Après avoir expliqué le genre steampunk avec le jeu vidéo The Order 1886, voilà une autre aventure à la croisée des genres : découvrir le cyberpunk avec Observer. Ce dernier est sorti en 2017, décrit comme un polar cyberpunk horrifique, et produit par le studio Boobler Team, l’équipe derrière les deux Layers of Fear.
En 2084 à Cracovie, le monde s’est dégradé après la « nanophage », une peste digitale qui a coûté la vie à de nombreuses personnes portant des implants, suivie d’une guerre entre l’Est et l’Ouest. Chiron, une méga-corporation informatique, a alors instauré la Cinquième République polonaise, s’assurant en même temps d’une mainmise sur la société. L’Observateur Daniel Lazarski, faisant partie de la police créée par Chiron, a la capacité de hacker les esprits pour mener ses enquêtes. Un mystérieux appel de son fils Adam le conduit à mettre les pieds dans un immeuble de classe C, insalubre et pauvre…
Si le cyberpunk est bien plus connu que le steampunk dans la mémoire collective, il n’en demeure pas moins intéressant à explorer. Au fil de cet article, je vous invite donc à découvrir les origines du genre, puis à voir comment ses thématiques sont exploitées dans Observer, avant de terminer sur un aperçu de divers jeux cyberpunk. Bonne lecture !
I. C’est quoi, le cyberpunk ?
Cyberpunk. Un mot qui évoque de façon pêle-mêle bien des images : grattes-ciels vertigineux, écrans géants, pirates informatiques rebelles contre une société dominante et toute-puissante, univers virtuels, transhumanisme, membres artificiels remplaçant la chair… Et quand on lève les yeux, le ciel est noir, sans aucune étoile, sans lumière naturelle, à l’instar du chemin qui attend la plupart des citoyens d’une société pessimiste et futuriste. Voilà un monde où il ne fait visiblement pas bon vivre. Et pourtant, le cyberpunk se veut comme la vision très proche d’un lendemain où la technologie domine toute la société.
1. Naissance du cyberpunk
La science-fiction est la littérature de l’imaginaire qui imagine le futur, en se basant sur les sciences dures pour expliquer le monde de demain. Tout au long du XXe siècle, c’est un genre qui n’a cessé de se renouveler en explorant bien des domaines, de la robotique à la colonisation spatiale. Puis, les années 70-80 virent l’informatique et Internet envahir le quotidien réel, donnant forcément racine à une nouvelle forme de science-fiction. Ainsi naît le cyberpunk, terme tiré du titre d’une nouvelle de Bruce Bethke en 1983, et ensuite popularisé en tant que mouvement littéraire par l’éditeur d’Asimov’s Science Fiction Magazine, Gardner R. Dozois. Il utilisera notamment ce mot pour décrire le roman fondateur du genre : Neuromancien de l’américain William Gibson, paru en 1984…celui-là même qui a aussi créé le genre steampunk ! Si ce livre est aussi marquant, c’est parce que l’auteur y décrit une Matrice dont le fonctionnement est semblable à celui d’Internet, finissant par envahir l’humain.
A partir de cette officialisation du terme, nombre d’auteurs s’engouffrent dans ce genre : K.W. Jeter, Bruce Sterling, Pat Cadigan… Ils créent chacun des univers noirs où les multinationales dominent, où les protagonistes principaux sont des anti-héros désabusés, où la technologie, loin de toujours aider l’homme à évoluer positivement, le dépasse vite.

Mais pourquoi une vision si noire du futur, des machines et de la société ? D’abord, il faut prendre en compte l’importance soudaine d’Internet et de l’informatique à cette époque, qui a commencé à bouleverser la vie quotidienne : cyber. De plus, le cyberpunk apparaît après des décennies de science-fiction aux valeurs conservatrices, après avoir exploré des futurs où l’homme est le plus souvent victorieux. Il semble suivre le chemin de la Dark fantasy, née deux décennies plus tôt, en opposition à la High fantasy, également conservatrice et héroïque. C’est une réponse à un monde qui se complexifie, où le futur semblait radieux, avant de s’annoncer plus sombre. D’où l’emprunt également au terme punk : un aspect nihiliste et anarchiste, qui s’oppose à un avenir capitaliste et déshumanisé.
« Bref, si on nous permet un parallèle avec la Fantasy, le Cyberpunk, par rapport à la SF classique, c’est l’émergence de la Dark Fantasy et de ses antihéros plus sombres, plus complexes, de son ton plus « réaliste », de son ambiance noire, de ses mondes crépusculaires, de son anti-altruisme, en complète opposition par rapport à la High Fantasy qui régnait avant elle. » (Apophis, Guide des genres et sous-genres de l’imaginaire)
Né il y a donc une quarantaine d’années, le cyberpunk continue encore à être aujourd’hui un genre prolifique, qui a laissé bien des empreintes dans la pop culture. Par ailleurs, signalons deux œuvres proto-cyberpunk, écrites postérieurement au genre, mais qui en sont des influences reconnues : Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Philip K. Dick) et Sur l’onde de choc de John Brunner.
2. Sous-genre de la science-fiction
« On peut définir la science-fiction comme la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l’être humain aux progrès de la science et de la technologie. » Isaac Asimov, préface à David Starr, justicier de l’espace.
Le cyberpunk est donc une branche de la science-fiction, en faisant un sous-genre. Qu’est-ce qui le différencie tant de son aînée ? Le cyberpunk, on l’a vu, prend à contre-courant les précédentes structures de la SF. L’heure n’est plus à l’utopie. Il n’y a donc plus de héros, mais des anti-héros, souvent hackers, toujours marginaux de la société. Ce sont des désabusés surdoués avec les technologies, mais peu habitués aux relations humaines – un autre parallèle similaire à la dualité roman policier/roman noir, passant des enquêteurs aux valeurs bien ancrées à des détectives privés cyniques et asociaux. Face à ces antihéros, on trouve des multinationales, des corporations démesurées, ultra-capitalistes, tout-puissantes, souvent plus que les gouvernements officiels. Les protagonistes des romans cyberpunk travaillent parfois pour ces groupes, cherchant à se rebeller de l’intérieur contre un système qui les dépasse, et qui peut finir par les corrompre. Le cyberpunk clame une autre influence majeure, celle de la dystopie.
