Les meurtres et la survie de Molly Southbourne | Revisiter le mythe de Frankenstein

A l’occasion de la parution de La survie de Molly Southbourne, je me suis replongée avec plaisir dans l’excellente novella Les meurtres de Molly Southbourne, découverte l’an dernier. C’est l’occasion de revenir sur ce diptyque (qui sera suivi de deux autres tomes) de science-fiction horrifique, écrit par Tade Thompson, écrivain britannique ayant grandi au Nigéria.

Les meurtres

« A chaque échec, à chaque insulte, à chaque blessure de la psyché, nous sommes recréés. Ce nouveau soi, nous devons le combattre chaque jour ou affronter l’extinction de l’esprit. » Theophilus Roshodan, Ecrits sur l’histoire naturelle de l’esprit, 1789

Dès son plus jeune âge, Molly est frappée par une malédiction : à la moindre coupure, de son sang naît un double d’elle-même, une molly, qui grandit rapidement puis devient agressive. Alors, c’est à Molly de respecter à tout prix les règles inculquées par ses parents : ne pas saigner, fuir ou se battre si elle voit une fille qui lui ressemble, utiliser une compresse, du feu et du détergent si elle saigne, pour éradiquer toute apparition de ses doubles.

Les meurtres de Molly Southbourne n’est guère long, composé de cent vingt pages environ. Si bien que je ne peux que recommander de le lire d’une traite si on en a la possibilité ! Car cette novella est courte, mais diablement efficace, avec des passages très graphiques et sanglants, nous retraçant l’enfance puis l’âge adulte de Molly, et son récit avec les molly autour d’elle. Je resterais vague pour vous laisser la surprise du livre, mais c’est à la fois une belle relecture du mythe du double, voire du Doppelgänger, et surtout de Frankenstein, duquel l’auteur a eu une forte influence. On pourrait d’ailleurs vite croire que le récit brasse des idées déjà-vues, et il est un peu prévisible par moments, mais c’est sans compter l’écriture de Tade Thompson. Son style est à la fois fluide, très prenant, dans le détail et en même temps, avec une certaine analyse froide qui correspond bien au personnage de Molly, persuadée qu’elle n’aura jamais une vie normale, et qui est donc décalée des autres par sa malédiction. Pourtant, cela n’empêche pas le lecteur de s’attacher à elle au cours de l’histoire : on est intrigué par les molly autant qu’elle, on cherche à comprendre qui ils sont véritablement, on espère qu’elle peut arriver à mener une vie personnelle au-delà de cette malédiction permanente.

En passant par le point de vue interne de Molly, elle nous donne à vivre son quotidien avec autant de violence, d’intensité, de lassitude ou de curiosité qu’elle. Que ce soit ses meurtres, ses recherches scientifiques, ses relations avec ses parents, nous avons accès à sa vie par fragments, mais suffisants pour créer un personnage consistant, fouillé, parfois détaché, mais comment ne pas l’être avec une vie comme la sienne ? Le roman est aussi impressionnant par la quête de compréhension de soi que Molly cherche à effectuer, examinant aussi bien que refusant l’existence de ses doubles, le tout avec une discipline et une rigueur qui complexifient et alourdissent sa vie. Au-delà du fait de revisiter des thèmes littéraires connus, c’est aussi le rapport au corps dans ce roman qui m’a profondément frappée. Les réflexions et gestes de Molly vis à vis d’elle-même, des molly, parlent aussi d’une femme en conflit permanent avec sa chair, le considérant comme une menace perpétuelle, un objet à analyser aussi bien qu’un fardeau. C’est d’autant plus frappant qu’elle est une femme, et par conséquent destinée à donner la vie, normalement d’une manière beaucoup plus traditionnelle… Cette sous-lecture se dévoile assez vite, et est aussi viscérale que le macabre qui parsème l’existence de l’héroïne.

