Watching Challenge | Les films de mars 2018

Pour ce mois-ci du Watching Challenge (le principe en est visible ici) que je fais avec F. de l’O., je vous invite à explorer des horizons plutôt éloignés les uns des autres. Au programme, du romantisme noir, de la science-fiction psychologique, du drame britannique parfait, et enfin, du jeu vidéo d’aventure revu par le cinéma. A votre découverte !

 Stoker, Park Chan-Wook – 2012 | Un film dérangeant

Quand son père décède, India voit d’un mauvais œil l’arrivée d’un oncle dont elle ignorait l’existence, à la maison. Mais entre cet homme et les deux femmes présentes – India et sa mère – s’installe une étrange relation faite de méfiance et d’attirance.

A vrai dire, Stoker aurait pu entrer dans d’autres critères pour le Watching Challenge. Mais plusieurs jours après son visionnage, il en ressortait encore un côté assez dérangeant et malsain, bien qu’il existe sûrement pire. Encore maintenant, je ne dirais pas non à un re-visionnage, juste pour mieux comprendre le film et en saisir l’étrangeté. Dans ce huis-clos à trois, dans la lumière d’une demeure et d’un jardin qui pourraient tout avoir du gothique, ce sont les trois personnages principaux qui s’opposent, s’affrontent et s’attirent, mêlant parfois de l’onirisme et un lien mystique entre India et son oncle. Évidemment, la mère se retrouve vite attirée par cette version plus jeune de son mari. Évidemment, l’homme ne s’y montre pas indifférent, mais il ne l’est pas non plus envers sa nièce. Et on est vite un peu déstabilisé par la tournure que prennent les choses dans ce film : le côté inceste qui plane, l’aspect vampirique du personnage de Matthew Goode, tout en sourires et impassibilités inquiétantes, et le visage étrangement froid et fermé d’India, pas moins morbide que les deux autres âmes hantant cette maison. Chacun à leur manière, il y a là trois anti-héros, entre la mère glaçante et névrosée jouée par Nicole Kidman (certes pas son meilleur jeu), la jeune fille dont l’innocence disparaît dans ce film et qui a tout de la Mercredi Addams, et Charlie, cet oncle mystérieux aux allures de sociopathe. Tout ça au milieu d’une tension pesante, d’une mise en scène bien pensée, qui laisse l’ambiguïté entre la réalité pure et un certain fantastique, et qui va des thèmes de la rivalité mère-fille, à l’amour incestueux, à l’éveil de l’âge adulte et au goût du sang. Sans oublier une certaine scène au piano qui doit sa beauté en grande partie aux notes de Philip Glass. Stoker n’est pas parfait, il aurait pu l’être, mais il dérange et donne à penser bien après le visionnage.

Annihilation, Alex Garland – 2018 | Un film mettant en scène un face à face

Une équipe de jeunes femmes scientifiques sont envoyées dans la mystérieuse Zone X pour y découvrir ses mystères, dans cette contrée où la nature a repris ses droits, et d’où personne ou presque, n’est sorti vivant.

J’ai fait une critique plus approfondie du film durant le mois, mais Annihilation peut se targuer d’avoir plusieurs scènes de face à face, à différents niveaux. Il y a d’abord la façon dont s’ouvre le film, avec l’héroïne Lena, interrogée sur son séjour dans la Zone du miroitement ; ses scènes plus intimistes avec son mari, qui ont leur importance dans l’intrigue et le déroulement des thèmes du film. Mais les face à face les plus marquants auxquels Lena participe, sont ceux avec les créatures qui habitent la Zone X. D’abord avec cet ours monstrueux dans lequel elle est bien obligée de voir malgré tout une once d’humanité, et ensuite avec la créature finale, à la fin : face à face avec l’ennemi, la chose qui a motivé l’expédition de la troupe dans le film. Mais aussi un face à face avec elle-même et ce qu’elle est devenue, la manière dont elle se ressent, au final. Et je ne peux guère plus expliciter sans spoiler davantage le film, mais cet affrontement-là est le plus marquant, à mon sens, bien qu’il peut aussi sembler farfelu à d’autres spectateurs.

The Hours, Stephen Daldry – 2002 | Un film qui a marqué votre enfance ou votre adolescence

The Hours raconte, en prenant place le temps d’une journée, l’existence de trois femmes différentes : Virginia Woolf alors qu’elle écrit Mrs. Dalloway, Laura Brown, enceinte de son deuxième enfant, lors de l’anniversaire de son mari, lisant le roman de Woolf, et enfin Clarissa Vaughan, préparant une réception pour la remise du prix de la poésie d’un de ses amis.