La mention du genre policier au-dessus n’est pas innocente. Le roman noir a influencé le genre cyberpunk, lui conférant une ambiance poisseuse, prégnante de corruption, la plupart du temps sans espoir d’un véritable changement. « No future », comme disent les punks. C’est un avenir pourtant directement inspiré par notre présent. Les technologies y sont vues sous le prisme le plus sombre, envahissant le quotidien aussi bien que l’être humain, et surtout beaucoup trop vite pour s’y adapter pleinement, faisant écho à notre propre actualité. D’ailleurs, on y voit les conséquences de problèmes déjà contemporains : la surpopulation, la pollution, la destruction de la nature, l’écart entre les pauvres et les riches. Les valeurs positives de l’éthique et de l’altruisme ne sont plus de mise dans les mondes cyberpunk, limités d’ailleurs à la Terre.

L’éthique y est bien vite dépassée, elle aussi. Comment pourrait-il en être autrement dans un futur où les manipulations électroniques, cybernétiques, génétiques, ont lieu ? Les corps sont augmentés et modifiés, que ce soit par des prothèses, des implants ou des drogues ; parfois pour améliorer les capacités de l’homme, parfois par superficialité. D’autres questions morales se posent : non seulement le transhumanisme, mais aussi l’abrogation de la mort, le transfert de la mémoire sur une machine, ou l’intelligence artificielle poussée à l’extrême.
En somme, l’âme humaine fait peur à voir, autant que le monde qui est décrit. Buildings immenses, grattes-ciels, écrans omniprésents, réalité virtuelle et augmentée, crasse des quartiers pauvres opposée à l’aseptisation des quartiers riches, absence de la nature, néons et publicités éclatants, marchés noirs, groupes terroristes, c’est cela le quotidien cyberpunk, avec des personnages dont les coupes de cheveux et vêtements sont aussi des références à la culture punk.
Maintenant que les codes sont établis, je suis au regret de vous apprendre que le genre cyberpunk est néanmoins « mort »… En effet, il a été rattrapé par le progrès de nos technologies réelles, faisant paraître ses sombres inventions obsolètes. C’est ainsi qu’est né en 1991 le postcyberpunk, avec le roman Le samouraï virtuel de Neal Stephenson. Beaucoup moins sombre, oubliant la dystopie, le postcyberpunk reprend les principes du genre, mais avec une vision plus sereine, où les technologies ne sont plus forcément la ruine de l’homme, et où les héros font cette fois partie de la société. Les technologies sont plus contemporaines, proches des nôtres, faisant appel à la génétique et aux nanomachines. Comme toute arme, elles sont à double facette selon l’usage qu’on en fait. Le postcyberpunk offre donc un avenir un peu plus lumineux, remplaçant définitivement le cyberpunk tel qu’il était à sa naissance.

En parallèle, on trouve encore d’autres genres dérivés du cyberpunk. Le solarpunk propose un futur apaisé, où les multinationales ne sont pas menaçantes et où l’environnement est au cœur de tout. Le biopunk (parfois appelé ribofunk) mêle les avancées techniques du postcyberpunk au ton sombre du cyberpunk, explorant les thématiques des améliorations génétiques, du clonage et de l’eugénisme. Le nanopunk, encore très récent, est moins noir que le cyberpunk ou le biopunk, faisant la part belle aux nanotechnologies.
Ainsi, définir le cyberpunk et ses sous-genres successeurs permet d’établir bien des points. Il est engagé, souvent avec violence et noirceur, présentant un futur qui se situe toujours dès demain, et où l’homme paie les conséquences de ses actes actuels. Il s’oppose à un passé glorieux et conservateur qui ne peut plus exister au vu des progrès technologiques. Surpopulation, dominance de corporations et des technologies, monde désabusé et égocentrique…que des thèmes qui nous parlent et qui expliquent sans doute pourquoi il s’agit d’un genre très apprécié dans la pop culture.
3. Un genre transmedia
Attardons-nous un peu sur la littérature cyberpunk avant de voir le genre s’incarner dans d’autres médias. Parmi les romans emblématiques du postcyberpunk, citons Carbone modifié et Thin air (Richard Morgan), Toxoplasma de Sabrina Calvo, Des larmes sous la pluie de Rosa Montero ; dans le biopunk, Féérie de Paul McAuley, La fille automate de Paolo Bacigalupi, L’une rêve l’autre pas de Nancy Kress ; dans le nanopunk, L’Age de diamant de Neal Stephenson, Aux marges de la vision de Linda Nagata ; et en solarpunk, Les enfants de Poséidon de Alastair Reynolds. Pour une sélection plus exhaustive de romans, je ne peux que conseiller de jeter un œil au passionnant et riche Guide des genres et sous-genres de l’imaginaire d’Apophis, d’où sont extraits les titres cités ; ou bien de fouiller sur le blog de l’auteur, spécialisé dans les littératures de l’imaginaire. Il serait également criminel de ne pas citer quelques mangas à l’ambiance cyberpunk, dont les célèbres Akira de Katsuhiro Otomo, Ghost in the Shell de Masamune Shirow ou Gunnm de Yukito Kishiro. Ceux-ci ont été fortement influencés par l’esthétique du film culte Blade Runner.