Je ne peux pas approfondir ces thèmes sans dévoiler davantage de la novella, mais je ne peux que redire une chose : même à la deuxième lecture, Les Meurtres de Molly Southbourne est toujours aussi prenant et profondément immersif. Il n’est pas étonnant qu’une série télévisée soit en préparation : le récit est extrêmement visuel, et bien qu’on couvre plusieurs années de la vie de Molly, on ne voit tout simplement pas les pages passer. Les thématiques abordées, classiques au premier abord, se révèlent revisitées et bien plus profondes qu’il n’y paraît, notamment avec ce rapport au corps qui se dessine. Et le mélange de quête initiatique, de science-fiction et d’horreur fonctionne à merveille : la lecture laisse indéniablement des scènes et des images marquantes en tête. Cerise sur le gâteau, on trouve une interview de l’auteur à la fin, ce qui permet d’en savoir plus sur ses inspirations, ses réflexions sur son écriture et les thèmes abordés. Si seulement chaque livre pouvait proposer cela !

La survie

« Je sentirai l’affection d’une créature sensible, et serai relié à la chaîne de l’être et de l’histoire, dont à présent je suis exclu. » Mary Shelley, Frankenstein

Suite oblige, il est très difficile de parler ce deuxième tome sans spoiler le premier ; je resterai donc vague et me contenterai d’évoquer les thématiques abordées dans cette deuxième novella d’une centaine et quelques de pages, comme son prédécesseur.

L’influence de Frankenstein se fait toujours ressentir, comme en témoigne la citation extraite qui sert de prélude à l’histoire. Et plus précisément, cette novella apporte un peu plus d’explication scientifique au pourquoi de l’existence des molly, et s’interroge davantage sur ce qu’elles sont, ce qu’elles ressentent, ce qu’elles cherchent à construire. La survie de Molly Southbourne, si elle n’est pas dénuée des combats et des épisodes sanglants comme dans le premier volume, est néanmoins beaucoup plus axé sur la quête d’identité de l’héroïne, la construction de sa personnalité et sa différence avec les doubles, la compréhension de sa singularité. Là où la chair était un ennemi, cette fois, elle essaye davantage de le comprendre, voire de l’accepter, élaborant un nouveau rapport à la corporalité qui n’est pas sans provoquer des échos chez le lecteur.

On croise aussi quelques nouveaux personnages, très intéressants, et qui amènent La survie à être quasiment le reflet inversé des Meurtres, en démolissant et renversant des choses établies au cours du premier tome à plusieurs reprises et en proposant un autre regard sur les molly. Autant dire que si le premier récit était parfois prévisible, celui-ci l’est beaucoup moins, pour le plus grand plaisir de lecture. Car le style de Tade Thompson est toujours intact, prenant et immersif, sans jamais de lourdeur dans son style. Il maîtrise aussi bien les dialogues que les descriptions, en passant par des passages psychologiques et d’action très maîtrisés. Je ne peux que conclure en recommandant vivement ces deux novellas, aux couvertures sublimes, et dont l’histoire est aussi viscérale que marquante par ses réflexions… et son côté sanglant.


8 réflexions sur “Les meurtres et la survie de Molly Southbourne | Revisiter le mythe de Frankenstein

  1. Ca m’a l’air vraiment bien! Ca me rappelle un peu le film It Follows dans l’ambiance « fuir pour survivre face à une personne qui te veut du mal » ^^
    Et j’adore ce film donc je suis très intriguée!
    Mais en plus 120 pages seulement, c’est tellement rare et ca fait tellement du bien dès fois de lire un livre court ET percutant 🙂
    Ca devrait donner quelque chose d’exceptionnel niveau ambiance angoissante en série en vrai!
    Etant fan de Frankenstein, je pense que je ne peux pas passer à côté de ce livre qui passe directement dans ma WL! Ces éditions sont vraiment chouettes en plus, vraiment belles et élégantes en meme temps UnU

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    1. J’avais beaucoup aimé It follows au cinéma, je n’étais pas ressortie tranquille de la salle de ciné ! Oui Les meurtres de Molly Southbourne est quasi du coup de coeur pour moi, la lecture est vraiment immersive et graphique. C’est comme ça que j’ai découvert la collection Une heure lumière et pour l’instant je n’y trouve que des textes de qualités. Sans oublier les couvertures sublimes à chaque fois. Et là, aussi court et percutant, c’est rare comme tu dis ! Après, on verra pour la série, mais j’ai bon espoir 🙂

      Aimé par 1 personne

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