire n’a que 14 ans quand elle donne naissance à son fils, par exemple ; on trouve aussi un antagoniste symbolique plutôt marquant, Commissaire troqueur, un mauvais génie inhumain et manipulateur, qui échange les vœux des gens en échange de sacrifices savamment pensés. Le tout forme un roman plutôt attachant, sans morale bien-pensante, bien qu’on oppose une société aux règles définies, sans couleurs, sans sentiments, à un village vivant en autarcie, avec des moyens technologiques moins avancés. Il met en avant bien des thèmes, entre le sacrifice, le sens du bien et du mal, les utopies, l’amour maternel, et c’est non seulement ses thèmes, mais aussi son écriture, finalement lente, simple, sans précipitation, qui le rend toujours aussi universel et puissant.
Ar-Men, l’enfer des enfers – Emmanuel Lepage, 2017
Le topo : Germain est un des gardiens du phare Ar-Men. Surnommé l’Enfer des Enfers, ce phare est le plus difficile d’accès au monde, le plus exposé aux intempéries et à la violence de la mer. Lors d’une tempête, l’eau s’engouffre et abîme le mur crépi du phare. Il y découvre alors le récit de Moïzez, l’un des constructeurs du phare… récit qu’il raconte à sa petite fille, venue avec lui sur ce phare.
Le résultat : Il s’agit là d’une BD tout simplement magnifique. La couverture attire l’œil, et reflète exactement le type d’illustrations qu’on trouvera dans l’ouvrage : des couleurs sombres, ocres, bleues, vertes, marron, grises…Chaque image pourrait être un tableau. Tout un ciel, toute une mer, au gré des humeurs des éléments, dans le calme et dans la tempête. L’histoire en elle-même est tout aussi intéressante, avec le quotidien du héros, Germain, en tant que gardien de phare : on le voit dans son travail, dans ses relations avec les autres gardiens de phare, avec sa fille, face à la mer, dans ce métier qui implique solitude et minutie. Mais on a aussi l’histoire de Moïzez, ouvrant à la construction du phare après avoir été rejeté par la mer, et par les habitants du village où il atterri. Construction qui dura plus de trente ans… On découvre également la légende d’Ys, chère au folklore breton. Ces trois axes permettent de comprendre comment la mer peut être ainsi source de légendes, de superstitions, de dangers et aussi de recueillement. Une belle découverte.
Kafka sur le rivage – Haruki Murakami, VO 2002 / VF 2006
Le topo : Deux destins parallèles se suivent dans un Japon réaliste traversé d’étrange et de fantastique. Kafka Tamura a 15 ans et fuit le domicile familial pour échapper à une malédiction œdipienne : il tuera son père, couchera avec sa mère et sa sœur. Il trouve refuge dans une bibliothèque et dans un refuge, dans la forêt. Nakata, un simple d’esprit d’une soixantaine d’années, sait parler aux chats depuis un coma survenu dans son enfance. Il se met en quête d’une pierre d’entrée d’un sanctuaire, sans savoir réellement pourquoi… Mais ces deux existences se frôlent de plus en plus.
Le résultat : Construit en forme de labyrinthe onirique, sous forme de récit tantôt réaliste, tantôt absurde et fantastique, Kafka sur le rivage est un OVNI que j’avais lu plusieurs fois, adolescente. Le relire adulte m’a permis de redécouvrir son univers, ses personnages, ses thèmes, avec un regard plus adulte, même si en revanche, plus je le relis, plus ses mystères disparaissent. Mais bon, j’ai dû le lire une demi-douzaine de fois, il y a de la marge ! Ce résumé ne fait pas honneur à ce roman, qui est mystérieux, rêveur, poétique, lucide, en forme de récit d’apprentissage, mêlant réalité et rêve, passé et présent, symbolisme et surréalisme. Il y a tant de choses dans Kafka sur le rivage : de la quête d’identité, un refus du destin, des aventures rocambolesques, des personnages fouillés et troubles, une diversité des genres, des amours troubles, une interprétation laissée au lecteur, un hommage à la musique et à des auteurs, la relecture d’anciens mythes, une sensation d’imprécision qui fait la saveur du texte… C’est un chef d’œuvre, à juste titre, tant il est puissant, évocateur, et tant j’en ai gardé des visions intactes, bien longtemps après mes premières lectures. Bref, c’est un de ces livres qui se lit plus qu’il ne se raconte.
Leurs contes de Perrault, collectif – 2011
Le topo : Une relecture moderne de certains contes de Perrault par des auteurs français contemporains (Leila Slimani, Frédéric Aribit, Nathalie Azoulai, Alexis Brocat, etc.)
Le résultat : C’est le livre que j’ai terminé en dernier et je ne sais déjà plus de quoi parle la moitié des nouvelles de cet ouvrage ! C’est dire que la qualité des « remakes » de ces contes est inégale, et dépendra également du lecteur, plus sensible à un texte, qu’à un autre. Même s’il est très intéressant de voir la relecture de ces contes, elles en sont parfois tirées par les cheveux, ou vulgaires (surtout celle qui ouvre le recueil, malheureusement). Les deux nouvelles m’ayant le plus marquée sont celles de Cendrillon et de Barbe-Bleue : Cendrillon propose un renversement des genres assez intéressant, Cendrillon se travestissant en garçon (et préférant l’être) pour ne pas s’attirer les foudres de sa belle-famille. Barbe-Bleue, c’est la reprise du conte dans un internat, avec un garçon plus mystérieux que les autres, qui semble imposer respect et crainte à tous les autres élèves, et garde un endroit soigneusement caché. J’en ai apprécié quelques autres, comme le côté revisité du génie avec les trois souhaits, et pas accroché du tout à d’autres. Bref, principe intéressant, mais sur le papier, ça marche beaucoup moins bien.
Et côté jeunesse, les albums lus durant le mois :