Cela nous permet de rebondir sur le genre cyberpunk au cinéma et à la télévision. Blade Runner (Ridley Scott, 1982) est sans doute le plus connu, adapté du roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick. Ce film a, à lui seul, imposé les codes esthétiques du genre avec ses grattes-ciels, ses lumières, ses écrans et ses réplicants. Total Recall de Paul Verhoeven (1990) est aussi un bon exemple, tout comme Tron (Steven Lisberger, 1982), Matrix évidemment (1999), Minority Report (2002, Steven Spielberg), ExistenZ partiellement (David Cronenberg, 1999) ou encore Bienvenue à Gattaca (Andrew Nicol, 1997) et Ready Player One (Steven Spielberg, 2018). Sur petit écran, entre autres, on trouve les séries Person of Interest, Black Mirror, Orphan Black ou Altered Carbon (adapté du roman de Richard Morgan).

La musique s’est également emparée du genre cyberpunk, créant des sonorités futuristes, électroniques et gutturales, flirtant avec la techno ou le punk, évoquant la mécanique et l’informatique. Les tonalités qui en ressortent sont aussi bien noires que mélancoliques, avec un côté urbain très ancré. Billy Idol, en 1993, sort l’album Cyberpunk après avoir participé au jeu de rôle du même nom, créé par Mike Pondsmith. Mais deux genres musicaux ont été particulièrement influencés : le synthwave et le vaporwave. Le synthwave est ainsi inspiré de la musique des années 80, avec une esthétique rétro-futuriste propre au cyberpunk et films dans cet univers. Le vaporwave puise son inspiration dans ces mêmes racines, mais dans un but plus engagé, critiquant le capitalisme et la propagande.
L’artiste derrière le pseudonyme Perturbator est un compositeur de musique synthwave français, James Kent.
II. Observer et le cyberpunk
Maintenant que les codes du cyberpunk sont établis, parlons plus longuement de >Observer_, qui s’inscrit totalement dans cette lignée de futur froid et pessimiste.
1. Plonger en 2084
Le jeu nous ancre en Pologne, après une brève introduction nous parlant de la peste digitale « nanophage/phage » et de la guerre ayant marqué l’Est et l’Ouest. Le choix du pays, souligné dans le jeu par de nombreuses inscriptions et affiches en polonais, vient de l’origine du studio Bloober Team, mais aussi de leur volonté de proposer un cyberpunk différent, européen, plutôt qu’américain ou japonais, plus traditionnels dans le genre.
La première chose frappante en découvrant le monde clos d’Observer – quasiment limité à l’immeuble où enquête Lazarski pour retrouver son fils – est sa volonté assumée d’être désagréable. On erre dans un immeuble crasseux, déglingué, où des hologrammes et une réalité augmentée se mélangent au métal et aux câbles. La vision à la première personne du héros est parsemée de glitchs, de parasites et de pixels. Lazarski a en effet l’implant d’une vision améliorée, biologique et électronique pour ses besoins d’enquêteurs, et ça n’est pas sans conséquence sur le ressenti du jeu. On est frappé par cette omniprésence de virtuel par-dessus un immeuble de bas de gamme, et cette vision améliorée est d’autant plus troublante qu’elle nous induit parfois en erreur. Elle fait confondre réalité et hallucinations, sans jamais parvenir à extirper clairement où s’arrête la première et où commencent les autres. Bien sûr, il n’est pas non plus exclu que notre protagoniste ait une santé mentale quelque peu défaillante, mais nous y reviendrons plus tard.
La direction artistique d’Observer répond amplement aux critères du cyberpunk. L’urbanité se mélange sans cesse au virtuel. Lorsque Lazarski récupère des photos d’identités des résidents de l’immeuble, ou s’adresse au concierge, on voit parfaitement que tous ont subi des implants ou ont des prothèses plus ou moins discrètes, comme la femme souriante de la publicité de Chiron. Si les ordinateurs et radios croisés dateraient volontiers des années 80/90, avec une certaine nostalgie, le mobilier des appartements est réduit au plus pratique, agrémenté de quelques photos holographiques ici et là. Quand Lazarski hacke l’esprit de personnes pour enquêter, en se connectant à elles via un câble, les nouveaux décors varient un peu plus. Open-spaces surpeuplés et effrénés sous l’emprise de Chiron (leur entretien de recrutement ressemble à un questionnaire établi pour 1984, une référence dans le jeu !), boîtes de nuits psychédéliques, boucles sans fin de couloirs et d’appartements délabrés, silhouettes d’enfants dont la tête est devenu un écran… On croisera également une salle de réalité virtuelle implantée dans une ancienne église, à un moment du jeu. Aucune nature n’est présente : Lazarski s’étonne d’ailleurs de trouver, ici et là, des roses, dont l’espèce est quasiment disparue.
Observer regorge de détails démontrant la volonté de créer un vrai monde cyberpunk. Souvent le mobilier, les machines, sont contemporains ou volontairement datées (comme ce mini-jeu d’arcade proposé ici et là) aux années 80, naissance du genre. Tout le reste respire un futur pollué, déshumanisé et sombre. Il n’est pas rare d’être pris de malaise ou de se sentir presque nauséeux, d’avoir une sensation de rejet organique et instinctive en jouant. Entre les glitch qui parsèment la vision de Lazarski, la dualité troublante entre murs réels et rajouts virtuels par-dessus pour cacher la misère, la bande-son à l’ambiance inquiétante, ces téléviseurs qui s’allument seuls sur un œil grand ouvert, tout est fait pour rendre cet univers oppressant. Et cette direction artistique est ainsi la plus belle métaphore pour exprimer à quel point l’homme se sent déstabilisé, malade et dépassé dans un monde où la technologie est allée trop vite pour lui, le faisant perdre contact avec la réalité.
2. Confronter l’humanité et les technologies
Le cyberpunk, c’est cette volonté de montrer comment l’homme s’adapte – ou ne s’adapte pas – aux technologies évoluées et rapides qui l’entourent. Certes, les univers futuristes ont des avantages et peuvent même être beaux, comme un simulacre de rêve américain, mais à quel prix ?
