Sauvage est ma première incursion dans les livres des éditions Gallmeister, spécialisées dans les romans noirs (et qui, accessoirement, font des couvertures magnifiques). Et cela a été une très bonne lecture, surprenante, mais aussi plaisante par son écriture et sa noirceur.
L’héroïne est Tracy Petrikoff, une jeune fille de dix-sept ans, vivant quelque part en Alaska avec son père et son frère, sa mère étant décédée depuis peu. Sauvage et silencieuse par nature, la jeune fille a été renvoyée de son école après avoir blessé un autre élève : elle passe alors son temps chez elle, à entraîner les chiens qu’elle et son père gardent pour les futures courses de traîneaux, à chasser en forêt et à errer, simplement, en pleine nature. Tout bascule le jour où elle se fait attaquer par un étranger et se défend, avant de tomber évanouie. Elle est alors persuadée d’avoir tué ou gravement blessé son agresseur, ce qu’elle refuse de dire à son père. Elle garde alors un secret de plus en plus lourd pour elle, la faisant sombrer dans la méfiance.
Les paysages sont décrits avec autant de beauté que de rudesse, ce qui donne au roman une atmosphère étrange, parfois pesante, souvent cotonneuse au gré de la neige qui tombe, et surtout dépaysante. Tracy, elle, est à l’image de cette nature : The wild inside est le titre original du roman. La jeune fille est énigmatique, antipathique par moments, souvent égoïste, ne rêvant que de liberté. Un véritable contraste avec son frère, bien plus sensible et doux ; quant à son père, il a un profond amour pour sa fille, qui se révolte face aux décisions qu’il prend, lui qui semble abandonner les courses de musher, qui a perdu toute vitalité après la mort de sa femme. A cette famille de trois personnes – bien que la mère soit souvent évoquée – on trouve aussi Jesse, un jeune homme sorti de nulle part, qui aide la famille à tenir la maison et les chiens. Entre lui et Tracy ne tarde pas à s’établir une étrange relation, emplie de surprises qu’on ne voit véritablement pas venir. Ce sont ces rebondissements qui tirent le roman de ses paysages et de son ambiance lourde, mais qui rendent la lecture encore plus prenante et intéressante, tout en implicite et en nuances.
Tracy est aussi une jeune fille sèche, rude, confrontée au deuil, à la maturation, au passage à l’âge adulte. Elle est à la fois forte et sensible, courageuse et effrontée, et cependant incapable d’exprimer véritablement ses émotions aux autres. Un tel caractère ne sort pas de nulle part : comme sa mère, elle ressent la nécessité de boire du sang, ce qui lui permet alors de s’approprier la mémoire immédiate des animaux ou humains qui sont ses victimes. Cependant, Sauvage est très loin d’un roman de vampires, et ce côté surnaturel pourrait être tout aussi bien une psychose d’une jeune fille aussi renfermée. Le roman, à l’instar de son héroïne, a donc un côté quasiment surnaturel, rendant l’ambiance encore plus inquiétante. Les prises de paroles des personnages sont sans guillemets ni tirets, comme si les mots ne pouvaient s’extirper du paysage environnant, ou peinaient à franchir les lèvres des protagonistes. Une autre façon de refléter à quel point les pensées intérieures des personnages sont importantes, à quel point aussi tout semble avalé et emprisonné dans ces espaces du Grand Nord, laissant la nature prendre le pas sur tout.
Si je pouvais m’arrêter où je veux et m’abstenir de raconter tout le reste, c’est là que je choisirais de finir. J’en appellerais au grand gel qui s’annonçait, et je laisserai la glace et la neige nous figer exactement tels que nous étions ce jour-là, alors qu’un bonheur silencieux s’était emparé de moi, quelque chose qui ressemblait plus à de la justesse, et je n’aurais su dire s’il s’agissait de ma propre sensation, ou de celle de Su, ou de celle de Jesse. Le constat d’être revenu en un lieu que vous savez être le vôtre. Où vous savez qu’on vous désire et qu’on vous aime.
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