Je ne sais plus à quel âge j’ai vu The Hours ; j’étais au collège, ça, c’est certain. Mais ce film fait partie de ceux que j’ai le plus vus et revus au cours des années, au point de connaître des dialogues, des plans, des regards, par cœur, et de pouvoir identifier quel morceau de musique correspond à quel moment du film quand j’écoute la BO. Parce qu’il parle d’écriture, de lecture, de vie réelle et imaginaire, du temps qui passe, des souvenirs, des apparences, de trois vies de femmes dans leurs éclats et dans leur désespoir, parce que c’est un ode à la vie malgré son côté mélancolique et pesant, The Hours est mon premier film favori. A chaque période de ma vie où j’ai pu le regarder, j’y ai découvert un nouvel aspect, un nouveau thème plus marquant cette fois-ci que les autres, ou me suis attachée-identifiée à un personnage différent de la fois précédent. A chaque fois, je m’y retrouve, d’une façon ou d’une autre, mais nouvelle, et c’est ce qui fait la richesse de ce film et l’affection que je lui porte.

Avec ce re-visionnage, je me suis étonnement sentie un peu plus proche du personnage joué par Ed Harris, Richard, dans sa tentative idéale d’écrire d’une façon qui puisse évoquer toute la force d’un instant : les odeurs, la texture d’un vêtement, la lumière du jour, les sentiments, l’histoire de ces sentiments. Vouloir tout embrasser en quelques lignes, évoquant le passé et sa force dans le présent. La lucidité dont il fait preuve face à Clarissa. Plus proche, dans ce que la fille de Clarissa dit à sa mère, quand celle-ci lui raconte un matin lumineux de son adolescence, empreint de toutes les possibilités : ce que tu me dis, c’est que t’as été jeune, non sans ironie. Plus proche de ce regard attentif et fixe, mais qui évite de juger, de Clarissa face à la mère de Richard. Et enfin, la scène sur le quai de gare, entre Virginia et son mari Leonard, est toujours aussi frappante et empreinte de vérité, de force. You cannot find peace by avoiding life, Leonard. C’est peut-être bien la meilleure scène de tout le film.

Tomb Raider, Roar Uthaug – 2018 | Un film inspiré d’un jeu vidéo

Lara Croft a tout juste vingt-et-un ans, et se refuse à reconnaître la mort officielle de son père, disparu depuis sept ans. Vivant de petits boulots et d’ambitions limitées, elle découvre une vidéo de son père parlant de sa dernière mission. Elle part alors à la recherche de Richard Croft, sur l’île où il a disparu.

Je n’ai plus beaucoup de souvenirs des premiers films Tomb Raider, et j’ai eu un avis assez mitigé sur le reboot de la série, dont s’inspire le film. Comme 98 % des adaptations de jeux vidéos, Tomb Raider n’est pas à la hauteur ; comme la moitié de ces adaptations, il parvient à être un film divertissant mais oubliable. La première partie, à Londres, où on observe le quotidien de Lara, est sans doute la plus agréable et la moins bancale. Mais dès qu’on part à l’aventure… il faut le reconnaître, cela donne des péripéties sympathiques, quoique pas foncièrement originales (ça lorgne du côté d’Indiana Jones 3 par moments), et certaines scènes visuelles assez belles. Mais le tout manque d’âme, en dépit du bon jeu d’Alicia Vikander, que je n’imaginais pas vraiment en Lara Croft. Mais l’actrice se bat, morfle, joue bien l’émotion ou la souffrance, voire certaines piques d’ironie. Sa Lara est sans doute plus humaine et vulnérable qu’Angelina Jolie, mais difficile de s’y identifier pour autant, et difficile surtout de la reconnaître comme l’héroïne dont elle porte le nom. Certes, elle est jeune, mais elle manque de classe, de ce côté archéologue, et même simplement de cet esprit britannique de l’héroïne originale. Le côté archéologie est au second plan, le côté psychologique n’est guère appesanti, les blagues tombent quasiment tout le temps à plat, il y a des passages qui m’ont fait soupirer par leur mise en scène et leurs dialogues, et le grand ennemi de Lara a le charisme d’un… gars qui garde tout le temps la bouche entrouverte pour gober une mouche pour observer les événements. N’est pas fanatique sociopathe qui veut, aussi facilement. (Ça m’a vraiment perturbée, n’empêche.) Pour la quête du père de Lara, c’est du déjà-vu, et ça n’apporte aucune émotion. Quant au côté adaptation d’un jeu vidéo, on repassera, car j’ai l’impression qu’il s’agit d’un mixte des deux reboots de la série (merci pour le spoiler, au passage) mais qu’on oublie totalement le côté survival-apprentissage du premier jeu, en y mêlant des entreprises dominant le monde, des esclaves sur une île, un but scientifique, et des complots mondiaux. La fin en est gâchée, à mon sens, et on perd complètement le côté aventureux qui fait l’esprit de Tomb Raider. On attendra encore, pour une adaptation appréciable de jeux vidéos, si tant est qu’il y en ait une un jour.