Lazarski ne croise quasiment personne dans son aventure, en-dehors du concierge et des victimes, déjà mortes, d’un tueur qui rôde. Ses seules autres interactions ont lieu par le biais d’interphones, de caméras, qui laissent apparaître un coin du visage des occupants de l’immeuble. Tous ne répondent pas à ses questions, certains l’envoient même balader, craignant la corporation pour laquelle il travaille et de se faire hacker l’esprit. Mais ces quelques interrogatoires permettent de construire la réalité de ce monde. La plupart des gens sont recroquevillés chez eux, à part pour aller travailler, préférant des réalités virtuelles ou des hologrammes aux contacts humains. Un homme est d’ailleurs tellement déstabilisé par la perte de sa télé qu’il demande à Lazarski de rester lui parler, juste pour être rassuré. D’autres échangeront avec lui pour parler de leur peur d’une nouvelle peste digitale, pour le traiter de sangsue (puisqu’il hacke l’esprit des gens pour obtenir des informations), parlent de leur haine de Chiron, ou alors de liens bénéfiques créés grâce à cela, comme une mère et sa « fille ». Les soldats et sportifs disposent de capacités augmentées, parfois offertes gracieusement par Chiron, tant qu’ils sont utiles à la société. Certains citoyens, nommés les Immaculés, clameront leur choix de n’avoir subi aucun implant ou de les avoir arrachés, préférant une vie humaine bien que plus dure et courte. D’autres ont été obligés d’abandonner leurs augmentations, faute de pouvoir payer les drogues nécessaires pour les supporter quotidiennement.
Les drogues sont un sujet récurrent dans Observer. Ce sont elles qui permettent à Lazarski de stabiliser son état, au risque d’abîmer définitivement sa santé, si hacker les esprits ne lui fait pas perdre sa raison d’abord. Ce n’est pas non plus la seule menace : la grande hantise de chacun dans le jeu, c’est le phage, la peste digitale, où les implants font devenir la personne folle et la mènent à la mort. Évidemment, il y a des marchés noirs de drogue, d’implants, témoignant de l’écart entre les pauvres et les riches de ce monde, mais d’autres choses bien plus glauques encore, comme le trafic de gènes ou la culture d’organes. Cela amène à l’un des autres sujets récurrents de cet univers : jusqu’où aller dans ces augmentations ? Doit-on imposer à quelqu’un des implants, si cela peut lui sauver la vie, ou accepter sa décision de ne pas guérir d’un cancer en refusant des opérations ? Doit-on approuver ces médecins qui poussent le transhumanisme jusqu’à incruster des gènes animaux chez les hommes, si cela leur permet de les faire se sentir bien dans leur tête ? Où se place la limite entre l’homme et la machine, et est-on encore humain, soi-même, quand on place sa mémoire et ses pensées dans un univers virtuel ? Toutes ces questions éthiques sont au centre même du cyberpunk, interrogeant le cœur même de l’identité.
3. Un futur dystopique
Ce qu’offre Observer, ce n’est pas une belle vision du futur. Bien sûr, des documents, des mails trouvés dans les ordinateurs ici et là témoignent de personnes qui vivent plus longtemps, qui adorent leurs augmentations, et qui sont prêts à payer un sacré prix pour les avoir. Mais cela risque de leur coûter bien cher, comme le dit Lazarski : si on joue avec les implants sans réfléchir aux conséquences, on se retrouve alors décimé par une peste, ou isolé des autres et du monde. Ou bien, il est de plus en plus difficile de distinguer la réalité de l’hallucination. Plus l’Observateur hacke des esprits pour élucider le mystère autour du tueur en série de l’immeuble, et pour retrouver son fils, plus il perd contact avec la réalité. Les souvenirs hackés sont extrêmement désagréables, mêlant boucles, glitchs, hallucinations, traumatismes, et les peurs propres à ce monde. On trouve tour à tour les terreurs de gens marqués par un séjour en prison, par le travail chez Chiron, très orwellien et déshumanisé, par l’obsession d’être augmenté quel que soit le prix et le rejet des autres, ou par la perte d’êtres chers à cause des implants. Il y a même des moments troublants où les choix de réponses de Lazarski ne font plus aucun sens, tant il utilise la technologie et finit perturbé par celle-ci.
D’ailleurs, est-ce réellement éthique de hacker l’esprit des gens ? Chiron n’en a visiblement cure, tant que cela sert ses intérêts. Leur entretien de recrutement, visible dans le hack d’un esprit, révèle un aspect totalitaire. Aux questions « Voulez-vous le meilleur pour votre pays… voulez-vous vivre sans peur… Voulez-vous vous conformer » les réponses négatives sont interdites, assénant ensuite la devise de productivité, de travail et de bonheur, amenant ses employés à se sacrifier pour faire la fierté d’un père (Chiron) et mériter l’amour inconditionnel d’une mère (la République). Toutes les conditions d’une belle dystopie sont bel et bien présentes. Chiron, corporation technologique initialement, a réussi à s’instaurer à la place du gouvernement en profitant de la guerre, et contrôle la vie des gens, jusqu’à établir des couvre-feu, refuser l’accès de certains postes aux citoyens pas assez bien classés… Une société aux relents de totalitarisme soviétique, qu’un certain pirate informatique tentera de renverser, et sur laquelle Lazarski se retrouve à devoir ouvrir les yeux au cours de son enquête. Cependant, le personnage, bien qu’anti-social et généralement désabusé, n’est pas dénué d’empathie ou de regrets. Au-delà de son enquête, son histoire familiale personnelle émeut et amène bien des interrogations. Et que dire d’ailleurs du choix de l’acteur pour le doubler, guère innocent ? Il ne s’agit de personne d’autre que Rutger Hauer, l’acteur derrière Roy Batty, le célèbre réplicant de Blade Runner.
« >observer_ a été construit avec du désespoir en tête – avec les difficultés que les citoyens de cette Cracovie de 2084 endurent chaque jour. L’horreur vient de la tension de ces habitants, de leurs problèmes, de leurs espoirs perdus, de leur sentiment d’être sans aucun pouvoir dans un pays contrôlé. Ils ont peur de ne rien pouvoir changer, et sont terrifiés de même rêver de rébellion, car Chiron hackerait leur esprit et les trouverait. « Hacker les esprits » a été conçu comme un grand huit psychédélique où tout peut arriver, autant que comme une représentation d’une technologie qui peut littéralement révéler vos plus grands secrets. » (Bloober Team dans un entretien pour le site Dualshockers)
III. Le cyberpunk dans les jeux vidéos
Outre Observer, le cyberpunk a inspiré beaucoup de jeux vidéos. Toutefois, il convient évidemment de différencier les adaptations vidéoludiques d’un film ou d’un livre ; les jeux dont l’ambiance ou certaines particularités évoquent le cyberpunk sans en avoir tous les engagements ; et les jeux vidéos s’immergeant totalement dans ce mouvement. La liste n’est évidemment pas exhaustive.
1. Adaptations d’autres univers
Certains films ou certaines licences, après avoir rencontré un grand succès du côté du grand public, se sont vus adaptés en jeux vidéo. C’est ainsi le cas du manga Ghost in the Shell, transposé en jeu vidéo en 1997, ou de Psycho-Pass, adapté en visual novel en 2015.
Blade Runner a connu deux adaptations vidéoludiques, dont la seconde est la plus intéressante, sortie en 1997. S’inspirant davantage du roman de Philip K. Dick que du film, dont quelques personnages apparaissent néanmoins de façon secondaire, c’est un jeu point & click. Les créateurs jugent que reprendre directement le film serait trop risqué : le héros de l’histoire est donc l’un des collègues de Rick Deckard, un Blade Runner novice dont l’histoire se déroulerait de façon parallèle au film. Le jeu permet notamment d’utiliser le test d’empathie Voight-Kampff pour découvrir les Réplicants et choisir de les tuer ou non, laissant plusieurs fins possibles à l’histoire.

Le roman Neuromancien a également été adapté en 1988, mélangeant jeu d’aventure et jeu de rôle. L’intrigue prend place au Japon en 2058, et respecte relativement l’univers du roman. Le héros, ancien hacker doué mais rejeté par la Matrice, réseau informatique, est autorisé à y retourner dans le but de mener l’enquête sur la disparition de plusieurs personnes, vraisemblablement tuées par des Intelligences Artificielles.
2. Caratéristiques partielles du genre
Dreamfall Chapters (2014), jeu point & click, ainsi que de manière générale la triologie Dreamfall – The Longest Journey, présente une intrigue où deux mondes existent en parallèle : Arcadia, un monde fantasy, et Stark, un monde cyberpunk où la méga-coporation japonaise Waticorp utilise une machine pour contrôler les rêves des gens, et donc les manipuler. Stark est un monde qui, en 2220, selon le créateur du jeu, paie pour des centaines d’années de politique réactionnaire, de gâchis, d’industrialisation et d’impérialisme.

System Shock 1 et 2 (1994) sont également des bons représentants du genre, avec une intrigue se déroulant en 2077 et où un hacker tente d’infiltrer la corporation TriOptimum, avant de lutter contre SHODAN, une intelligence artificielle d’une station spatiale, partie en vrille. Si l’action du jeu se déroule dans une station spatiale, cadre assez rare du cyberpunk généralement limité à la Terre, il existe également un Cyberespace informatique où le héros pourra aller. Le 2e opus met en scène, quarante plus tard, une nouvelle organisation dominante, cette fois militaire. Si le jeu se déroule toujours dans une station spatiale, la thématique des réseaux et de l’intelligence artificielle semble moins présente. Un troisième opus est prévu en 2020.
Metal Gear Solid 2 et 4 (2001), à leur manière, abordent des thématiques propres au cyberpunk bien que leur univers ne le soit pas pleinement : le clonage, le mélange d’esprits suite à des greffes, l’intelligence artificielle et les manipulations génétiques.
SOMA (2015), jeu plus horrifique que cyberpunk, propose néanmoins de très intéressantes réflexions sur le transhumanisme, ce qui fait de soi un être humain entre le corps et l’âme, sur la possibilité de transférer sa mémoire dans la tête d’un autre, les limites entre l’homme, le monstre et l’intelligence artificielle.
3. Univers originaux

La saga Deus Ex (2000-2016) est probablement la licence vidéoludique la plus représentative du cyberpunk à l’heure actuelle. Les épisodes se déroulant sur des temporalités différentes, il est difficile de résumer une histoire globale. Deus Ex présente un monde sous l’emprise des multinationales plutôt que des gouvernements, où les groupes terroristes sont nombreux, et où la modification des hommes par le biais d’implants nanotechnologiques et de prothèses amène forcément des questions éthiques sur le transhumanisme. Les décors sont envahis par la sur-pollution, les technologies sont présentes partout, et la biotechnologie permet de nombreuses augmentations pour les hommes, fournies par la société Sarif Industries. Cependant, cette évolution a un revers de médaille : il est nécessaire de prendre une drogue afin d’éviter tout rejet des implants. Le cinquième opus de la saga met ensuite l’accent sur l’exclusion des personnes augmentées par la majeure partie de la population « pure », amenant une ghettoïsation et une scission dans la société.
Final Fantasy VII (1997) propose aussi une atmosphère cyberpunk : la Shinra exploite la planète sans compter et domine un Midgar pauvre et pollué, à l’esthétique futuriste et sombre. Le groupe Avalanche se revendique comme éco-terroriste, tâchant de bousculer l’ordre des choses, mais restant minuscule par rapport à la suprématie de la Shinra. Par ailleurs, le jeu aborde aussi les manipulations génétiques et le clonage à travers les personnages de Jenova, Sephiroth et Cloud, ou les expériences scientifiques extrêmes (Vincent Valentine, Rouge XIII).