8 réflexions sur “Watching Challenge | Les films de mars 2018

  1. Eh bien, on a été synchro. Quoiqu’il en soit, Stocker m’intrigue ; je le verrai probablement. Quant à Annihilation, tu connais mon avis dessus. Même si le début m’a intrigué, et que je trouve certaines créatures/scènes très belles, je me suis vraiment ennuyé… Les personnages, comme l’intrigue, n’ont aucun sens pour moi. (Non pas que je n’ai pas compris). Sinon, The Hours est effectivement un très bon film, c’est sûr. Pour une fois, j’en ai au moins vu deux. Pour finir Tomb Raider… Disons que tu le casses moins que les autres critiques, mais je suis de toute façon lassé (voire dégoûté) des films « divertissants et oubliables ».

    Aimé par 1 personne

    1. En effet, xd ! Stoker est aussi un peu contemplatif et lent, toutefois, bien que pas autant qu’Annihilation. Mais je comprends que ce dernier rebute, de toute façon. Je descends moins Tomb Raider, peut-être parce que je m’attendais tellement à une bouse, qu’au final je l’ai trouvé agréable ; mais il est clairement oubliable. Et oui, c’est lassant, car on aimerait retrouver de ces films qui marquent et qui deviennent des favoris, et qui manquent tant au cinéma actuel.

      J’aime

  2. Ah oui, dans le registre « film qui dérange », Stoker peut effectivement être en bonne place. C’est un film vraiment gothique, avec tous les codes du genre, comme tu le dis bien dans ton article. Personnellement, j’avais à la fois été glacée et fascinée par ce film, qui a tendance à vous poursuivre une fois visionné. On est tour à tour intrigué et dérangé par son atmosphère si oppressante, et par les regards de fou dangereux de Matthew Goode. Mia Wasikowsa est très convaincante, et l’analogie avec Mercredi Adams est tout à fait juste, je n’avais pas fait le rapprochement sur le coup, mais tu as tout à fait raison 🙂 Et je suis aussi d’accord sur le fait que Nicole Kidman est un peu transparente dans ce film, en même temps, les deux autres personnages sont tellement excessifs et tellement horribles qu’elle a un peu tendance à passer au second plan. Tu me donnes aussi très envie de revoir The Hours 🙂

    J’aime

    1. Je te rejoins tout à fait dans ce que j’ai ressenti suite au visionnage de Stoker ! J’ai adoré le jeu de Matthew Good, crispant à souhait, mais parfois Mia Wasikowa est presque pire, Mercredi Adams, humour noir en moins…tous deux ont une grosse palme au niveau des anti-héros sociopathes, ça m’a assez glacée. Ca donne toutefois envie, paradoxalement, de continuer à retrouver ce genre gothique si fascinant. Ce film a une sacrée ambiance et ça le rend mémorable. Je me dis que le lifting figé de Nicole Kidman n’a pas dû l’aider dans son jeu : c’était vraiment un film où je prenais conscience d’à quel point ça « bloque » son visage, surtout que j’ai vu The Hours et Eyes Wide Shut peu après.
      Je ne peux que parler en bien de The Hours…ce film est tellement magnifique, même si on sent aussi qu’il commence à vieillir tout doucement.

      J’aime

      1. Dans le rayon des films gothiques, je ne sais pas si tu as déjà vu « Crimson Peak », avec Tom Hiddleston et la même Mia Wasikowska ? Dans le même registre, je pense que tu trouverais ton bonheur, même si ce dernier n’est pas parfait, il a une très belle ambiance, très glaçante elle aussi.

        Aimé par 1 personne

      2. Oui, je l’avais vu lors de sa sortie au cinéma! J’en garde des images magnifiques, même si j’ai trouvé que quelque chose y manquait pour rendre le film excellent. Mais il avait de beaux décors, et une sacrée ambiance aussi.