The Red Strings Club (2018) propose un futur où les gens modifient leurs caractéristiques mentales et physiques, grâce aux implants proposés par une corporation nommée Supercontinent Ltd. A travers la vision de trois personnages – un hacker augmenté, un humain sans implants et un androïde administrant les augmentations – le jeu interroge sur les limites du transhumanisme, celui-ci pouvant même effacer des émotions négatives. Le visual novel VA-11 HALL-A (2016) propose un gameplay partiellement similaire, avec un protagoniste tenant un bar dans un monde cyberpunk dystopique. Réaliser les bonnes boissons permet d’entendre les histoires personnelles des différents clients : humains ayant recours aux implants, androïdes, hackers…
Watchdogs 1 & 2 (2014) présentent le contexte de grandes villes futuristes, Chicago et San Francisco, où les personnages sont des hackers décidant de lutter contre le système de surveillance ctOS. Ce système centralise les données personnelles de chaque citoyen des infra-structures électroniques, allant jusqu’à parfois déclarer certaines personnes criminelles par les prédictions obtenues par les données regroupées.

Le jeu vidéo Remember Me (2013) se place dans un avenir où la société Memorize permet aux citoyens de modifier leurs souvenirs et de les échanger d’une personne à l’autre. Nilin, une chasseuse de souvenirs, voit sa mémoire effacée par la corporation et part en quête de son identité. Le Néo-Paris de 2084 où elle évolue est surveillé massivement par Memorize, contre laquelle un petit groupe de terroristes essaye de lutter. Les décors futuristes sont parsemés d’hologrammes, oscillant selon les lieux entre pauvreté et somptuosité, et la musique d’abord orchestrale puis retransformée et déstructurée électroniquement, achève de donner un background cyberpunk au jeu.
Parmi les jeux indépendants, citons entre autres Neo Cab (2019) et Transistor (2014). Neo Cab, dont les personnages affichent souvent des looks et coupes de cheveux punk, raconte la trajectoire de Lina, une des dernières chauffeuses de taxi humaines dans la ville de Los Ojos. Cette ville, toute en néons, gratte-ciels, affiches publicitaires et lumières bleutées, respire le cyberpunk. Transistor prend place dans la ville de Cloudbank, où une chanteuse, Red, est attaquée par la Camerata, une organisation essayant de fonder une ville idéale par la force robotique. Perdant sa voix, Red va alors lutter contre la Camerata et l’empêcher de transformer tous les habitants de la ville. Là encore, on trouve des paysages très futuristes et urbains, faisant la part belle aux robots.

Enfin, il serait impensable de terminer cette liste sans évoquer Cyberpunk 2077, jeu vidéo à venir en septembre 2020. Inspiré du jeu de rôle sur table Cyberpunk 2020 déjà évoqué plus haut, il est attendu avec énormément d’impatience de la part des joueurs, le studio CD Projekt Red jouissant de sa notoriété après la saga The Witcher. Le jeu prendra place dans la cité Night City en Californie, assumant pleinement un côté dystopique, marqué par l’influence des corporations, les guerres de gang, la présence des inégalités sociales et économiques ou du Cyberespace, terrain encore à explorer par les technologies. Les implants, prothèses et améliorations seront au cœur du jeu, puisque cela influencera le gameplay en permettant au joueur d’approcher certaines zones et populations, selon s’il a subi beaucoup d’augmentations ou non. Les visuels du jeu témoignent d’une ambiance très punk dans l’allure des personnages, mais aussi d’une métropole plus lumineuse que dans le genre habituellement, sans éviter les gratte-ciels, la technologie omniprésente et les thématiques sombres. Cyberpunk 2077 sera probablement un jeu majeur dans ce genre, pour la richesse potentielle de son monde ouvert, de son scénario non-linéaire, de ses quêtes et de sa proposition de personnaliser totalement le héros ou l’héroïne de l’histoire.

Conclusion
Le cyberpunk est donc un genre présentant un futur souvent sombre et très proche, résultant directement des problèmes de notre société actuelle. Surpopulation, consumérisme extrême, ultra-capitalisme, pollution et destruction de l’environnement, présence de plus en plus importante des technologies, envahissant l’homme ou s’implantant directement en lui, par besoin ou envie… Le cyberpunk est souvent une vision froide et déshumanisée, voire totalitaire. Puis, devant l’évolution technologique réelle, il devient un peu plus serein et pas aussi catastrophique, avec le postcyberpunk et les autres genres dérivés mettant en scène la cohabitation avec les technologies, plutôt que l’asservissement. Pourtant, il demeure un genre de l’avertissement, un futur possible avec un potentiel certain, mais aussi empreint d’une noirceur palpable.
On peut s’interroger sur la raison de cet univers si présent dans les jeux vidéos, les films, la pop-culture, ou sur l’immense attente du jeu vidéo Cyberpunk 2077. Le cyberpunk est tiré directement de notre présent, bien plus finalement qu’une lointaine colonisation spatiale ; il nous donne à voir un monde de demain qui fascine autant qu’il révulse. Certes, on y trouve les dérives déjà actuelles de surveillance, de surpopulation, mais aussi des solutions pour des problèmes mondiaux : soigner, améliorer les corps humains, devenir plus facilement qui l’on veut, admirer des prouesses futuristes. Mais surtout, il apparaît comme réaliste et crédible, en ayant les sciences et les technologies pour appui. C’est une vision futuriste à double tranchant, interrogeant sur ce qui fait l’identité humaine et sur ce qui nous rend humains, sur les limites entre l’homme et la machine. Ce sont ces questions éthiques et philosophiques qui sont au cœur d’un jeu comme Observer. Il nous amène à réfléchir sur le monde de demain, en quoi il nous effraye et sur ce que nous voudrions qu’il soit : le but avoué de Bloober Team, qui qualifie cette démarche de « hidden horror » et de « catharsis 2.0 ».
Cette vidéo récente du 8 avril 2020 annonce-t-elle une suite à Observer ou un remake ?
Ressources :
- Le culte d’Apophis – Le blog science-fiction et fantasy des livres cultes !, Apophis.
- Cyberpunk, Wikipedia. Collectif.
- Cyberpunk & jeux vidéos – Ludosophia #12, Veltar. 2019.