        J’aime

  3. Annihilation, j’ai eu beaucoup, beaucoup de mal à comprendre l’engouement général qui a suivi. Je peux pas m’empêcher de me dire qu’avec une sortie cinéma standard, sans éclat ni promotion particulière (parce que bon, là, toute la publicité s’est faite toute seule, avec ces histoires de Ohlala les grands méchants de la Paramount qui nous prennent pour des teubés), le film aurait probablement été anecdotique… Même avec Nathalie Portman dedans. Il me semble pas que son nom suffise à faire se déplacer les foules dans les salles.
    Personnellement, je sais pas quoi en penser, ni quoi en comprendre. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché des tentatives d’explication ou, à défaut, d’interprétation possible, mais je suis jamais convaincue : métaphore de la tendance naturelle de l’homme à s’auto-détruire, métaphore de la dépression et de l’imperfection de Léna qui trompe son mari, culpabilise et doit apprendre à vivre avec en se pardonnant à elle-même, métaphore du deuil et de ses « 5 » étapes (symbolisées par Léna et ses 4 collègues) avec un peu de biologie génétique (fusion de deux cellules/organismes pour en créer un troisième entièrement nouveau, réfraction des ondes, blablabla) au milieu… Ce film me laisse surtout l’impression d’avoir visionné UN. GROS. BORDAYL. Et qui cherche même pas à t’indiquer une piste de réflexion. Juste des trucs randoms calés ici ou là, comme le tatouage d’ouroboros sur le bras de Léna, à la fin.

    Mais je lui reconnais une certaine forme d’esthétique, parsemées de quelques trouvailles relativement dérangeantes : l’ours qui dévore les « âmes » de ses victimes, l’homme corail dans la piscine, cette chorégraphie à la fois fascinante et super creepy entre Léna et son double… Rien d’inoubliable, beaucoup trop libre d’interprétation (j’aime bien avoir des indices, même si je peux les « lire » comme je veux) mais visuellement pas mal (sauf les biches en CGI : ça, c’était une grosse blague.

    Aimé par 1 personne

    1. Je pense effectivement qu’Annihilation serait passé inaperçu sans toute la pub ou l’histoire Netflix autour. Même si pour ma part, j’attendais le film depuis que j’ai lu le bouquin, ce qui remonte à plusieurs mois, avant même la première bande-annonce. Et non, on aurait pu choisir une autre actrice que Natalie Portman : je l’ai trouvée bien ici, mais à choisir, je la préfère dans Black Swan, par exemple.

      J’admets que personnellement, en voyant le film une première fois, j’ai été convaincue par la lecture « le voyage qui fait se transformer en une nouvelle personne » la zone X (du miroitement) étant un symbole de la façon dont un être humain peut évoluer et changer du tout au tout, face aux événements, au temps, ou façon miroir, se découvrir soi, on est différent d’une décennie sur l’autre selon les événements. Puis j’ai appris pour la lecture métaphore de la dépression, qui pour le coup me convainc tout à fait : l’ours à voix humaine, quand on se sent monstrueux tout en ayant besoin d’aide. Le double de Lena hyper malsain qui l’écrase et étouffe sa vraie personnalité, cette lenteur qu’elle a de se mouvoir, comme écrasée en général, comme sous une tristesse où on peine à bouger ; les réactions souvent indifférentes de la psy qui témoignent d’insensibilité, de vide, etc. J’apprécie aussi le thème de l’auto-destruction (chaque être est tenté plus ou moins consciemment vers quelque chose qui le détruit, même s’il le fuit à tout prix). Après, je suis tout à fait consciente qu’en tant que tel (sans les histoires de double lecture) le film se casse la gueule ou devient moyen. Sa forme ne suffit pas à son fond, en tant que simple film de SF, il n’est pas mémorable, à part pour l’ambiance. Le bouquin est très différent donc les comparaisons sont inutiles au bout d’ un moment. La métaphore du deuil me paraît moins probable, cependant.

      Et il y a aussi des choses qui m’ont semblé WTF, à tort ou à dessein, au premier visionnage, que ce soit le « Vide » à la fin, l’alligator où les filles vont dans l’eau se jeter dans sa gueule à la limite. Par contre niveau esthétique, c’est vrai que ça vaut un regard, sauf effectivement les biches.

      Mais je comprends effectivement bien que, de un, ça ne plaise pas à tout le monde, et de deux, je pense que oui, plus d’indices d’inteprétation, plus de forme servant le fond, plus de profondeur des persos, aurait permis que le film soit plus réussi. Je pense que le film a aussi voulu respecter certains aspects lovecraftiens/impassibilité des livres (« l’antagoniste » de Lena est décrit comme le « Rampeur » qui est soit une chose impossible à décrire, soit qui utilise les pensées de Lena pour faire un camouflage et changer d’apparence), le côté très faune macabre, les dialogues étranges des personnages, ou le manque de profondeur (les persos n’ont pas de noms dans le roman et seule Lena a un vrai passé, et est un narrateur peu fiable par ailleurs). Malheureusement, le bouquin est un WTF positif en lui-même ; en tant que lecture, ça marche, mais en tant que film, c’est plus difficile à accepter.

      Il aura manqué quelque chose au film pour vraiment convaincre, et même si je l’ai aimé, je le reconnais tout à fait, il aurait pu être mieux en étant un peu moins en mode chaotique.Même si ça aurait pu faire perdre une part de son charme. Trop de théories tuent la théorie.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.