- Dev Q&A: How Bloober Team created ‘hidden horror’ in Observer, John Harris & Bloober Team, Gamasutra. 2 novembre 2017.
- Guide des genres et sous-genres de l’imaginaire, Apophis. Editions Albin Michel, collection Imaginaire, 2018.
- Le guide de la SF et de la fantasy, Karine Gobeld. Editions ActuSF, 2017.
- Hidden Horror : Layers of fear developper interview, Juan Manuel Fontain, The Indie Game Website. 22 avril 2018.
- Observer Interview – The Birth of Hidden Horror, Tyler Fischer & Bloober Team, Dualshockers. 18 octobre 2017.
- Postcyberpunk, Wikipedia. Collectif.
- Soif de culture #01 – La littérature cyberpunk, Au rayon mangas. 2017.
Excellent dossier Hauntya, bien ressourcé et documenté ! Perso j’ai appris une tonne de trucs, franchement chapeau bas ^^
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Merci beaucoup Éric ! Je suis ravie que ça t’ait plu et que tu aies appris des choses 😊 les recherches en valaient la peine.
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Incroyable article. Et je pèse mes mots. Un immense bravo !
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Merci infiniment pour tes mots ! Et merci pour ton livre qui m’aide énormément !
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Autant j’ai l’habitude de faire des cours de SF, aux élèves, autant le Cyberpunk est un genre plus étranger, en tout cas pour moi. Je me rends compte, d’ailleurs, que je ne suis pas familière de beaucoup d’œuvres que tu as citées. Je me suis fait la réflexion que la limite est plus qu’étroite entre SF et Cyberpunk. Quand on pense aux greffes mécaniques de Anakin, ou du général Grievous, où situer Star Wars ? Bien sûr, ça ressemble déjà plus à du « conte de fée » si on regarde l’intrigue des épisodes 4 à 6. Si ce n’est déjà fait, je peux te conseiller Inside, qui aborde quelques thématiques, même si c’est encore autre chose, et difficile à interpréter. Quid de Detroit : Become Human, d’ailleurs ? J’imagine que les androïdes sont plus propres à la SF classique ? Je connais de très loin, mais je pense aussi à Borderlands, là, comme ça. Bien sûr, je sais que ta liste n’était pas exhaustive. J’essaie – maladroitement – d’apporter une pierre à l’édifice. En tout cas, on sent que l’article est très travaillé et documenté. Merci 😀
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Il faut se dire qu’il y a beaucoup de sous-genres en SF, et que ces classifications sont pointues, voire très pointues pour certaines, et que parfois il y a un mélange de plusieurs styles qui n’arrange rien. Certains auteurs se font un plaisir de mélanger allégrement fantasy et SF, ce qui ne nous aide pas à tracer des bonnes limites : tout est poreux.
Star Wars, par exemple (et je prends référence sur le guide d’Apophis), appartiendrait plutôt à la science Fantasy, parce que la saga mélange science-fiction/Space Opera (exploration de planètes, vaisseaux spatiaux, robots… avec une exploitation des sciences plus esthétique qu’autre chose, on n’explique quasi rien sur la manière d’entrer en vitesse lumière, la création des sabres laser, tout ça reste un arrière-plan de surface) et fantasy (histoire avec structure mythologique, rites initiatiques, personnages héroïques, et pouvoirs psychiques de la Force). Donc, Star Wars n’est même pas de la science-fiction « traditionnelle » si on entre dans les détails. Du coup, les greffes mécaniques que tu cites sont des accessoires de la SF, plus que du cyberpunk, d’autant que l’atmosphère est très différente (l’aspect conte de fées dont tu parles) et beaucoup plus lointaine que le cyberpunk (ou passée : « il y a longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine.. » accentuant le côté legende).
En ce qui concerne Detroit, sache que j’ai beaucoup hésité à le mettre dans cet article, et je ne sais honnêtement pas s’il appartient au postcyberpunk. A la limite, le côté cyberpunk est plus assumé dans Heavy Rain avec le personnage du détective, obligé de prendre de la drogue pour supporter sa vision augmentée. Il y a plusieurs choses qui me font hésiter à classer Detroit dans cette même catégorie : d’abord, on est du point de vue des robots, pas des humains. On ne parle pas directement d’une technologie qui s’implante en l’homme et avec lequel il doit apprendre à s’adapter, avec drogue ou autre, mais vraiment d’une existence de robots dans la société à côté des hommes. Avec davantage la thématique de leurs droits, de l’humanité de l’intelligence artificielle… les seuls effets néfastes au final sur la société, c’est le chômage et la préférence des gens à passer du temps avec des androïdes, que des humains, et la scission sur la question des droits des androides. Du coup, le côté IA s’approche du postcyberpunk, mais les robots sont un peu comme les extra-terrestres ou les vampires : des êtres, une thématique, que tu peux retrouver dans plusieurs genres, que ce soit la fantasy, la SF ou tous leurs dérivés, c’est un élément mais pas forcément une composante. D’ailleurs, tu peux mettre à ces créatures, les mêmes questions et thématiques d’identité/humanité/droit de vivre. Et comme tu dis aussi, les androïdes sont plus propres à la SF classique.
D’ailleurs, les androïdes de Detroit obéissent plus ou moins aux trois lois de la robotique définies par Asimov : ne pas porter atteinte à un humain ou le laisser être en danger / obéir aux ordres donnés tant que cela ne contredit pas la première loi / protéger son existence tant que cela ne contredit pas les deux premières lois. D’autre part, je pense que Detroit s’approche de la Soft SF, qui ne s’intéresse pas spécialement aux mécaniques scientifiques, mais se penche surtout sur les relations humaines, les personnages, leurs sociétés, dans un contexte de science-fiction. Si on y rajoute le développement des androïdes de Detroit, ça peut s’en approcher, d’autant que là on n’est pas gêné par le point de vue « robot », contrairement au postcyberpunk. Donc, pour te répondre, je ne sais pas, et sans doute par facilité, Detroit penchera pour le postcyberpunk, mais avec quelques singularités.
Pour Bordelands, au vu de son synopsis, ça a plutôt l’air d’être du Space opera, voire Planet Opera, car ils semblent se concentrer sur l’exploration d’une seule planète.
Merci pour ton compliment, et de ta colle sur Detroit : j’ai bien cherché 20/30 minutes pour essayer de trouver une réponse satisfaisante qui ne l’est pas, ahaha. 😀 Et je me note pour Inside, le duo Limbo/Inside est dans ma liste à faire depuis longtemps.
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C’était passionnant à lire, super dossier !
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Merci beaucoup ! Ravie que ça t’ait plu !
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J’avais déjà bcp aimé ton article sur le genre steampunk, je suis donc ravi de retrouver ce format. C’est toujours aussi instructif et bien construit, félicitations !
Au final, la science-fiction semble être très étiquetée et ses sous-catégories très codifiées. Et pourtant, j’ai été surpris de retrouver Person of Interest comme un exemple d’oeuvre cyberpunk. Thématiquement, je comprends tout à fait pourquoi, ça s’y inscrit très bien. C’est davantage « l’habillage » qui me semblait moins correspondre, puisque ça se situe dans le présent et que visuellement, ce n’est pas très « punk ». Comme quoi, pour un genre « mort », le cyberpunk arrive encore à s’incarner de manières différentes, c’est intéressant !
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Merci beaucoup pour tes mots ! J’ignore s’il y en aura d’autres à l’avenir, mais explorer un genre par le biais du jeu vidéo, c’est vraiment sympa et instructif !
Oui, je suis très surprise de voir comment la SF et la fantasy sont des genres très codifiés, avec multiples ramifications. Je n’imaginais pas qu’il y en avait tant. C’est plus complexe qu’on ne l’imagine, et comme tu le soulignes, c’est parfois difficile à classer car on retrouve des thématiques plutôt qu’un style tout entier, dans certaines oeuvres. Je pense que peu de séries osent le total « habillage et thématique » cyberpunk, c’est peut-être plus adapté pour les films, niveau budget des décors, des univers mis en place. Orphan Black aussi est une série très contemporaine, mais qui met en avant les thématiques du clonage, des modifications génétiques et de la surveillance. Ça m’a surpris de voir que tous ces éléments appartenaient au cyberpunk finalement. Peut-être que les créateurs aiment piocher des éléments précis du genre pour nourrir des intrigues, mais ne sont forcément intéressés par tout l’aspect cyberpunk qui ne leur sert pas. Je suis bien contente que le genre se renouvelle de cette façon aussi !
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Et bien et bien, c’est un sacré article que tu nous livres là. Je me souviens encore de celui sur le steampunk qui était déjà super intéressant à lire mais alors celui-là, on sent tout le travail fourni pour la rédaction et la documentation. Un gros bravo à toi !
Comme tu le sais, je ne suis pas du tout adapte du genre cyberpunk. Ce n’est pas faute d’avoir essayé à plusieurs reprises pourtant, mais il y a vraiment un blocage de mon côté. On le voit d’ailleurs rien qu’en regardant les quelques exemples d’œuvres que tu as citées. Autant j’ai beaucoup aimé Person of Interest et Black Mirror (et encore, ça dépend un peu des épisodes), autant le reste que je peux connaître, ce n’est pas le cas. Je n’ai vraiment pas aimé Altered Carbon que j’ai eu beaucoup de mal à comprendre par exemple. En revanche, j’ai toujours adoré la musique synthwave. C’est bien le seul élément que je retiens de ce genre.
Comme on a pu en discuter sur Twitter récemment, j’ai également eu beaucoup de mal avec Observer, justement à cause de son ambiance. Mais en lisant ton article, je me rends compte qu’il y avait beaucoup d’éléments que je n’avais pas forcément saisis (la drogue qui sert à supporter les implants alors que je pensais qu’elle n’avait qu’un but récréatif, l’explication des phases psychédéliques durant les hacks, etc.).
En réalité, je pense que c’est aussi ça qui fait que le cyberpunk me déplaît : malgré toute la volonté que j’y mets, je n’arrive jamais bien à saisir cet univers et ses subtilités. Ou peut-être que ça me déplaît tellement de base que je ne cherche pas à approfondir non plus, c’est possible. En tout cas, encore bravo pour cet article hyper instructif à lire.
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J’avoue que cet article fut encore plus long que celui sur le steampunk ! Je voulais être exhaustive et complète au possible, et je n’ai pas arrêté de rajouter des détails dans les 2 jours suivant la publication. x)
Je pense qu’il y a effectivement des genres avec lequels on finit toujours pas faire un blocage, malgré nos efforts. Les goûts et les couleurs. D’ailleurs, pour le steampunk, même si j’adorais toute l’esthétique, le contexte, les principes du genre, je n’avais pas eu de coup de coeur pour The Order. Et je pense aussi que le cyberpunk est très (trop) présent dans la pop culture, parfois avec seulement certaines thématiques, du coup ça peut lasser ou bloquer. Mais en refaisant Observer, j’ai aussi perçu beaucoup plus de détails qu’à mon premier run, et ça m’a aidée à davantage apprécier le jeu. Cependant, cela reste quand même un univers assez froid, très futuriste au point d’en être déshumanisant.
Il faut aussi dire qu’il y a du cyberpunk à toutes les sauces en pop culture, parfois avec juste un élément gardé pendant que le reste demeure « contemporain ». Sans univers global autour pour bien comprendre les enjeux et subtilités, on perd forcément au passage, en gardant des thèmes qui sont à la mode mais sans plus. Je suis tout de même contente d’avoir pu t’aider à éclaircir certains points du jeu et t’avoir permis de mieux saisir le genre !
Et j’ai découvert la musique synthwave avec cet article, elle est finalement bien plus plaisante que je le pensais ! Merci pour tes mots.
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